Les trois princesses et Andriamohamona

Publié le par Alain GYRE

Les trois princesses et Andriamohamona (1).
(Antambahoaka)

 


Il y avait dit-on, trois sœurs, filles d'un roi, qui habitaient dans un village.

Le prince Andriamohamona, fils du roi d'un autre pays et dont le père avait acquis une célébrité universelle, vint pour les épouser.

Il se présenta chez elles tenant un bâton en or.

A sa vue, les jeunes filles s'évanouirent de joie. Le prince les rappela à la vie en les tirant par les pans de leur vêtement ; puis il s'évanouit à son tour.

Les princesses le tirèrent par une des extrémités de son salaka (2); et il reprit ses sens immédiatement :

« Je vais aller construire une case, dit-il; et dès qu'elle sera terminée, je viendrai vous chercher. »

Après son départ, les trois sœurs se mirent à faire des projets :

« Si j'épouse Andriamohamona, disait l'aînée, je ferai avec de petits joncs une jolie natte et je la mettrai sous le matelas sur lequel nous reposerons tous deux. »

« Moi, disait la cadette, si Andriamohamona me prend pour femme, je confectionnerai une natte en paille fine qui nous servira de lit. »

« Moi, disait Fara, la plus jeune, la patate que je mangerai deviendra notre enfant.» Andriamohamona n'arrivant pas, les trois sœurs résolurent d'aller le trouver chez lui.

Au moment de se mettre en route, les deux aînées insistèrent auprès de la cadette pour qu'elle ne les accompagnât pas, parce qu'elle était plus jolie qu'elles; mais Fara n'eut garde de les écouter.

Chemin faisant, les trois sœurs rencontrèrent un paysan qui travaillait à sa rizière :

« Laquelle de nous deux est la plus belle? » lui demandèrent-elles :

« Toi, l'aînée, et toi, la cadette, répondit l'homme, vous êtes jolies; mais la petite Fara est plus jolie que vous. »

Plus loin, elles rencontrèrent des gardiens de rizières qui chassaient les cardinaux (3) des champs de riz. Elles leur firent la même demande et les gardiens furent du même avis que le paysan.

Les deux aînées jalouses, coupèrent les cheveux à leur jeune sœur, espérant l'enlaidir et lui firent porter les bagages comme si elle était leur esclave. Elles changèrent même son nom et l'appelèrent : Sandroy.

Un peu plus loin, elles demandèrent encore à des hommes qui battaient le riz, laquelle des trois était la plus jolie :

« Toi, l'aînée, et toi, la cadette, vous êtes bien jolies, dirent les hommes; mais la petite Fara l'est encore davantage. »

Cette réponse des batteurs de riz ne fit qu'accentuer la haine que ses sœurs portaient à Fara.

On augmenta sa charge; et privée de tous soins, elle devint galeuse.

Elles arrivèrent enfin au village d'Andriamohamona, et se logèrent dans une case.

Le soir même, elles firent préparer leur bain par Sandroy :

« Nous allons voir le fils du roi, dirent-elles; garde bien la maison pendant notre absence. »

Quand elles arrivèrent chez Andriamohamona, celui-ci les invita à danser avec les jeunes filles du village (on dansait tous les soirs chez le fils du roi).

Un rat qui se trouvait dans la case où était restée la plus jeune sœur, lui dit :

« 0 Sandroy, pourquoi ne vas-tu pas danser aussi? »

« Hélas, répondit-elle, je n'ai pas d'habits de fête; et mes sœurs n'ont pas voulu que je les accompagne. »

Immédiatement, le rat lui donna un riche costume, la fit baigner et l'habilla. Ses cheveux repoussèrent au même instant.

Elle se rendit ensuite chez le fils du roi qui la prit par la main et dansa avec elle, émerveillé de sa beauté.

A minuit, Sandroy retourna chez elle et rendit son costume au rat. Elle tenait à rentrer avant ses sœurs pour les empêcher de soupçonner son escapade.

Le lendemain, dès que le tambour battit, l'aînée et la cadette se rendirent chez Andriamohamona et dansèrent comme la veille.

Sandroy arriva encore après elles, vêtue de splendides habits et les cheveux admirablement tressés, le rat faisait repousser ses cheveux en lui lavant la tête. Andriamohamona vint la recevoir comme la veille et dansa avec elle.

Le désir lui vint de l'épouser.

A minuit, Sandroy retourna à la case qu'elle habitait avec ses sœurs.

