Conte: Tretreke.

Publié le par Alain GYRE

Tretreke.

Un jour, Ndrimo l’ogre avala le roi et les habitants de tout un village, hormis la servante Tretreke et la petite fille du roi qui purent se cacher sous un grand mortier.

-          Je vais t’emmener chez ta grande sœur, dit Tretreke à la petite princesse..

Sa sœur aînée s’était mariée à cent lieues du village maternel et n’était pas au courant du malheur qui s’était abattu sur les siens.

Pour la rejoindre, Tretreke et l’enfant marchèrent des jours entiers… Mais, peu habituée à la longue marche, la petite princesse se vit tôt fatiguée : ses jambes s’alourdissaient, elle ne pouvait plus avancer d’un pas.

-          Porte-moi sur le dos, Tretreke ! supplia la petite fille du roi en pleurnichant.

Cependant –était-ce une vengeance ? – la servante exigea d’elle une contrepartie.

-          Je te porterai à condition que tu me donnes ta robe.

N’ayant pas le choix, la fillette se déshabilla tout aussitôt. Tretreke la prit sur son dos. Mais elles n’avaient pas fait une lieue que Tretreke la fit descendre. La voilà obligée de marcher encore. Un peu plus loin, la fatigue lui enchaîna les jambes. La petite fille s’arrêta.

-          Porte-moi sur le dos, Tretreke !

-          Je te porterai à condition que tu me donnes tes joyaux.

L’enfant se défit de ses bijoux tout aussitôt. Tretreke la remit sur le dos. Mais après quelques enjambées, elle la fit descendre pour lui extorquer autre chose, tout ce qui lui restait : pagne, sandales… Oh ! Une princesse n’a rien à envier aux autres petites filles.

Aux alentours du village où résidait sa sœur aînée, la princesse se vit complètement démunie. D’abord, Tretreke lui enduisit tout le corps de boue de telle sorte quelle devint méconnaissable. Ensuite, elle l’habilla de haillons : la petite fille ressemblait à une servante. En revanche, Tretreke se vêtit de la robe de l’enfant, mit sa parure, chaussa ses sandales… Avec tout ce dont elle avait pu s’emparer, la voilà une princesse.

Au village, la sœur aînée ne reconnut ni Tretreke-la-servante (car elle était habillée en princesse), ni sa sœur cadette devenue plus noire et déguenillée qu’un ramoneur.

Tretreke relata les circonstances tragiques dans lesquelles étaient morts le roi et ses sujets et la jeune femme fondit en larmes. Le beau-fils, lui aussi, eut le cœur gros en apprenant l’événement malheureux ; seulement l’usage lui interdisait de pleurer : il est tabou de pleurer ses beaux-parents.

Le lendemain, le beau-fils dut accomplir son devoir. Il tua en l’honneur des défunts quelques zébus. Puis, il réunit toutes les tribus voisines afin qu’on les mît au courant du grand malheur, mais aussi afin que chaque village prît sa part de viande. C’était le fameux « fandofo », la viande considérée comme la chair du défunt, la viande que les proches ne peuvent en aucun cas consommer. Après cette cérémonie, la jeune femme pourrait porter le deuil et se faire couper la chevelure comme un homme jusqu’à l’expiration du délai fixé par la tradition.

Tout cela fait, la jeune femme dit aux rescapés :

-          Vous resterez ici chez nous pour toujours. Je vous défends de retourner là-bas. L’ogre y reviendra sûrement.

Elles acquiescèrent sans discuter.

L’arrière-été battait son plein. Dans la vallée, les rizières agitaient leurs épis dorés et denses. La danse des épis sous la fraîcheur automnale était fascinante. Mais, à l’aube de la moisson, les rizières étaient aussi le repaire de la bande de tisserins voraces, mangeurs de grains. Il fallait les chasser.

Tous, les jours, la fillette en guenilles était envoyée à la rizière de ses hôtes pour chasser les passereaux déprédateurs : la rizière devenait son calvaire. Chaque fois que la bande de tisserins tentait de se poser sur les épis dorés et denses, elle chantait :

« Sey, tisserins, sey.

Moi qui étais princesse deviens servante.

Tretreke qui était servante devient princesse.

Sey, tisserins, sey. »

Mais un jour, le chant pathétique de la pauvre fillette parvint à l’oreille d’un jeune bouvier faisant paître son troupeau près de la rizière. Celui-ci, le soir même, rapporta clandestinement tout ce qu’il avait entendu auprès de sa maîtresse.

-          Le chant de votre servante m’a beaucoup frappé, dit-il.

-          De quel chant s’agit-il ? lui demanda la jeune femme.

-          Un chant qui évoque son appartenance royale et le fait que la princesse sous votre toit n’est qu’une esclave déguisée, répondit le jeune pâtre.

-          Demain, j’écouterai son chant en cachette, conclut la jeune femme.

Le lendemain matin, de bonne heure, la fillette en haillons prit le chemin de la rizière. La jeune femme la suivit à son insu et se cacha dans une touffe proche du champ. Une bande de tisserins tenta de se poser sur les épis dorés et denses. Voilà que le chant de la fillette retentit :

« Sey, tisserins, sey.

Moi qui étais princesse deviens servante.

Tretreke qui était servante devient princesse.

Sey, tisserins, sey. »

Le chant eut sur la jeune femme une résonnance profonde.

-          Tu es ma sœur cadette, s’exclama-t-elle, en sortant de la touffe où elle s’était dissimulée.

Et les deux sœurs pleurèrent à chaudes larmes. Les retrouvailles, les véritables retrouvailles eurent lieu ce jour-là.

-          Elle verra ce qu’elle verra, cette sorcière, dit la jeune femme.

Sa colère s’enflamma.

Elles rentrèrent au village. Là, l’aînée fit prendre un bain à sa sœur, la rinça de telle sorte que son corps fut débarrassé de la boue dont Tretreke l’avait enduit. Sa peau, sa véritable peau refit surface : luisante, ferme. La princesse retrouva son éclat perdu, sa beauté antérieure.  On l’habilla, la para de bijoux en or, la chaussa.

Cela fait, la jeune femme mit de l’eau  à chauffer dans la cour. L’eau bouillit. Tretreke la vipère fut à la maison.

-          Viens te baigner, Tretreke ! dit-elle.

-          J’ai mal à la tête, répondit Tretreke.

-          Viens te baigner, Tretreke !

-          J’ai mal aux yeux.

-          Viens te baigner , Tretreke !

-          J’ai mal au ventre.

La jeune femme fit irruption dans la maison, se saisit de Tretreke et la plongea dans la grande marmite pleine d’eau bouillante.

 

Contes et légendes Tandroy

SAMBO adaptation Olivier BLEYS

L’Harmattan

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