Conte: Beau-parent et Bel-enfant
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Beau-parent et Bel-enfant
Le premier conte que je vais dire, c’est l’histoire de l’origine des mots « beau-parent » et « bel-enfant ». Et aussi la raison pour laquelle on craint ses beaux-parents.
Il y avait, dit-on, deux personnes, un père et son fils. Et leur travail, c’était seulement de chercher des crabes : ils étaient chasseurs de crabes ; donc, un jour, ils sont partis tous les deux, suivant le cours du ruisseau. Arrivés assez loin, ils se sont déparés pour un moment, le père s’en allant vers l’aval, tandis que le fils s’en allait vers l’amont. Et le fils, arrivé un peu plus loin, a levé les yeux en l’air, et il a aperçu sur un grand arbre une femme. Le voilà bien étonné.
- Aie ! Elle est bien belle, cette femme.
Et comme la femme l’a vu elle aussi, elle lui a dit :
- Si tu m’aimes, moi aussi je t’aime !
Alors, le jeune homme a couru vers son père pour l’appeler :
- Oh ! Papa, j’ai trouvé une femme très belle, perchée sur un grand arbre, et comme je la regardais avec admiration, je lui ai dit : Je t’aime ! Et elle m’a répondu : Si tu m’aimes, moi aussi je t’aime ! Voilà ce qu’elle m’a dit. Alors, qu’est-ce que nous allons faire ?
- Eh bien ! Allons la chercher, dit le père.
Alors, ils y sont allés tous les deux. Arrivés là, la femme les regardait du haut de l’arbre. Et cet arbre c’était un bois-de-natte (nanto). Et elle était quelque peu cachée par les feuilles de ce bois-de-natte.
- Alors, tu as dit que tu aimes mon fils ?
(Telles étaient les paroles du père.)
- Oui, j’aime ton fils.
Alors il lui a dit :
- Descends de l’arbre.
Et le femme est descendue, à ce qu’on dit.
Et ils sont rentrés ensemble au village. Ils ont emmené la femme avec eux ; elle leur a dit :
- J’ai une seule chose à vous déclarer : je vois que vous êtes pauvres, et parce que vous êtes pauvres, je pourrais me trouver assez différente des femmes de votre village. Alors, si on vous demande : Où avez-vous trouvé cette femme ? Prenez bien garde de ne jamais dire : Nous l’avons eue là-bas, sur le gros bois-de-natte. C’est cela l’interdit que vous devez observer.
Et de ce fait, lorsqu’ils sont rentrés au village, les gens leur ont demandé :
- Où est-ce que vous avez eu cette femme ?
- Oh, nous l’avons eu par les peines et les misères de la vie.
C’est tout ce que le jeune homme acceptait de dire.
Et finalement, ils n’arrivaient pas à savoir. Pourtant ils auraient aimé avoir une femme comme celle-là.
Alors ils ont donné de l’eau de vie au vieux, au père du jeune homme. Et une fois qu’il a été complètement soûl, qu’il ne pouvait plus rien faire, juste parler, c’est alors qu’ils lui ont demandé :
- Où est-ce que vous avez eu cette femme ?
- Oh, celle-là ? Nous étions allés à la chasse aux crabes, et nous l’avons trouvée là-bas sur un gros bois-de-natte, au milieu des feuilles de bois-de natte. Voilà.
- Et comment est-ce qu’elle s’appelle ?
- Ah ça, nous n’en savons rien. Nous l’avons eu dans les feuilles de bois-de-natte (ravin’ny nanto), aussi nous l’appelons « la bru » (ravinanto).
Et c’est de là qu’est venu le nom de la bru. Mais, cela, la femme l’avait entendu aussi :
- Aie ! Vous avez osé dévoiler mon secret. Alors, vous qui n’êtes que des chasseurs de crabes (foza), je dirai de vous que vous êtes des « beaux-parents » (rafözana).
Et c’est de là qu’est venu le nom de « beaux-parents ».
La femme qui venait d’au-dessus des feuilles de bois-de-natte (ravin’ny nanto) fut appelée la « bru » (ravinanto). Et ceux qui étaient chasseurs de crabes (foza) gagnèrent le nom de « beaux-parents » (rafözana).
Et maintenant, pourquoi doit-on montrer de la crainte pour ces beaux-parents ? Voici : après quelques temps, ils ont fait la connaissance du père de la femme. Ayant fait sa connaissance, et le ménage étant établi, au bout de cinq ans qu’ils vivaient en ménage, ils n’avaient toujours pas d’enfants.
Alors, un jour, le mari était allé rendre visite à ses beaux-parents. Il y était allé seul, laissant sa femme à la maison. Une fois arrivé là-bas, il voulait s’entretenir avec ses beaux-parents. Mais les beaux-parents devaient aller assister à une cérémonie ; il leur dit :
- Je suis venu vous rendre visite.
Alors, on lui a répondu :
- Eh bien, s’il en est ainsi, mon gendre, ne reste pas ici, viens avec nous.
- Oh non, dit le jeune homme, je ne peux pas aller là-bas. J’attendrai ici.
- Mais, il n’y a pas de riz blanc, il n’y a que des bananes.
