Conte: Bafla, père de sept-esprits Bafla, rain’i fitofanahy
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Bafla, père de sept-esprits
Bafla, rain’i fitofanahy
Voici l’histoire de Bafla. C’était un homme un pauvre, aux jours d’autrefois, au temps jadis. Et, comme il était pauvre, il dit :
- Hélas ! Me voilà bien pauvre ! Si je suis si pauvre, je vais chercher du travail chez Grand-Seigneur.
Il partit donc chez Grand-Seigneur, chercher du travail. Il dit eny arrivant :
- Je viens chercher du travail, Grand-Seigneur, je suis un pauvre, qui cherche du travail.
Alors, Grand-Seigneur lui dit :
- Quel genre de travail voudrais-tu faire ?
- Moi, je ne sais rien faire, je suis un pauvre. Je ne sais rien faire, aucun travail en particulier.
Grand-Seigneur lui dit alors :
- Moi, je suis Grand-Seigneur, et j’ai besoin d’un ouvrier ; et arrive Bafla qui cherche du travail chez moi… Le travail qui te conviendrait serait de garder mes bœufs.
C’est-à-dure que Grand-Seigneur lui offre une place de bouvier.
- Tu seras mon bouvier, lui dit-il.
- D’accord, dit Bafla, je suis venu chercher du travail, j’ai trouvé à garder les bœufs, je suis satisfait, c’est un travail pour moi.
Bafla gardait les bœufs. Il gardait les bœufs, il gardait les bœufs, tous les jours. Ah, « un petit conte n’est jamais long et ce qu’on y raconte doit être bref ! » Grand-Seigneur lui dit :
- Toi, Bafla ! Aujourd’hui tu iras garder les bœufs dans mes terres à riz. Et pendnt que tu iras garder les bœufs dans mes terres à riz, moi, je resterai tranquillement ici.
- Oui, dit Bafla, sûr que je vais y aller aujourd’hui.
Il y est resté longtemps, longtemps, et le soir venu, tandis qu’il ramenait les bœufs au parc, Grand-Seigneur lui a dit :
- Parque les bêtes dans le parc le plus proche, parce que demain matin nous allons traire.
- Oui, répondit Bafla, je ferai exactement ce que tu me diras de faire.
Donc, il a continué comme ça, et le moment est arrivé où il devait rentrer les bêtes ; et il a rentré les bêtes. (et en ce temps-là, il n’y avait pas encore de monstres, et le soir, pour aller parquer les bêtes, il lisait l’heure sur les feuilles de certaines plantes. Quand les feuilles semblaient dormir, il se disait : c’est la nuit qui vient.) Et il a rentré les bêtes au parc.
Le travail fini, Grand-Seigneur lui a demandé :
- Les bêtes sont toutes dans le parc ?
- Oui.
- Bon, laisse-les là. Demain, tu apporteras une corde, nous allons traire ce bœuf. Je veux boire du lait de bœuf, dit Grand-Seigneur.
- Oh, se dit Bafla ! Comment faire une chose pareille ?
Il n’osa pas en parler à Grand-Seigneur, mais il en parla à son fils Sept-Esprits qui s’occupait de leur élevage de poulets sur un îlot voisin.
Cet îlot s’appelait Betsiriky. Tel était le nom de l’îlot. Et Grand-Seigneur lui avait dit :
- Va traire notre bœuf…, la corde est prête ce matin, va traire le bœuf parce que, moi, je veux boire du lait de bœuf.
- Oui.
Bafla a bien réfléchi à la chose, à ce que le si grand personnage lui avait dit, et il n’avait pas osé le questionner ;il se dit alors :
- Je vais aller trouver mon fils qui garde nos poulets là-bas. Ce n’est pas pour rien que je lui ai donné le nom de Sept-Esprits. Je vais aller le trouver.
Bafla alla donc là-bas. Il alla là-bas trouver son fils.
Et il redit à Sept-Esprits tout ce que lui avait dit Grand-Seigneur :
- Il m’a dit ceci, et cela, voilà tout ce qu’il m’a dit aujourd’hui… prépare une corde nous allons traire un bœuf. Aujourd’hui je veux boire du lait de bœuf. Et je ne sais pas comment faire pour avoir ce lait, aussi je te demande…
- Ah, papa : tu ne sais pas ça ? Moi, je le sais, et pourtant toi, tu es mon père. Je te demande la permission d’y aller. Je te le dis, c’est moi qui vais y aller, dès que je me serai levé demain matin, et toi, n’y va pas.
