Conte: Benjamine fille de Grand-Seigneur perdue par ses sœurs

Publié le par Alain GYRE

Benjamine fille de Grand-Seigneur

perdue par ses sœurs

 

 

Et voici donc : il était une fois, à ce qu’on dit, les filles d’un certain Grand-Seigneur. Et ces filles de Grand-Seigneur, elles étaient trois. Et un jour, elles sont allées ensemble chercher des brèdes.

Et tout en allant chercher des brèdes, elles voulaient découvrir, en interrogeant les gens, laquelle d’entre elles était la plus belle. Donc, elles sont parties, à ce qu’on dit, elles ont marché, marché, marché… Elles ont déjà pas mal avancé, et voilà qu’elles rencontrent des hommes en train de défricher, plusieurs hommes qui étaient là. Aussitôt, elles leur demande :

.- Ô vous qui défrichez l’essart, dites-nous : de nous trois, laquelle est la plus belle ?

Et ils répondent les essarteurs :

            - Elle est bien belle, Première-Née, disent-ils,

            Elle est bien belle, Cadette, disent-ils,

            Mais aucune ne l’emporte sur Petite-Benjamine !

            Alors, ayant entendu cela, elles ont marché encore, elles ont marché… Ayant avancé un peu plus, voilà qu’elles rencontrent des gens qui allaient mettre le feu à leur essart. Aussitôt elles leur demandent :

 - Ô vous qui brûlez l’essart, dites-nous : de nous trois, laquelle est la plus belle ?

            - Elle est bien belle, Première-Née, disent-ils,

            Elle est bien belle, Cadette, disent-ils,

            Mais aucune ne l’emporte sur Petite-Benjamine !

            Alors, ayant entendu que c’était Petite-Benjamine la plus belle, elles lui ont rasé les cheveux, et elles l’ont couverte de boue. Elles ont marché, marché… Avançant encore un peu, voilà qu’elles rencontrent des gens qui semaient. Aussitôt, elles leur demandent :

- Ô vous qui semez, dites-nous, de nous trois laquelle est la plus belle ?

            - Elle est bien belle, Première-Née, disent-ils,

            Elle est bien belle, Cadette, disent-ils,

            Mais aucune ne l’emporte sur Petite-Benjamine !

            Et puis elles ont marché, marché, marché… Ayant avancé un peu, à ce qu’on dit, voilà qu’elles trouvent le citronnier de Grand-Monstre. Alors, elles entreprennent de cueillir les citrons. On commissionne d’abord Première-Née:

- Vas y, Première-Née, monte dans l’arbre !

- Fi donc, dit Première-Née ! J’ai une Cadette, et c’est moi que vous commissionnez ! A Cadette de monter !

On commissionne Cadette ;

- Fi donc, dit Cadette ! J’ai une benjamine, et c’est moi que vous commissionnez ! A Benjamine de monter !

On commissionne Benjamine.

- Je ne peux pas, dit Benjamine.

- Vas y, ou bien on te tue !

- Mais je ne peux pas , grandes sœurs !

            Alors, voyez-vous, elles ont forcé Petite-Benjamine à monter dans le citronnier. Une fois là-haut, elle demande :

- Celui-ci, faut-il le prendre, grandes sœurs ?

- Oui, lui disent ses sœurs.

Mais au moment où elle disait : « celui-ci, je le prends », elles se préparaient déjà à s’enfuir.

- Celui-ci, faut-il le prendre, grandes sœurs ?

- Oui !

- Celui-ci, faut-il le prendre, grandes sœurs ?

- Oui !

- Celui-ci, faut-il le prendre, grandes sœurs ?

- Oui !

Tant et si bien qu’elles s’éloignent de plus en plus, et elles sont déjà bien loin là-bas, et elles continuent toujours pareil :

- Celui-ci, faut-il le prendre, grandes sœurs ?

- Oui 

            A la fin, Benjamine questionne toujours, mais elle n’entend même plus leur réponse. Et au bout d’un moment, voilà le Grand-Monstre qui arrive. Fracas de l’ouragan, vouh, vouh… il est là !

- Qui est-ce qui me vole mes citrons ?

- C’est moi, dit la petite fille.

- Descends, que je te mange!

- Oh ! C’est que j’ai peur de tous tes grands poils, dit-elle.

- Envolés, envolés les poils, envolés, envolés les poils !

            Les poils tombent comme feuilles mortes. Mais les griffes du Grand-Monstre qui étaient si raides, si longues…, et sa barbe, comme ça !

- Descends, que je te mange !

- Oh ! C’est que j’ai peur de tes griffes, dit-elle.

- Envolées, envolées les griffes, envolées, envolées les griffes !

            Les griffes tombent aussi comme feuilles mortes.

- Descends, maintenant.

