Les Kinoly

Les Kinoly (1).
(Betsileo)
Les Betsileo disent qu'il existe une race d'individus qui deviennent kinoly après leur mort.
Voici la description du kinoly : il a les ongles très longs ; il est maigre et édenté, et nasille en parlant. Lorsqu'il mange, la nourriture se rend immédiatement à l'autre extrémité du corps parce qu'il n'a pas de dents pour la saisir et la mâcher.
Personne, dit-on, n'a encore pu s'emparer d'un kinoly, même par la force, parce qu'il étreint avec ses longues griffes celui qui essaye de lutter avec lui.
Il effraie ses ennemis en disant :
« nous sommes dix mille ici » ;
et l'agresseur s'enfuit de peur d'être pris (2).
Les Betsileo disent que c'est un grand bonheur d'avoir vu les grottes qui servent de demeures aux kinoly.
Leurs matelas sont en soie, et ils se couchent dessous.
Beaucoup de gens affirment qu'ils possèdent pour 10,000 piastres (3) de soie qu'ils vont voler chaque nuit.
On rapporte également qu'une mère devenue kinoly vient souvent rendre visite à ses enfants.
Elle leur demande de la nourriture, des haricots et de la semence de maïs.
Mais après avoir emporté les haricots et le maïs, elle ne reviendra plus parce qu'elle a fait griller ces légumes.
Si la semence ne pousse pas, quand elle la mettra en terre, on ne la reverra pas.
Elle est donc partie pour toujours, la mère, parce que les haricots et le maïs grillés ne pourront pas germer !
Lorsqu'un kinoly passe ou s'arrête sur un terrain, le propriétaire reconnaît sa trace par
le grand nombre de mouches qui s'y trouvent, car il aime beaucoup le soleil et les endroits
puants.
Si les Betsileos affirment cela, c'est que beaucoup d'entre eux l'ont vu.
Quelques-uns doutent cependant qu'on puisse devenir kinoly deux ou trois jours après avoir été enterré, lorsque les intestins sont tombés en pourriture.
Ils doutent également qu'on soit transformé en kinoly en allant seulement se promener sur la tombe de l'un d'eux (4) ; et ils ne sont pas convaincus de l'authenticité de ce qu'on vient de lire.
(1) Le texte de ce conte a été recueilli à Fianarantsoa.
(2) Le Père de la Vaissière donne de ces êtres fantastiques la description suivante : « On trouve parfois de pauvres hères qui ne sont pas parvenus à effectuer complètement leur transmigration. Ces âmes, dont la métempsycose est à demi manquée, reçoivent un avorton de corps humain qui porte le nom de kinolo. Les Kinolo sont donc plutôt des apparences d'hommes que des hommes véritables. Leur corps, toujours monstrueux en quelque endroit,
n'a guère que deux ou trois pieds de haut. Celui-ci est creux et transparent comme une lanterne vénitienne ; cet autre est noir comme du charbon, et massif comme une enclume ; quelques-uns sont percés à jour comme des cribles; d'autres, vrais squelettes, n'ont que la seule peau et sont munis d'un râtelier de caïman, armé de dents disposées comme dans un râteau. Ils vivent errants dans les maisons abandonnées, ou sous les saillies des grandes roches dont ils habitent les fissures. »
(3) Cinquante mille francs.
(4) C'est une croyance bien établie à Madagascar, contrairement à ce qu'en dit ce conte, qu'on devient kinoly en allant se promener sur la tombe d'un de ces êtres fabuleux. Ces tombes, disent les Malgaches, se trouvent dans l'intérieur de l'île ; mais aucun étranger n'a pu encore se les faire montrer.
Contes populaires malgaches
Recueillis, traduits et annotés par
Gabriel FERRAND
Editeur : E. Leroux (Paris) 1893