- Ça ne fait rien, dit le jeune homme. Je mangerai des bananes.
Alors la femme lui a donné des bananes. Et il n’a pas accepté d’en prendre beaucoup. Il a dit :
- Donnez m’en seulement trois. Ça me suffira.
Mais il avait très bien vu l’endroit où sa belle-mère avait pris les bananes… Et la vieille dame est partie assister à la cérémonie.
Alors, resté là, il a mangé les trois bananes, mais ça ne lui suffisait pas. Au bout d’un moment, il avait faim… et le voilà qui va voler les bananes de sa belle-mère. Elles étaient au fond d’une petite jarre, recouverte d’une natte, à côté de la porte d’entrée. Alors, notre homme se penche à l’intérieur de la jarre pour prendre les bananes, et le voilà coincé dedans. Il n’arrivait plus à ressortir. Le voilà les pattes en l’air.
Il était dans cette situation quand, le soir, la belle-mère est rentrée.
Voyant sa porte ouverte et une forme humaine à l’intérieur, elle crie :
- Qui est-ce qui est en train de voler dans notre maison ? Il n’en réchappera pas, aujourd’hui !
Alors, elle a pris un gros bâton, un bâton qui était plutôt une bûche ! Et elle s’est mise à taper, à taper sur l’intrus. Elle ne savait pas que c’était son gendre. Elle l’a tapé, tapé…
Le jeune homme criait :
- Ne me tuez pas ! Non ! Ne me tuez pas ! Je suis votre gendre !
Il poussait des cris lamentables. Mais la vieille ne s’en souciait pas :
- Oui da ! C’est un homme qui voulait nous voler nos affaires !
Finalement, on le traîne dehors. On regarde : c’était le gendre.
Elle lui dit :
- Vous voilà bien, vous, avec votre honte. Un jour vous en mourrez ! Ne vous montrez pas si honteux. Un jour vous en mourrez ! Ne vous montrez pas si honteux. Un jour vous en mourrez !
Et le gars avait tellement honte qu’il n’a pas demandé son reste. Il est parti aussitôt, sans même prendre congé. En arrivant à la maison, il a dit à sa femme :
- Va-t’en. Tu peux rentrer chez tes parents.
- Mais pourquoi est-ce que tu me renvoies chez mes parents ?
- Oh ! Ta mère a failli me tuer.
- Mais il doit bien y avoir une raison. Qu’est-ce que tu avais fait ?
- Eh bien, moi, dit le gars, j’avais faim. J’avais faim. J’avais faim, simplement. Alors j’ai volé des bananes, chez vous, à côté de la porte d’entrée. Et je me suis retrouvé coincé. Je n’arrivais plus à ressortir… Ta mère a failli me tuer…
C’était ainsi, et alors :
- Il vaut mieux que tu t’en ailles. Je pourrais t’assommer !
- Bon, dit la femme, pour ça, je crois que j’ai une idée. Je vais y aller.
- Dis-moi d’abord ton idée.
- Ah non, laisse-moi partir. Quand l’affaire sera arrangée, je reviendrai te l’expliquer.
La femme est partie. Arrivée là-bas, elle a dit à sa mère :
- Allons, maman, pourquoi est-ce que vous avez presque tué l’homme qui est venu ici ?
- Mais c’est qu’il a trop de honte ! Nous lui avons donné des bananes, il n’a pas voulu en prendre beaucoup, il n’en a pris que trois. Finalement, comme il était presque mort de faim, il a volé de la nourriture. Alors je l’ai tapé. Il a fallu que quelqu’un vienne le tirer de là et me dire : C’est ton gendre. Voilà comment ça s’est passé. Et cette affaire m’a tracassée. Aïe ! J’en ai comme un remords…
- Voilà ce qui s’est passé, dit la femme : nous sommes allés consulter un géomancien, et l’oracle de la géomancie, c’était : Envoyez ce jeune homme rendre visite à ses beaux-parents. (Et la raison de la consultation était qu’ils n’avaient toujours pas eu d’enfants. Ils voulaient des enfants.) Et puisque vous voulez des enfants, continua le devin, qu’il aille faire chez ses beaux-parents une petite impolitesse. C’est à cette condition que…, c’est seulement comme cela qu’il pourra avoir des enfants. Et c’est pour cela qu’il s’est conduit comme il l’a fait. Et vous, vous l’auriez presque tué ! Nous voulons des enfants, et c’est pour cela qu’il devait faire une impolitesse.
Cela dit, la femme rentra dans son foyer. Elle raconta au gars ce qu’elle avait fait. Et l’homme état bien soulagé de cet arrangement ! Les choses étant ainsi rétablies, la belle-mère prononça un vœu :
- Si ma fille a un enfant, dit-elle, je tuerai un bœuf devant la porte de ma demeure, pour laver le mal que j’ai fait à mon gendre, et aussi en signe de ma joie d’avoir enfin un petit-fils ou une petite-fille.
Alors, juste un an après, ils ont eu un enfant. Et on a un bœuf en sacrifice comme promis.
Voilà : c’était l’histoire des beaux-parents.
Fulgence FANONY
Le tambour de l’ogre
Littérature orale Malgache
tome 2
L’Harmattan