Conte: Tenike.

Publié le par Alain GYRE

 

Tenike.

 

Ndrimo l’ogre avait une fille qui s’appelait Tenike.

Un jour, Tenike alla puiser de l’eau à la fontaine avec des filles de son âge. Mais, en cours de route, elle s’éloigna un moment de ses amies tout en leur confiant sa cruche. En son absence, une des filles dit :

-          Pourquoi ne pas cacher la cruche de Tenike ?

-          Allons-y ! répondirent en chœur les autres.

Elles dissimulèrent la cruche de Tenike dans une touffe d’herbe.

A son retour, Tenike s’aperçut que son récipient n’était pas là.

-          Où est ma cruche ?

-          Nous l’avons cassée, répondirent les filles à l’unisson.

Tenike ne put plus retourner au village. Comment oser reparaître devant son père Ndrimo l’ogre sans la cruche remplie ? A coup sûr, il ne ferait qu’une bouchée de sa fille. La voilà acculée à se cacher dans la forêt.

Revenues de la fontaine, les chercheuses d’eau rapportèrent à Ndrimo :

-          Après avoir cassé votre cruche, Tenike a pris le chemin de la forêt.

-          Et pourtant, je ne lui aurais fait aucun mal, répondit l’ogre avec hypocrisie.

Ndrimo partit à la recherche de sa fille. Dans la forêt, il chantait :

« Tenike-ci,

Tenike-là,

Notre maison est ouverte pour toi. »

Tenike l’entendit très bien, mais elle ne sortit pas de sa cachette, si bien que l’ogre rentra à la maison sans l’avoir retrouvée.

-          Cherche-la ! demanda-t-l à sa femme.

-          Est-ce que je la retrouverai ? dit-elle.

Elle partit néanmoins, par obéissance envers son mari, mais aussi par amour et ardent désir de revoir sa fille. Elle apportait à manger pour elle.

Dans les bois, la mère de Tenike chantait :

« Tenike-ci,

Tenike-là,

Notre maison est ouverte pour toi. »

Reconnaissant la voix maternelle, cette voix combien douce, combien familière, Tenike apparut et sa mère lui servit la nourriture qu’elle avait apportée. Après le repas, elle lui déconseilla de retourner chez l’ogre et rentra.

-          Tu l’as trouvée ? demanda Ndrimo.

-          Non, mentit la mère. J’ai mangé la nourriture que j’avais apportée pour elle.

Il en fut les jours suivants comme ce jour. Chaque fois que Ndrimo appelait, Tenike ne sortait pas de sa cachette. En revanche, chaque fois que sa mère appelait, elle apparaissait. Mais Ndrimo n’était pas dupe.

-          Il me faut prendre une voix aiguë et douce comme celle de sa mère, pensa Ndrimo, et d’abord, consulter un sorcier.

Ndrimo l’ogre se rendit au village d’un célèbre sorcier. Il lui exposa son problème et le sorcier se mit à frotter écorces et racines sur une pierre plate préalablement mouillée tout en prononçant d’indéchiffrables formules incantatoires. Un résidu humide se forma bientôt sur la pierre plate.

-          Léchez ça ! dit-il en tendant la pierre plate à Ndrimo.

Ndrimo balaya le résidu de sa langue de géant.

-          Parlez maintenant ! ordonna le sorcier.

L’ogre parla et fut surpris d’entendre que sa vois caverneuse avait mué en une voix douce, aussi douce que celle de sa femme.

-          Tu es satisfait ! Seulement, sache-le, il est tabou de manger de « lamonty » (1) , l’avertit le sorcier. Si tu en manges, gare à toi !

Après avoir remercié le sorcier et payé les frais de sa magie, Ndrimo s’en alla.

Il prit aussitôt le chemin de la forêt, sans passer par la maison de peur de rencontrer sa femme.

L’été battait son plein. L’été est la saison de la maturité des fruits sauvages. Des « lamonty » mûrs débordaient les feuillages, chancelant sous le souffle moelleux du vent. Incapable de résister à la tentation, Ndrimo suspendit un instant sa marche, en cueillit, en mangea, puis repartit.

