Soyez poli, s’il te plaît…

Publié le par Alain GYRE

Soyez poli, s’il te plaît…

 

26.05.2014

 

Au départ, c’est parti d’une idée, d’une constatation, d’une observation… je veux parler d’une valeur en pleine déperdition, la débâcle totale, à moins d’une transmutation inévitable liée à la dynamique implacable du contextuel culturel : la politesse.

Si vous jetez un coup d’œil du côté du Petit Larousse 2013 (désolé, on n’a toujours pas accès à celui de cette année…), le mot « politesse » se trouve défini par l’acception suivante : « nf (nom féminin, donc) ensemble des règles de courtoisie, de bienséance ; respect de ces règles ». Et puis, il y a les souvenirs vagues qui remontent à la petite enfance ( et oui, même les plus grands pachas patriarches sérieux, malgré leur air distant, « distrait, lointain», hautain, désintéressé et qui donne l’impression qu’ils n’ont jamais, au grand jamais, vécu une enfance, en ont eu une ) de ces personnes, ces adultes –pour ne pas user du « malgachisme », pourtant justifié : « grandes personnes »- qui nous ont tenu, dans un ton rasant la réprimande parfois, cette apostrophe : « sois poli… reste poli avec les gens ». Remise en question soudaine de l’enfant encore tout emprunt de l’idyllique « principe de plaisir », retour à l’ordre tout à coup, en constatant presque brutalement que les gens ici ne sont pas comme ceux de la maison, les familiers qui comprennent quoi qu’il en soit les frasques d’enfants de chez eux, … « Rester poli avec les gens », début de la socialisation nécessaire, ne pas agir comme on veut, tout simplement parce que ça nous plaît, quand ça peut ne pas plaire aux gens, aux autres, à l’autre… « Être poli », une façon d’intégrer les mécanismes d’interactions sociales, du plus petit rouage de l’engrenage, facilitant tout simplement les communications et les échanges fondamentalement difficiles et complexes,  jusqu’à ceux là, maîtres qui déterminent des destins, des moteurs principaux qui tournent en faveur ou non des dynamiques fatales et déterminantes, parfois, d’une vie. Débutant au sein des feux affectifs des familles, passant par les agencements complexes des puéricultures, l’école, le collège, passant par le tohubohu effervescent d’adolescence du lycée, l’enseignement supérieur, devenir adulte responsable, tant bien que mal une « grande personne », la quête sophistiquée d’une activité professionnelle, d’une carrière décente… « Politesse », prouesse presque messianique  frisant presque parfois l’hypocrisie ; pire,  la maladresse méprisable de l’obséquieux…

Il s’agit de s’imposer, imposer sa personne en froissant le moins possible autrui, tout un art. Aussi vrai que la liste des façons et expressions linguistiques ou autres  pour dire « oui », accepter en français est ostentatoirement plus courte que celle qui exprime le refus, « non ». Ne pas accepter, plus difficile à gérer car s’opposant à l’horizon d’attente de l’autre c’est casser une dynamique d’expression affective vraie ou non; complexe, nécessitant parfois une vraie hardiesse ; refuser ne se limite pas à dire non, on s’excuse. Quant au domaine malgache, relevons, d’abord, sur la question de la politesse, le point de vue essentiel de l’autre dans le cadre du relativisme des cultures. « Azafady », le mot de passe magique pour avancer soi parmi les tornades de colère et de frustrations latente environnantes. L’expression « Azafady » développée à la séquence onze de Rade terminus (POL, 2004) de Nicolas Fargues qui fait un compte rendu ethnologique de voyage à ces lecteurs ; en note en bas de page, « prononcer azafade », point injonctif essentiel pour ceux qui veulent s’aventurer (terme à ne pas saisir forcément dans son acception péjorative mais dans sa dimension de découverte pleine) ici. Dans ce passage est écrit : « azafady signifiait à la fois s’il vous plaît et pardon en malgache ». Une expression figée de la courtoisie de base qui en un seul mot bien commode et pratique, car avance de choeur la demande et l’excuse. Chez nous aussi, plus solennel, plus proche des racines profondes de la tradition atavique, « miala tsiny ». Le « tsiny » étant une analogie locale du mauvais karma, « miala tsiny », c’est un terme d’expression de l’excuse pour préfacer, exorciser le mauvais sort, le mauvais destin. Celui qui prend la parole s’excuse d’abord. Nous connaissons notre prédilection poussée pour le verbe, le beau discours ; j’ai aimé cette petite insertion humoristique de Rakotonaivo Julien dans l’introduction de son discours lors de la manifestation commémorative de la journée mondiale de la « Diversité culturelle » de cette année qui s’est tenue à l’amphi 10 de la fac des Lettres qui disait qu’il y a ceux qui marchent dans leur sommeil, les somnambules, ceux qui parlent pendant le sommeil… et ceux qui parlent durant le sommeil des autres, le conférencier. Car accaparer le temps, l’attention des autres nécessite la présentation d’excuses. Et après avoir commis une erreur, une bourde monumentale, au sommet de la gradation des expressions d’excuses, on dit « miala tsiny ». Être poli, dans toutes les civilisations, je le crois, suppose une empathie avec l’affect et les perceptions d’autrui.

A la genèse de cette chronique, j’avais pensé à un titre comme « il était une fois, la politesse… », parti du constat de la perte de certaines valeurs dans les relations humaines et sociales, intitulé insinuant donc que la politesse intègre les éléments lumineux et magnifiés d’un âge d’or. Alors, je préfère axer ce développement sur la politesse vers une orientation plus ouverte, plus contextuelle. Dans un film à la télévision, entre le tir et la mort théâtrale d’un personnage clé, presque deux minutes et plus de spots publicitaires, les téléspectateurs d’ici ou d’ailleurs déjà habitués ont appris à gérer leurs frustrations ; ici, délestage de presque une journée ou une nuit à une date fatidique où on a justement besoin d’électricité, jamais aucune facture n’a été accompagnée d’une lettre d’excuses de la compagnie monopole; les artefacts des nouvelles technologies de la communication permettent qu’on puisse, en quelques caractères, aligner des phrases solennelles sans l’obligation d’être en face à face réel… Si Sartre ferme sa pièce théâtrale majeure Huis-clos par l’anthologique réplique « l’enfer, c’est les autres », c’est, quelque part, pour réaffirmer, pour rappeler le postulat de la complexité des co-existences. Être poli, une manière d’alléger les pesanteurs de cet enfer. Actuellement, contexte neuf, perpétuellement nouveau, dynamique des rapports de forces sociales, économiques, politiques, des configurations nouvelles – encore inconnues même jusqu’à l’avènement des nTics-,… en transmutations continuelles. Pour être mieux, un monde plus confortable à vivre, repenser l’institution de la notion de respect de l’Autre…

 

Andrian Ndzack

L’Express

Publié dans Revue de presse

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