Les grenouilles qui demandent un chef

LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN CHEF (1)
(Antambahoaka)
Les grenouilles, dit-on, habitaient un étang. Elles n'avaient pas de chef, se gouvernaient elles-mêmes et jouissaient de la plus grande liberté.
Un jour, qu'elles étaient réunies en grand nombre, elles résolurent d'élire un chef dont l'absence leur pesait fort.
Elles demandèrent conseil au soleil à ce sujet.
Leur désir d'avoir un chef les persuadait qu'il serait une source de prospérité pour elles et leur famille.
Le soleil, ce jour-là, était brûlant : il se mit à rire en entendant la demande des grenouilles.
Il coupa un petit morceau de bois et le jeta dans l'étang, dont il agita l'eau en tombant.
Les grenouilles eurent une peur atroce et n'osaient pas l'approcher.
Quand le calme revint un peu et qu'elles virent que rien ne remuait, elles s'avancèrent doucement.
Puis l'ayant contemplé longtemps, et ne lui voyant toujours faire aucun mouvement, elles montèrent dessus sans aucune appréhension.
« Nous ne voulons pas, dirent-elles d'un objet inerte, que rien n'émeuve. Donnez-nous-en un autre. »
Le soleil leur envoya alors un héron. Celui-ci, aussitôt arrivé, se mit à manger ses sujets autant que son ventre put en contenir.
Les grenouilles s'adressèrent alors en secret à la lune, en la priant d'intercéder auprès du soleil pour qu'il leur enlevât le héron et leur rendît le petit morceau de bois.
« Je vous ai donné, répondit le soleil, deux chefs, l'un doux, l'autre cruel. Il fallait conserver le premier, ô grenouilles. Vous ne regrettez le petit morceau de bois que depuis que le héron est votre chef! Rappelez-vous le proverbe suivant :
Celui qui cherche trop la douceur, s'il rencontre par hasard de l'amertume, ne pourra pas la supporter (2). »
(1) Le texte de ce conte m'a été dicté par un Antambahoaka de Mananjary.
(2) Sauf la requête présentée à la lune, cette fable est en tous points semblable à celle de la Fontaine sur le même sujet.
Contes populaires malgaches
Recueillis, traduits et annotés par
Gabriel FERRAND
Editeur : E. Leroux (Paris) 1893