Ouioui en Malgachie
Ouioui en Malgachie
4 juin 2014
Makafka contre Maupassant
Makafka, ce n’est pas un auteur malgache du XVIIe siècle, non, cela veut dire « gueule de bois ». Pas gueule de bois de rose. Une simple gueule d’ébène. Un trou noir. Kafka disait : « Rouge sur noir, tout se barre ». On ne peut pas réussir tout le temps son entrée sur scène. Il y a toujours, à un moment donné, un câble qui vous fait trébucher. Après la timidité vient la honte. Je n’ai pas bien visé le micro. J’ai pété un câble.
De ma petite chambre d’hôtel, je retrouve petit à petit des éléments de mémoire en voyant le colis de biscuits et mon certificat d’ambassadeur sur la table de chevet. J’entends mon cerveau qui frappe à la porte pour un room service matinal. Entre deux cognements de porte sur les tympans je visualise en image de synthèse une sorte de kaléidoscope de Malgaches en costumes.
Je sens également mon haleine de toaka gasy d’échappement semblable à une papaye avariée dans un Tupperware. Remontent en surface autant de relents nauséabonds que de bribes d’images incohérentes où des roues de bicyclettes marquent des buts en or massif sur un terrain de baby-foot. Mon cerveau lent se fatigue à prendre le vent, il décolle à peine. Le fil de mes pensées retombe tel un triste parachute. Le service de chambre de mon cerveau finit par s’estomper puis disparaître pour qu’un deuxième room service vienne frapper à ma porte pour de bon.
Je suis Makafka pour de bon.
Mamy, tout souriant, arrive avec un café fumant sur un plateau d’alu.
- Inona no vaovao, l’ambassadeur ?
- Ambassadeur, vaovao bobo tête, tête de veau …
Mamy ne m’a pas compris, mais il rigole quand même.
- Tu sais Mamy, je ne sais pas dans quel film de brouillard j’ai joué hier soir, mais en tout cas … Merci Mamy.
- Oh, rien de messant, zé zuste traduis à ma façon tout ce que tu tentais de me dire. Zé adressé les convenances habituelles à l’assemblée. Zé improvisé un discours protocolaire, et en fait je me suis bien amusé !
J’apprends beaucoup de choses avec mon ami Mamy, notamment le protocole qui vient je crois, de proto (prototype) et de colle (adhésive). Les discours malgaches, ou kabary n’en finissent jamais car il faut toujours remercier l’autre qui remercie les autres de les avoir remerciés. La politesse se colle à toute l’assemblée glutineuse et on ne s’en décolle plus. Cela permet aussi aux participants de sortir de leur garde-robe personnelle les plus beaux habits du dimanche afin de les tester. La coquetterie et les chaussures qui brillent sont annonciatrices d’un protocole ou d’un rendez-vous religieux.
- Mais comment donc étais-je habillé, hier soir ?
- Comme un Français. Rien de grave.
Je n’ai pas insisté, mais j’ai appris par la suite que les Français ont cette réputation d’être mal coiffés et souvent en guenilles. Les Français guenilleux et sans coiffeur.
Moi, je ne suis pas un adepte des protocoles. C’est peut-être pour cela que ma timidité a dépassé les bornes pour se réfugier dans les bars. On ne me protocolera plus d’ici tôt, même pour un kabary dans un bistrot.
En tout état de cause, me voici libéré de ce cérémonial et de ce pot de glu qui me rendait nerveux et mal à l’aise. Je me sens soulagé d’avoir passé cette épreuve en public.
Aujourd’hui, me voici prêt à affronter une belle journée malgache avec mes 37 kg de biscuits Choco-papaye et une faim de makafka be.
Ant (le lieu), Sira (le sel), Be (Beaucoup). Antsirabe. C’est chlorure de sodium City. Le sel doux, ici c’est le sucre. On dit Siramamy : Sira (sel), Mamy (doux)
Antsiramamibe : la ville du sucre, diraisje. L’endroit où ça chauffe et finit en caramel. L’ethnie des Betsileo est forte en chocolat, et là je parle en méconnaissance de cause car je ne sais rien de cette grande île rouge. Cependant, il faut toujours faire un peu son malin dans les récits de voyage. Je tiens cela de mon grand-père qui se persuade que le petit vin blanc de Nogent est le seul de France. Grand-père pense que tout ce que l’on voit à la télévision est une oeuvre diabolique des spéculateurs en argenterie. À mon tour de faire croire que les Betsileo ont inventé le toaka gasy, que toutes les cocottes de la planète viennent des Ambatolampiens. C’est beaucoup plus rassurant de croire ce que l’on dit. Sinon on ne parle plus.
Au pays du sucré salé, je passe maintenant à l’épreuve du rafraîchissement. Après la fusion des cocottes et l’incendie du toaka gasy, voici la froideur des hauts plateaux malgaches. Un froid de Malgachie, pas au point de faire du ski mais suffisamment pour enfiler des couvertures quand la nuit tombe. Le miracle d’Antsirabe, c’est qu’il y a des sources naturelles d’eaux chaudes. Il y a une plomberie sous terre qui fait sortir gratuitement de l’eau qui fume afin de réchauffer le moral des troupes betsileo. Vous expliquer comment ça marche ?C’est une autre paire de manches. Faudrait questionner les chauffagistes malgaches. En tout cas, il y a une grande piscine municipale à 28 °C qui fume toute l’année. L’eau qui vient du cumulus de la Terre soigne plein de maladies et je repense à grand-père pour ses problèmes de genou avec le docteur Courcelles. Le voyage soigne la jeunesse, mais aussi les rhumatismes. Les rhumatismes ce ne sont pas les adeptes du rhum toaka, c’est un problème d’os et d’articulation. Mamy, il prononce bizou pour bijou, zenou pour genou. Il articule mal. Le rhumatisme c’est pareil, c’est une mauvaise articulation du pignon de la rotule. Les eaux souterraines ont la faculté de réparer l’essieu. C’est la faculté de d’Antsirabe médecine.
Pour symboliser ce don de la nature, la ville d’Antsirabe a construit l’Hôtel des Thermes, digne des châteaux cathares. Pour ne pas confondre, un hôtel des thermes n’est pas un hôtel grammatical où l’on enseigne le maniement des mots. C’est juste un bel édifice qui rend hommage à l’eau. Mohamed V du Maroc est venu y séjourner durant son exil, du temps de mon grand-père. Un hôtel des thermes abrite tous les métiers de l’eau. Les uniformes des employés du château sont blancs. Blanc comme kiné, masseur, ostéopathe, rhumatologue, dermatologue … Plus pleins d’autres métiers en « ogue ». Je ne suis pas historien, mais faudrait voir à ne pas raconter d’histoires ! Ne me faites pas croire qu’il n’y a pas de rapport entre le zébu à bosse et l’arrivée de Mohamed V en Malgachie. Les douaniers d’Ivato n’ont pas dû voir passer le dromadaire de Mohamed dans ses bagages. Encore une fois, je ne suis pas mémorialiste, ni animologue mais la ressemblance est frappante entre les deux animaux. Aussi, on ne fouille pas un roi à la douane. C’était facile pour Mohamed, dans les années cinquante d’amener son dromadaire en exil. Et qu’on ne me raconte pas de serpent à sornettes : il y a eu transplantation de bosse illégale.
Un point, c’est tout.
par Philippe Bonaldi
No comment&éditions est une maison d’édition malgache créée à Antananarivo en novembre 2011.
Elle publie principalement des livres sur Madagascar.
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