Conte: Rafotsiarifanahy et Randrianarisaina.

RAFOTSIARIFANAHY et RANDRIANARISAINA (1)
(Betsileo)
Rafotsiarifanahy et Randrianarisaina se marièrent.
Les époux avaient tous deux beaucoup d'esprit.
Le mari s'en alla un jour à la pêche, et prit une anguille.
Il avait un aide de camp (2) du nom de Ramahatodia.
Il l'envoya porter l'anguille à Rafotsiarifanahy, en lui recommandant de dire à celle-ci: « Cette anguille, a dit ton mari, il ne faut pas la faire cuire ni la faire griller. Prends-la dans ta main et garde-la jusqu'à ce qu'elle soit cuite. »
« Donne-moi, dit la femme à l'aide de camp, cette semence de canne à sucre. Tu vas la planter aujourd'hui. Elle va pousser à l'instant, et tu me l'apporteras ce soir. Je la ferai manger à l'anguille. »
« Tu es folle, Rafotsiarifanahy, répondit l'homme. Est-ce qu'une semence de canne à sucre plantée aujourd'hui, va croître à l'instant et pourra être mangée dans la journée même où elle a été plantée ? »
« Celui-là est encore plus fou, répondit la femme, qui ne veut pas faire griller une anguille, et qui prétend qu'elle se cuira en la conservant dans sa main. »
L'aide de camp fut stupéfait de la présence d'esprit de la femme.
Longtemps après leur mariage, l'homme, qui était roi (ils étaient de la caste noble), partit en guerre avec le même aide de camp.
Randrianarisaina fut fait prisonnier par les ennemis et l'un d'eux le prit comme esclave(3).
Randrianarisaina dit à son maître qui était d'aussi haute noblesse que lui :
« Je t'abandonne mon royaume, tous mes biens, en un mot tout ce que je possède, si tu me laisses retourner dans mon pays. »
« Ton corps m'appartient, répondit le maître; à plus forte raison les biens que tu possèdes. »
« Va trouver ma femme, dit alors Randrianarisaina à Ramahatodia, et demande-lui ce qu'elle pense de la libération de son mari, qui est devenu esclave. »
Ramahatodia rapporta les paroles de son chef et voici ce que répondit Rafotsiarifanahy:
« Le roi ne peut donner ni son royaume ni ses biens : ils ne lui appartiennent plus.
Dis à mon mari que l'argent ne s'allie qu'à l'argent, et l'or à l'or.
Un esclave ne peut pas donner un royaume et des biens sur lesquels il n'a aucun droit.
Qu'on vende à un Hova l'esclave qui t'a envoyé, ou que son maître le garde. »
Ramahotadia retourna porter cette réponse au mari qui en fit part à son maître.
Ce dernier très mécontent, se mit en route pour le village de Randrianarisaina, où se trouvait Rafotsiarifanahy.
Arrivé là, le roi ennemi entretint celle-ci de la libération de son mari :
« C'est une question bien délicate, seigneur, répondit la femme. Montons à l'étage
supérieur, nous allons la discuter. »
Dès qu'ils furent montés, Rafotsiarifanahy enleva l'échelle qui faisait communiquer l'étage avec le rez-de-chaussée :
« Que faites-vous, Madame, dit le roi? »
« L'argent, répondit Rafotsiarifanahy, ne s'allie qu'à l'argent et l'or qu'à l'or, seigneur. Si vous ne rendez pas la liberté à Randrianarisaina, je vous fais esclave.
Si on le tue, je vous tue. »
« Laissez-moi retourner chez mon peuple, répondit le roi; et votre mari va revenir auprès de vous.
Je vais le faire délivrer, et désormais je ne le rendrai plus esclave. »
Revenu auprès de sa femme, Randrianarisaina lui dit :
« Tu seras dorénavant ma mère et non ma femme.
Nous serons comme la main droite et la main gauche; le mal dont souffrira l'un, l'autre le ressentira aussi, nous nous soutiendrons comme les cannes à sucre qui se relèvent mutuellement quand l'une d'elles penche trop vers la terre.
Mon royaume, tu le gouverneras, car, par ta sagesse, l'amertume des jours passés a fait place au bonheur et au bien-être actuels. »
(1) Recueilli à Fianarantsoa.
(2) Ce mot est loin d'avoir, à Madagascar, la signification qu'il a chez nous. L'aide de camp malgache est toujours un fidèle client du personnage auprès duquel il remplit ces fonctions, plutôt civiles que militaires, et qui vont souvent jusqu'à la préparation du repas du patron. Le premier ministre doit en posséder au moins une vingtaine de mille.
(3) Un grand nombre d'esclaves de naissance descendent des prisonniers de guerre réduits en esclavage par Radama 1er au commencement de ce siècle.
Contes populaires malgaches
Recueillis, traduits et annotés par
Gabriel FERRAND
Editeur : E. Leroux (Paris) 1893