2012-09-15 Des rivalités inoubliées malgré les migrations
Notes du passé : Des rivalités inoubliées malgré les migrations
Les migrations temporaires et définitives de la première moitié du XXe siècle, si elles sont bénéfiques autant pour l’employeur, grande exploitation agricole ou grande entreprise économique, que pour le travailleur ont d’autres conséquences.
D’après Raymond Decary, administrateur en chef des Colonies, et Rémy Castel, administrateur-adjoint, envisagées sous l’angle politique et social, les migrations temporaires ne présentent pas d’intérêt considérable. Et ce, du fait qu’il y a un contact entre « individus primitifs » qui constituent la grande majorité des émigrants et les populations « plus évoluées ».
Les premiers restent presque toujours groupés en villages séparés, ne se mêlent pas aux seconds, parfois en raison d’anciens antagonismes. Et lorsqu’ils sont de retour dans leur pays natal, ils oublient rapidement les rares progrès momentanément accomplis pour se refondre dans la masse de la tribu qui les absorbe de nouveau.
« Seuls quelques esprits plus actifs ou plus intelligents retirent un avantage incontestable du séjour en dehors de la tribu ». Raymond Decary cite le cas de « mafanafo », travailleur expatrié qui, de retour de la Réunion où ils ont appris des rudiments de lecture et d’écriture, montrent quelque orgueil de s’être élevés au-dessus de leurs parents.
Les uns cherchent alors à s’engager comme surveillants de travaux de route ou de prestations ; d’autres qui ont été employés comme domestiques, se placent comme cuisiniers au service des Européens. Plus nombreux sont ceux qui ont pris goût au riz et paraissent disposés à s’en nourrir malgré son prix élevé dans l’Extrême-sud.
Néanmoins, le va-et-vient de Malgaches d’un bout à l’autre de l’île entraîne parfois des inconvénients malgré la règlementation dont il est l’objet. Certains migrants, sur le chemin du retour, parviennent à se soustraire à l’obligation du visa des passeports qui permet de les surveiller. Ils vagabondent dans les solitudes du pays sakalava ou du Bongalava, se livrant à diverses exactions et à des vols de bœufs :
« Le retour à la tribu exige alors des mois, lorsqu’il n’est pas encore retardé par une arrestation ».
Il en va tout autrement en cas de migrations définitives. Celles-ci sont le fait des natifs des Hauts-plateaux qui ont le sens de la propriété, gens calmes dont le tempérament est à l’opposé du « caractère fruste et batailleur » de ceux du Sud, « surtout Antandroy et Mahafaly ».
Ces migrants définitifs agissent par infiltration progressive, par « tache d’huile ». Ils demandent des concessions, achètent des terrains, les mettent en valeur, forment des noyaux de colonisation qui finissent par se souder, refoulent la population locale.
En 1940, c’est un phénomène qui se constate dans les villes, telles qu’Ihosy. À une époque très ancienne, elle a été une simple bourgade habitée par quelques Betsileo. Les Bara, dans leur progression, expulsent ces derniers et Ihosy qui croît en importance, est de nouveau betsileo.
Bekily, ancienne bourgade antandroy est devenue betsileo, de même Ambovombe. Betroka n’est plus bara, mais betsileo. Ankavandra cesse d’être sakalava et se peuple d’originaires des Hauts-plateaux. Ifanadiana, autrefois habité par les Tanala, n’est plus qu’un village de commerçants descendus des Plateaux, « les habitants primitifs étant retournés dans leur forêt pour éviter tout contact ».
Dans les larges vallées de grande culture irriguée, même phénomène : la Basse-Betsiboka est, au point de vue ethnique, devenue un satellite des Hautes-terres.
Dans le Sud-ouest, des habitants primitifs sont refoulés sur des étendues considérables : les Antanosy occupent près du tiers du district de Betioky et une partie de Bekily. Au Nord, depuis l’occupation française, les Sihanaka marquent une poussée très nette vers l’Ouest et le Nord-ouest (Port-Bergé, Tsaratanàna, Bealanana).
« L’Alaotra qui est tributaire de l’océan Indien, se déverse ethniquement vers le Canal de Mozambique par les grandes vallées de la Mahajamba et du Bemarivo. De même, les Tsimihety débordent largement vers le Nord et le Nord-ouest à Vohémar, Antalaha, Port-Bergé ».
Conséquence directe de la pacification française, ces déplacements considérables n’éteignent pas pour autant les anciennes rivalités de races. Les populations côtières « sont loin, malgré certaines apparences, de voir d’un bon œil l’installation des émigrants chez eux ».
Pela Ravalitera
Samedi 15 septembre 2012
La Gazette