Miry, plongeur en ranomasy

Publié le par Alain GYRE

 

Miry, plongeur en ranomasy

03/04/13 |  Traditions

 

Miry était un garçon plein de mystères. À sa naissance, il avait déjà attiré l’attention du village : pas de vagissements, tout juste les sourcils froncés, avec un air de mécontentement qu’il avait gardé durant une semaine. En grandissant, Miry devint un garçon taciturne et solitaire. Personne, pas même sa mère, ne connaissait le secret qu’il cachait derrière son front large et son regard insaisissable. Tous les samedis, il restait introuvable, il disparaissait et reparaissait sans jamais se faire surprendre.

 

Miry avait seize saisons des pluies quand il disparut un vendredi, jour des rois. Alors que sa mère faisait la sieste à l’ombre du grand roy qui ombrageait sa case, Miry s’éclipsa, porteur d’un bâton dont le haut, sculpté, arborait une conque marine, figure inconnue dans son village. Il prit la direction du littoral, lieu où, à l’insu de tous, il se rendait régulièrement, parcourant infatigablement huit kilomètres de piste sableuse. Car au bout, il y avait la seule chose qui l’attirât au monde : la mer. Nul ne savait que Miry avait un lien particulier avec elle. Son ethnie abhorrait la mer. Et il était interdit d’introduire au village du sel, du poisson et même des coquillages. Or, tout enfant, Miry était déjà attiré par la mer. Quand il s’y baignait, il se délectait d’un plaisir toujours neuf, celui de plonger dans l’immensité liquide, d’entrer en fusion avec cet élément qui lui procurait une sensation indicible, un bonheur de non-être et de plénitude à la fois. C’est certainement ce que ressentit Zanahare quand il eut achevé la création du monde.

 

Miry, comme un évadé, marchait sans s’arrêter, il marchait, marchait. Et quand il se retrouva enfin en face de l’étendue bleue, la vue de celle-ci lui arracha un cri. Leurs retrouvailles étaient toujours comme une première fois. Il se reposa un instant, admirant les vagues que l’ombre du soir rendait envoûtantes et effrayantes à la fois. Il commença d’abord, comme à son habitude, à manger ce que la mer, hôtesse généreuse, lui offrait : des huîtres incrustées sur les rochers éparpillés sur la plage, des crabes et autres fruits de mer. C’était la première fois qu’il venait le soir tombant, il n’aurait su expliquer pourquoi. Il avait senti  que la mer l’appelait et, sans hésiter, il l’avait rejointe.

 

Occupé à recueillir de l’eau de mer pour arroser la chair d’un crabe, Miry ne vit pas une femme qui s’était approchée et l’interpela d’une voix douce. Pris de panique, il se figea un moment : jamais personne ne venait par là. Il était le seul être humain à fréquenter ces lieux depuis une dizaine d’années ; les habitants du littoral faisaient comme si la mer n’existait pas, l’ignorant résolument pour une raison que plus personne ne connaissait. Il se retourna et vit d’abord la longue chevelure qui frôlait le sol avant de distinguer le visage aux yeux souriants.

 

– N’aie pas peur, Miry. Je suis la messagère envoyée ici pour te guider. Nous avons déjà été en contact puisque c’est moi qui t’inspire le désir de venir à cet endroit et qui t’ai envoyé cet après-midi l’appel de la mer.

 

– Je viens ici parce que j’aime la mer. Mon nom signifie « plonger dans l’eau ».

 

– Oui, et tu es un grand plongeur. Tu portes le nom que j’ai inspiré à tes parents, et qui est également le mien. Cela ne t’a donc pas étonné d’avoir réussi à nager sans avoir appris et de pouvoir rester longtemps sous l’eau en apnée ? C’est parce que ton destin est lié à l’océan. La conque marine, que j’ai déposée pour toi sur la plage et dont tu as reproduit l’image sur le pommeau de ton bâton, est ton emblème.

 

Et pourquoi donc ?