Ces dernières ne tardèrent pas à arriver :

« Sandroy, lui dirent-elles, il y a une jeune fille qui vient tous les soirs au bal du roi et qui dérange beaucoup nos projets. Le fils du roi ne regarde qu'elle et il la préfère à nous. »

« Serait-ce vrai? dit Sandroy. »

Le lendemain, le soir venu, les deux sœurs se rendirent chez Andriamohamona.

Le rat vint habiller Sandroy, puis il lui donna' des souliers en or.

Sandroy se rendit ensuite à la fête.

Dès qu'elle entra, le fils du roi courut, joyeux, vers elle, lui prit la main et la fit danser.

Au milieu de la nuit, les invités regagnèrent leur case.

Sandroy en partant, laissa un de ses souliers d'or sous la natte qui recouvrait le parquet; puis, elle courut rendre ses vêtements au rat.

Ses deux sœurs la rejoignirent peu après :

« Sandroy, dirent-elles, que cette petite fille qui nous a supplantées auprès du fils du roi soit à jamais maudite et malheureuse ! Andriamohamona a même dit à quelqu'un de son entourage qu'il prendrait cette fille pour épouse dès qu'il la reverrait. »

 Le lendemain, les esclaves du roi balayant la salle du bal, trouvèrent le petit soulier d'or sous la natte et l'apportèrent à Andriamohamona :

« Celle des danseuses, dit celui-ci, qui chaussera ce soulier, deviendra ma femme. C'est Dieu qui me la donne et me la fera connaître à ce signe. »

 Le soir, dès que le tambour battit, les deux sœurs aînées se rendirent au bal.

Sandroy les y suivit parée, comme d'habitude, par le rat et fut l'objet de la part d'Andriamohamona des mêmes attentions.

Celui-ci réunit toutes les jeunes filles invitées et leur dit :

« Revenez demain. Vous essaierez un soulier et celle qui pourra le chausser deviendra ma femme. »

Aucune d'elles ne put arriver à introduire son pied dans la mignonne chaussure :

« N'y a-t-il pas d'autres filles dans le village, demanda le fils du roi aux deux sœurs?»

« Oui, répondirent-elles, nous avons une domestique qui garde notre case. »

« Qu'on la fasse venir, ajouta Andriamohamona. »

Sandroy arriva et chaussa le soulier d'or.

L'étonnement des jeunes filles fut grand : les deux sœurs surtout étaient honteuses de ce dénouement.

Le fils du roi, fidèle à sa promesse, fit donner à Sandroy de riches vêtements.

La jeune princesse retourna chez elle où le rat la fit baigner et lui fit repousser ses cheveux qu'il arrangea en longues tresses.

Sandroy, redevenue jolie, prit le second soulier d'or qu'elle avait conservé et l'apporta au fils du roi :

« Es-tu vraiment la domestique de ces deux femmes, lui demanda Andriamohamona?»

« Non, répondit-elle, je suis leur cadette. Elles avaient rasé mes cheveux et me faisaient porter leurs bagages comme à une esclave pour m'enlaidir, parce que je suis plus jolie qu'elles. »

« Ces deux femmes ont été méchantes à ton égard, ajouta le fils du roi ; je les chasse de mon village. »

Les deux aînées se mirent en route, poursuivies par les huées du peuple; et chemin faisant, elles furent changées en petits lézards.

Sandroy, au contraire, vécut heureuse avec Andriamohamona (4).

 


(1) Le texte de ce conte m'a été dicté par un Antambahoaka de Mananjary.

(2) Bande de toile que les hommes passent entre les jambes et autour des reins.

(3) En malgache fody (Foudia AiadâgaScarieiisis. L):
(4) L'épisode du petit soulier d'or donne à croire que ce conte est la version malgache de l'histoire de Cendrillon. Le vieil Antambahoaka qui m'en a dicté le texte, est absolument
illettré et m'a affirmé connaître ce conte depuis son enfance. Ses dires m'ont du reste été confirmés par d'autres gens des Antambahoaka chez lesquels les exploits de Sandroy sont
très populaires. On sait, du reste, que l'épisode du soulier se retrouve dans un conte égyptien dont Elien nous a conservé le souvenir. Cependant, il n'est pas impossible que certains détails du conte malgache aient été empruntés, assez anciennement, au conte français.

 

Contes populaires malgaches

Recueillis, traduits et annotés par

Gabriel FERRAND

Editeur : E. Leroux (Paris) 1893

 

 

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R
J'adors c'est créatif et j'aime beaucoup
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