Dans la forêt, l’ogre chanta :

« Tenike-ci,

Tenike-là,

Notre maison est ouverte pour toi. »

Mais sa voix était redevenue la voix grave de l’ogre, parce qu’il avait violé les prescriptions du sorcier et mangé le fruit interdit. Tenike ne quitta pas sa cachette.

Ndrimo l’ogre fut obligé de rendre une nouvelle visite au sorcier. Le sorcier recommença son incantation pendant qu’il frottait écorces et racines sur la pierre plate. Le résidu magique transforma la voix de Ndrimo l’ogre en une voix de femme. Ceci fait, Ndrimo prit congé du sorcier. En route, il résista à la tentation des « lamonty » et chanta :

            « Tenike-ci,

Tenike-la,

Notre maison est ouverte pour toi. »

La voix douce, aiguë, pareille à celle de sa mère, fit sortir Tenike de sa cachette. Elle tomba nez à nez avec l’ogre. Après une brève hésitation, elle fut contrainte de se livrer.

-          Te voilà, ma fille. Pourquoi t’es-tu enfuie ? Je ne me fâche pas contre toi, dit Ndrimo.

-          Je croyais que tu me dévorerais, répondit indolemment la fille.

Ndrimo coupa une termitière à la base. Ensuite, il en vida l’intérieur. Puis il creusa le prolongement des galeries dans le sol, y alluma le feu et le tisonna à l’aide de fagots de bois sec. Une flamme ardente jaillit. Ndrimo plaça sur le feu la termitière creuse, qui formait le couvercle. Un moment après, il retira le couvercle et voilà qu’une braise rouge apparut.

-          Viens ! Je vais te tresser les cheveux. Ils sont ébouriffés.

Tenike s’approcha de lui et le tressage commença au bord du brasier. Soudain, Ndrimo poussa violemment sa fille dans le feu. Il mit aussitôt le couvercle et attendit la fin de la cuisson.

            Plus tard, l’ogre retira le couvercle et constata que son mets était cuit.

            Il le sortit de la termitière et s’en régala.

L’odeur de chair grillée qui se répandait dans la forêt attira le corbeau. Il planait au-dessus de Ndrimo en croassant.

-          Koak ! Koak ! Ndrimo manga sa fille.

-          Et quoi ? Est-ce votre fille ? s’emporta Ndrimo.

Après ce repas plantureux, Ndrimo regagna le village.

-          Tu l’as trouvée ? lui demanda sa femme.

-          Non, mentit l’ogre.

Mais les femmes savent déchiffrer le langage du visage : la mère sut que sa fille avait été mangée.

Un jour, en l’absence de l’ogre, elle se rendit dans la forêt et découvrit les ossements de sa fille. Elle les ramassa. De retour à la maison, elle les enduisit de graisse de zébu et les rangea dans une valise qu’elle mit au grenier.

Deux semaines plus tard, des bruits s’y firent entendre.

-          Quels sont ces bruits ? demanda Ndrimo à sa femme.

-          Les souris envahissent le grenier, répondit-elle.

En réalité, c’étaient les ossements enduits de graisse qui s’étaient progressivement revêtus de chair et avaient donné vie à Tenike. Un jour que l’ogre était absent de la maison, la femme sortit Tenike de la valise. Elle était telle qu’auparavant, sa mère heureuse l’embrassa.

Ndrimo arriva à la maison et, découvrant Tenike, demanda à sa femme :

-          De qui est cette fille ?

-          C’est la fille de ma sœur, répondit la mère. Je l’ai faite venir ici parce que je me sens seule, lorsque tu voyages.

Un jour, Ndrimo était à plaisanter avec sa fille quand, imprudent, il lui, tourna le dos. Tenike lui planta un couteau entre les épaules, frappa, frappa encore, et le tua. Puis elle prit la fuite et plongea dans l’eau profonde d’où elle ne ressortit jamais.

 

(1)   Genre de fruit sauvage

 

 

 

SAMBO

Adaptation Olivier BLEYS

Contes et légendes Tandroy

L’Harmattan

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