 

– Parce que tu es un chef, même si tu l’ignores encore, et la conque est le symbole du ralliement, celui qui la détient prend la tête pour mener le groupe à bon port.

 

– Qu’est-ce que je dois faire ?

 

– Pour commencer, il te faut affronter Masy, le maître de l’océan.

 

Tout à coup, Miry se mit à trembler… de froid, de frayeur, d’émotion.

 

La femme des eaux fit enfiler à Miry une queue de poisson et fit de même. Puis le garçon de l’air et son guide nagèrent côte à côte vers le large. Ils avançaient vite dans l’espace liquide. Soudain, un bruit assourdissant faillit noyer Miry : celui d’un immense battement de queue, accompagné d’une giclée d’eau et d’une voix tonitruante :

 

– Qui va là ?

 

Miry resta coi, son guide répondit à sa place.

 

– C’est un aérien qui vient chez nous chercher la connaissance et la puissance.

 

– Pourquoi chez nous ?

 

– Parce que c’est ici qu’est née la vie. C’est l’océan qui pourvoit la terre en air, qui lui envoie la pluie et qui contribue à la nourrir.

 

– S’il en est convaincu et si ses intentions sont pures, qu’il le prouve ! Qu’il approche et entre !

 

Devant Miry, une bouche gigantesque s’ouvrit. Une barrière de dents acérées en rendait l’accès périlleux. Tremblant, le garçon avança, invoquant ses ancêtres et leur demandant de lui pardonner cette escapade maritime. Puis il s’aventura dans le passage obscur : il manqua de se couper un membre contre une rangée de coraux, une glissade vertigineuse le fit atterrir sur une surface gluante et marécageuse, il trébucha sur des arêtes saillantes, escalada des monticules, franchit des trous… Et il déboucha enfin sur ce qui ressemblait à une clairière.

 

Miry vit une grande étoile de mer à cinq branches dont la lumière permettait d’éclairer un spectacle saisissant : animaux et plantes de toutes sortes, pierres précieuses de toutes les couleurs, sur un fond de paysage d’une beauté à couper le souffle. Le coeur de la mer était là, dans toute sa grandeur, sa splendeur, sa force, ses richesses. Miry était étourdi d’admiration. Il avança vers ce paradis marin, mais avant de l’avoir atteint, il fut happé par une grande force et se retrouva à l’air libre, sur le dos du géant bleu, le maître de l’océan, qui le fit glisser dans l’eau.

 

– Miry, tu as subi les épreuves sans défaillir. Par le pouvoir que le Grand maitre de la création m’a conféré, moi, Masy, maître des eaux, je te reçois dans la famille des êtres aquatiques et te transmets la connaissance et le pouvoir qui te permettront de t’allier à la mer.

 

Masy prit de l’eau dans sa bouche et la souffla vers la tête de Miry.

 

– Je te bénis, fils, par le ranomasy, eau sacrée. Que l’océan te soit bénéfique, le ciel clément et la terre sécurisante.

 

Ainsi, Miry reprit le chemin du village. C’était samedi, jour des êtres aquatiques. Il avançait sans hâte, les yeux dans le lointain. S’appuyant sur son bâton, il marchait droit, serein et fier. Lui, Miry, allait ouvrir le chemin de la mer à sa région. Dans sa main gauche, une conque marine contenant le trésor qui lui permettrait de nourrir son peuple : l’art de l’exploitation de la mer. Il devait être responsable, aussi bien vis-à-vis des habitants que de l’eau sacrée. Il devrait protéger la mer, génitrice, être vivant, de la profanation et de la surexploitation, actes qui provoquaient le courroux du grand bleu et qui se retourneraient immanquablement contre ceux qui les avaient perpétrés. Miry devrait se porter garant d’un mariage heureux entre la mer, la terre et l’air.

 

Un conte est un conte, j’ouvre l’huître, vous collectez la perle !

 

 

 

 

 

 

Par Sylvia Mara

(article publié dans no comment magazine n°39 - Avril 2013 ©no comment éditions)

 

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