Savika: combat de zébu
Le Savika: la corrida malgache
Le Savika ou corrida malgache
Dans l’Amoron’i Mania on aime parler, on est même réputé discoureur. Et surtout on s’y connaît en «Savika », une tauromachie traditionnelle ancrée depuis la nuit des temps dans le pays et la culture Betsileo. A Pâques comme à la Pentecôte l’homme et la bête devenus adversaires pour un moment d’ivresse s’en vont conquérir la ville et la gloire. On peut alors ne plus se croire tout à fait à Ambositra, mais dans quelque coin d’Espagne ou de Texas…
Les habits ne sont pas de lumière. Peu importe, les combattants qu’on appelle Mpisavika mettent un soin particulier à se ceindre le corps avec un pagne qui, combiné aux vertus de la mixture de hazomanga dans laquelle baigne une pièce de monnaie en argent appelée tsangan’olona, est censé tenir lieu de cuirasse. Cette eau magique, le Mpisavika se la passe longuement sur les membres et toutes les parties exposées, avant de clôturer sa préparation pseudo-mystique par une gorgée de toaka gasy, un tord-boyaux artisanal qui n’en finit pas de courir après son officialisation. Efficace ? Si personne n’a souvenance d’un quelconque accident mortel car le Savika se veut avant tout une fête, il n’empêche que les blessures sont courantes. Aux bras, à la cuisse, au ventre ou même au sommet du crâne, les cicatrices sont autant de galons acquis au champ d’honneur que le Mpisavika exhibe avec fierté et souvent dans un grand éclat de rire. Ici ni banderilles ni muleta, la règle est d’exciter au maximum les taureaux pour ne pas que l’affrontement tourne à la plaisante simulation. Le combat peut paraître inégal car à la bête tout est permis et pour cause ! Pour éviter d’être piétiné, encorné ou envoyé dans les airs le torero n’a que ses mains nues et ses ruses de roseau pensant. Agrippé tantôt à la bosse tantôt aux cornes, son but est d’avoir à l’usure cette force brute qui lui est opposée. C’est au prix fort que la victoire est acquise quand, dépité et épuisé par sa propre débauche d’énergie le taureau repère au son de cloche finale l’entrée de l’enclos dont la barrière a été relevée, et s’y engouffre sans demander son reste.
Le Savika est une des mille facettes de la place du zébu dans la culture d’un pays à dominante rurale où, des travaux des champs aux fêtes familiales, rien ne se conçoit sans son apport d’indispensable auxiliaire ou de victime expiatoire. Là où l’usage de l’araire n’a pas encore été vulgarisé le labour se fait en tandem jusqu’à ce que, remodelés par les éclats de glaise, hommes et zébus ne soient plus que d’étranges silhouettes fantasmagoriques. En pays Betsileo la fin de la pénible préparation des rizières donne souvent lieu à des Savika spontanés où chacun jette les dernières forces qui lui restent.
La corrida malgache a aujourd’hui franchi un palier et acquis droit de cité avec ses arènes à Ambositra. Il est même question de la codifier pour en faire un sport à part entière. Mais on ne s’improvise pas Mpisavika, ni ne choisit de le devenir, on l’est de père en fils et les techniques s’héritent. Il faut côtoyer les bêtes, connaître leurs instincts et réactions, et savoir les anticiper au moment du face-à-face. Il faut surtout les aimer car le zébu ne sera jamais un ennemi.