- Hé ! Il ne va pas me punir ?
- Mais non ! Tu vas garder nos poulets ici, à Betsiriky, où il y a des genettes et des furets. Et si nous allions là-bas tous les deux pour que je te donne mes conseils, il me semble que ce serait plus difficile.
- Eh bien, si c’est comme ça, vas-y, toi, mon fils, et je garderai les poulets ici.
Et Sept-Esprits partit. Quand il arriva chez Grand-Seigneur, de bonne heure le matin, Sept-Esprits frappa à la porte :
- Oh ! Grand-Seigneur ?
- Qui est-ce ? demande Grand-Seigneur.
- C’est moi.
- Toi, qui ?
- Mais moi !
- Toi, qui, mon gars ?
- Moi, Sept-Esprits !
- Sept-Esprits ?
Bon c’est ça qui a fini de réveiller Grand-Seigneur. Il vient voir.
- Vite, Grand-Seigneur, donne-moi des vieux chiffons, car mon père vient d’accoucher en revenant de chez toi.
- Qu’est-ce que tu dis ?
- Vite, Grand-Seigneur, donne-moi des vieux chiffons, car mon père vient d’accoucher. C’est en sortant de chez toi qu’il a accouché.
- Mon petit, tu veux me tromper ?
- Non, pas du tout, Grand-Seigneur, c’est une chose parfaitement vraie.
- Non ! Non ! Comment est-ce ton père pourrait avoir accouché ? Hier encore, c’était un homme, etbil aurait accouché ?
- Mais voyons, Grand-Seigneur, si je dis cela, c’est que hier encore mon père est venu chez toi, et tu lui as dit de traire un bœuf. Il est venu me raconter qu’il était bien inquiet, parce que tu venais de lui dire de prendre une corde et d’aller lui traire du lait de bœuf, que tu voulais absolument boire. Voilà ce qu’il m’a dit. Et c’est tout à fait la même chose : maintenant c’est mon père qui a accouché, et pourquoi est-ce que tu trouves ça risible ?
- Hé toi, dit Grand-Seigneur, hé hé ! Ton père n’est pas trop fin ! C’est toi qui vas travailler chez moi. Toi, tu as des idées ! Et ton père n’a qu’à garder les poulets chez vous.
- Ah bon, dit Sept-Esprits ?
- Oui ! Puisque c’est comme ça, c’est toi qui vas rester chez moi.
- Alors je vais aller chez mon père, je lui dirai : toi, papa, tu gardes nos volailles, et moi, Grand-Seigneur me prend pour travailler chez lui.
- Oui, reprit Grand-Seigneur, tu peux t’en aller là-bas.
Alors Sept-Esprits partit chez son père :
- Toi, papa, tu restes ici, et moi, je vais travailler chez Grand-Seigneur là-bas.
- Bon, dit le père, si c’est comme ça, vas-y ; et d’ailleurs, dis-moi comment tu as réussi là-bas.
- Eh bien, si c’est comme ça, il vaut mieux que ce soit toi qui y ailles, en effet, parce que ce Grand-Seigneur, je ne comprends pas ce qu’il dit…
Ce dut donc le fils qui partit. Et quand il arriva chez Grand-Seigneur, celui-ci lui dit :
- Te voilà, Sept-Esprits ?
- Oui.
- Toi, je ne t’emploierai plus à la garde des bœufs, tu vas t’occuper de notre ménage, rien que ça.
- Entendu, dit Sept-Esprits.
Ainsi donc, on en resta là. « Les jours sont longs, mais les contes jamais ne sont longs », ce sont des choses qu’on invente.
- Hé ! Sept-Esprits ? C’est Grand-Seigneur qui appelle.
- Oh :
- Aujourd’hui, nous allons traire les vaches, j’ai envie de boire un peu de lait, nous allons traire les vaches.
- Bon, répondit Sept-Esprits, allons-y.
- Emporte une corde.
- Oui, dit Sept-Esprits.
Ils partent. Mais Sept-Esprits n’a pas emporté de corde.
- Va devant, je te suis, dit Grand-Seigneur.
Et, Grand-Seigneur toujours marchant le dernier, ils arrivèrent sur place.
- Où est-elle, cette corde que tu as apportée, Sept-Esprits ?
