Les huit lâches.

Les huit lâches.
Bigame, un homme avait neuf enfants : huit avec la grande épouse, le dernier avec la petite épouse, tous des garçons. Les voilà parvenus à l’âge de l’adolescence. Cet âge est celui du devoir, de la reconnaissance envers les parents.
Un jour, l’homme, vieilli, dit aux jeunes gens réunis :
- Depuis quelques jours, je raffole du miel. Partez m’en chercher dans la forêt.
Les huit fils de la grande épouse s’en allèrent. En pleine forêt, ils découvrirent une ruche sauvage et se mirent à collecter le miel sans aucune précaution. Aussitôt, un essaim d’abeilles fondit sur eux. Aucune abeille ne regagna son abri sans avoir planté son aiguillon venimeux dans la peau de l’un des huit garçons. Ce fut la panique parmi les jeunes hommes.
Ils rentrèrent bredouilles au village, presque méconnaissables tant leur corps étaient douloureusement enflés.
- Comment extrait-on du miel sauvage, mère ? demanda le fils unique de la petite épouse.
- Apporte plusieurs bouses bien sèches, répondit la mère. Mets-les à brûler autour de la ruche et les abeilles ne te piqueront pas. En effet, les abeilles ne supportent pas l’odeur de la fumée de bouse.
Le fils unique partit pour la forêt. Après avoir longtemps cheminé, il découvrit une ruche sauvage. Il mit tout de suite en pratique le conseil maternel. Quelques minutes plus tard, quatre bouses brûlaient autour de la ruche. Une fumée noirâtre et persistante se dégageait de chaque bouse, répandant une odeur âcre. Les abeilles à l’intérieur de la ruche se trouvèrent paralysées ; celles qui sortirent ne purent rien contre le jeune homme.
Tenant une bouse à moitié embrasée dans la main gauche, le fils unique glissa sa main droite dans la ruche et en arracha les alvéoles imbibées de miel.
Ensuite, satisfait, il regagna le village chargé de son butin.sa mission était accomplie.
Rayonnant de joie, le vieux savoura le miel qu’il avait tant attendu.
Des mois s’écoulèrent. Le père réunit une nouvelle fois les neuf jeunes gens et leur déclara :
- Je serai bientôt en sandratse (1). Seulement, pour fampinoma (2), je veux un taureau sauvage.
Les huit fils de la grande épouse prirent aussitôt le chemin de la forêt, sans aucune précaution. Dans les bois, les voilà nez à nez avec un grand taureau sauvage. L’animal, qui avait flairé l’odeur humaine, était sur ses gardes. Furieux d’être dérangé, il marcha sur eux. Encore une fois, les jeunes hommes furent pris de panique. Heureusement, le taureau abandonna la poursuite à la lisière de la forêt. Les fils rentrèrent bredouilles au village.
- Comment capture-t-on un taureau sauvage, mère ? demanda le fils unique.
- Agite devant lui une poignée d’herbe tende, conseilla la mère.
Le fils unique prit le chemin de la forêt. Après avoir arraché une poignée d’herbe tendre, il s’enfonça parmi les arbres.peu après, il rencontra un taureau sauvage qui lui fit mauvais accueil. Mais le jeune homme agita tout de suite la poignée d’herbe verte : au lieu de fondre sur lui, l’animal s’approcha tranquillement… Alors que le taureau n’était plus qu’à quelques mètres, un lasso lancé avec dextérité se serra autour de son cou. Le jeune homme guida le taureau sauvage jusqu’au village.
Grâce à lui seul, le sandratse de son père put avoir lieu.
(1) et (2) cérémonie coutumière qui dure des mois, le sandratse est organisé en vue de la guérison d’un malade appelé « tearano » (« tea » : aimer, « rano » : eau). La cérémonie comprend deux parties : d’abord, il y a le « kora » (du « korabe » : cri). Cette partie, longue et très animée, permet au tearano de satisfaire son envie de chanter et surtout de danser. Tous les soirs, les proches chantent et dansent autour de lui qui fait de même. Ensuite se tient le « fampinoma ». cette deuxième partie ne dure qu’une journée, mais elle est très importante. Au cours du « fampinoma », on fait boire au tearano le sang dilué de son bœuf préféré, tué pour l’occasion. Tous les villages voisins sont conviés à la fête.
Contes et légendes Tandroy
SAMBO adaptation Olivier BLEYS
L’Harmattan