- La corde ?
- Oui.
- Attends. J’y vais. Suis-moi simplement des yeux pendant que j’irai là-bas. Je m’en vais chercher la corde, dit-il.
Il est parti en courant. Et la femme de Grand-Seigneur, elle, gardait la maison.
- Ah ! Madame ! Ah ! Madame !
- Oui, dit la dame ?
- Grand-Seigneur a dit de me donner ce que je te demanderai.
- Et qu’est-ce que tu demandes, mon petit ?
- Eh bien ! Je te demande ce que je te demande.
(Faites excuse. Je ne voudrais pas dire ici des choses inconvenantes, mais voyez-vous, c’est ça l’histoire, c’est comme ça que les anciens l’ont faite, et on ne peut pas connaître son destin.)
- Ah ! Si c’est comme ça, dit la dame, je vais le lui demander tout de suite. Qu’est-ce que tu as dit à cet enfant de me demander ?
- Mais la chose qu’il demande, là !
Et hop ! Il a possédé la femme de Grand-Seigneur, et ensuite il est revenu avec la corde.
- Bah, dit la dame, ce Sept-Esprits m’a eue. C’est la corde que tu devais demander, et après… Tu vas mourir, car tu m’as déshonorée.
On fit venir Grand-Seigneur. Et Grand-Seigneur déclara :
- Que tous se présentent à ma convocation, que ce soit mon petit-fils, ou mon fils, que ce soit mon esclave, ou le chef de mes esclaves, ou encore le dernier des esclaves.
(C’était comme ça autrefois.)
- Tout le monde doit aller prendre Sept-Esprits, et le ramener chargé de cordes. « Celui qui n’obéit pas n’est pas de mon côté, mais du côté des fourmis », dit Grand-Seigneur.
Ils y sont tous allés, et Grand-Seigneur aussi, et ils ont enfermé Sept-Esprits dans un sac. Et après l’avoir enfermé dans un sac, ils l’ont posé un moment au milieu dela route. Ils l’ont laissé comme ça, cousu dans le sac, au beau milieu de la route. Et des toucheurs de bœufs sont passés, conduisant leur troupeau. Les bœufs arrivaient, et il y en avait beaucoup…
- Oh ! Les gars !
C’est lui qui les appelle. Et, vous savez, les toucheurs de bœufs, il y a en forcément un qui marche un peu en avant des autres. Les uns sont en avant, les autres au milieu des bêtes.
- Oh ! Les gars. Vous faites ce métier pour de l’argent, n’est-ce pas ? Eh bien moi aussi ! Je cinq mille francs de l’heure ! Faites passer vos bœufs tout doucement pour qu’ils ne me piétinent pas, qu’ils ne me marchent pas dessus.
- Ah ! Si c’est ça…
- Mais, vraiment, il gagne de l’argent à faire ça ?
- Oui ! Oui !
- Ah ! Alors moi aussi, je vais en faire autant !
-Poussez d’abord vos bœufs par là-bas. Ensuite détachez-moi, et puisc’est vous qui entrerez dedans, et je recoudrai le sac, dit-il.
- Oui, dit le premier toucheur de bœufs.
Là-dessus, un des toucheurs de bœufs a pris Sept-Esprits, et l’a sorti du sac. Ils ont sorti Sept-Esprits, après avoir rassemblé leurs bêtes. Ils ont poussé leurs bêtes plus loin, et c’est seulement ensuite qu’ils ont détaché Sept-Esprits. Ensuite, vois-tu, une fois que c’était fait, il a emmené les bœufs, et il les a conduits un peu plus loin. Après quoi, les autres sont revenus pour le jeter à l’eau. Parce qie Grand-Seigneur voulait le faire jeter à l’eau, mais on l’avait posé là un petit moment en attendant, et c’est de ce petit moment que Sept-Esprits avait profité. Vraiment Sept-Esprits portait bien son nom !
- Allez ! Envoyez donc Sept-Esprits !
Mais en réalité, c’était un Hova que Sept-Esprits avait fait entrer dans le sac ! Le convoi de bestiaux était très important… Et le toucheur, il était dans le sac. Sept-Esprits du haut d’une colline, de temps en temps, jetait un regard sur celui qui était enfermé dans le sac. A l’heure prévue, Grand-Seigneur est venu le jeter à l’eau :
- Je vais le jeter ici. Jetez-le, c’est un malfaiteur.
On l’a jeté à l’eau. Et Sept-Esprits suivait fort bien la chose des yeux… Il a poursuivi son chemin, poussant les bœufs. Ceux-ci vendus, il est revenu pour parler à Grand-Seigneur.
- Ah ! Sept-Esprits, encore toi ?
- Oui. Je ne suis pas mort. Quand tu m’as fait jeter à l’eau là-bas, il y avait votre grand-père, dit-il, il y avait là-bas ton frère, ton frère aîné qui est mort. C’est lui qui le premier m’a chargé de ses salutations. Voilà comment c’était. Et je reviens de chez eux, de là-bas.
- Et c’est bien là-bas, l’ami ?
- O ! Rien n’est plus beau. Ils t’envoient leurs salutations, le père de ton grand-père, et ton grand-père, et puis ton père. Ils sont en parfaite santé là-bas… Et vous devriez les visiter un jour.
Alors Grand-Seigneur s’écrie :
- Je vais faire visite demain à mon père et à mon aïeul. Quiconque ne préparera pas mes provisions pour cette visite ne sera pas des miens : (…)
- Oh, s’il en est ainsi, je vais faire mon possible pour vous aider. Eux, là-bas, ils désirent beaucoup pour voir.
Alors, on se met à la cuisine : cuisine fort abondante, cuisine qui ne demanda guère de temps. La cuisine faite, on met Grand-Seigneur dans un sac et on le jette rapidement dans l’eau, tant il était pressé…
- Attachez-moi une pierre, je veux y arriver plus vite !
On le jette à l’eau. Il est bientôt arrivé en bas.
- Tu vois ? Ton père, là-bas, il ne fait que compter de l’argent.
On voit les bulles qui remontent à la surface : c’est qu’il compte de l’argent !
- Alors, moi aussi, dit le fils aîné, je veux y aller.
- Eh bien, il n’y a pas de quoi avoir peur…
On jette aussi à l’eau le fils aîné de Grand-Seigneur.
Donc, ces gens ont tous été jetés dans le trou d’eau où ils croyaient que Sept-Esprits avait été jeté avant eux. Mais ce n’était pas Sept-Esprits qui avait été jeté, c’était un autre… Et c’est ensuite que Sept-Esprits a parlé. Il a dit à la femme :
- Si tu ne me veux pas, je vais te faire suivre le même chemin, parce que c’est moi qui vais hériter de la richesse.
- Tu ne voulais donc qu’une seule chose, lui dit la femme, c’était de faire mourir mon mari ? Pourquoi as-tu fait une chose comme ça ?
- Mais en réalité c’est moi que vous vouliez faire mourir, seulement vous n’avez pas réussi. Je suis encore en vie. Je vais tous vous faire jeter à l’eau.
- Bon. Si c’est comme ç, dit la femme, j’accepte.
Jadis, aux temps malgaches, des choses comme celle-là pouvaient encore arriver : Une fortune subite, une histoire comme celle de Petit-Ulcères-aux-Pieds ; et il est rentré chez son père. Son père est étonné :
- Eh bien ! C’est toi, Bafla ?
Donc, il est revenu chez son père, et il s’est remis à garder les poulets, il dit :
- Vraiment, il m’a porté chance, le nom que tu m’as donné, ce nom de Sept-Esprits. Je suis Sept-Esprits : je suis allé là-bas prendre mon travail, et je n’ai pas eu besoin de repasser chez toi une seule fois. J’ai fait mourir Grand-Seigneur, et j’ai fait mourir aussi l’aîné de ses fils. Et le bœuf qu’il voulait me faire traire, il est encore là. Allons donc là-bas fêter tout cela, père. La pauvreté nous a quitté…, parce que tu m’as donné, comme nom Sept-Esprits. Merci, je te suis bien reconnaissant de m’avoir donné ce nom.
Et voilà donc ce conte, et quand le conte se termine, on dit :
Ce n’et pas moi qui mens, ce sont les grands d’autrefois.
Sire-Rat à force de se rincer la bouche, devient chauve des dents,
Voilà mon conte !
Sois sec ; ô toi, le temps, pour que tout ce qu’on fait soit bien :
Fulgence FANONY
L’Oiseau Grand-Tison
Et autres contes Betsimisaraka du Nord
Littérature orale Malgache
tome 1
L’Harmattan