            Alors la petite fille est descendue, à ce qu’on dit, elle est descendue. La voilà arrivée à terre.

- Eh bien maintenant, qu’est-ce que tu préfères : je te mange, ou bien tu seras ma fille ?

- Oh, dit la petite fille, je veux rester avec toi, il ne faut pas me manger.

Et la petite fille est restée chez le monstre. Elle y est restée longtemps. Et au village on demandait (à ses sœurs) où était passée Benjamine.

- Ah non ! Nous ne l’avons pas vue…

On la pensait perdue pour toujours ; on avait renoncé à la rechercher.

            Et finalement, après cela, le jour commençait  à chauffer un peu, et au pied de … chez ce monstre, il y avait une grotte profonde, avec un grand arbre à côté de la grotte, un haramy. Et, comme le jour commençait à chauffer, l’enfant s’est mise à grimper dans l’arbre, n’est-ce pas, elle est montée tout en haut. Et une fois arrivée au sommet de l’arbre, voyez-vous, elle pouvait apercevoir les gens dans le village de son père : il y en avait qui ne faisaient qu’attendre, tout tristes…

            Et elle chantait, et voilà ce que son chant disait :

            - Elles, vois-les, elles feignent de dormir,

            Elles, vois-les, elles feignent de dormir,

            Mes sœurs m’ont abandonnées eh !

            Eh, eh, grand-mère, le jour est bien chaud !

Et le monstre répondait :

            - Je vais manger, eh ma petite-fille!

            Eh, eh, grand-mère, le jour est bien chaud !

            Et elle répétait toujours ces mêmes paroles, la jeune fille, et ainsi pendant assez longtemps. Elle disait… Elle aurait bien voulu aller au village, mais elle ne le pouvait pas, à cause du Grand-Monstre ; et en voyant les gens qui s’amusaient, elle disait :

            - Elles, vois-les, elles feignent de dormir,

            Elles, vois-les, elles feignent de dormir,

            Mes sœurs m’ont abandonnées eh !

            Eh, eh, grand-mère, le jour est bien chaud !

 

            - Je vais manger, eh ma petite-fille!

(Voilà ce que disait le monstre.)

            Eh, eh, grand-mère, le jour est bien chaud !

            Alors… après bien longtemps, Grand-Seigneur a fini par entendre ce chant.

- Oh ! Faites silence, tout le monde, dit-il, parce que j’ai l’impression d’entendre comme une musique par ici, qui fait comme ça…

Et la fille , de là-haut, elle voyait tout ce que les gens faisaient ; et elle a bien vu que tout s’arrêtait, que plus personne ne bougeait.

            Alors, elle répétait toujours son chant, pour qu’ils l’entendent. Et elle ne changeait jamais les paroles.      

            - Elles, vois-les, elles feignent de dormir,

            Elles, vois-les, elles feignent de dormir,

            Mes sœurs m’ont abandonnées eh !

            Eh, eh, grand-mère, le jour est bien chaud !

 

            - Je vais manger, eh ma petite-fille!

(Voilà ce que disait le monstre.)

            Eh, eh, grand-mère, le jour est bien chaud !

            Alors, Grand-Seigneur a ordonné :

- Oh ! Vous tous, les esclaves, et vous tous, le peuple qui est ici ! Apportez-moi tout ce qui peut piquer et trancher, depuis les aiguilles, et tout le reste…

            Tous se sont rassemblés, portant toute espèce de chose qui peut faire passer de vie à trépas. Ils ont marché, marché, marché… Et ils écoutaient la voix. La petite fille disait :

            - Elles, vois-les, elles feignent de dormir,

            Elles, vois-les, elles feignent de dormir,

            Mes sœurs m’ont abandonnées eh !

            Eh, eh, grand-mère, le jour est bien chaud !

 

            - Je vais manger, eh ma petite-fille!

            Eh, eh, grand-mère, le jour est bien chaud !

            Alors, jusqu’à ce qu’ils arrivent tout près, on entendait toujours la petite fille qui chantait, elle chantait toujours sa chanson. Alors les gens, là… Les fusils de Grand-Seigneur étaient chargés. Sans hésiter, ils ont tiré à l’intérieur de la grotte, et le monstre a bondi hors de la grotte, il a bondi, oui, mais on s’est mis à harceler à coups de bâtons, tout le monde s’est mis à taper… , les uns le perçaient de leurs sagaies, les autres de …, on le perçait de tout ce qui pouvait servir à le faire passer de vie à trépas. Et, une fois le monstre tué, c’est alors qu’on a pu dire à la petite fille de descendre.

            Et quand la fille est descendue de là, elle était empuantie par l’odeur du monstre. Elle ouait le monstre, cette petite fille. C’est alors qu’on l’a ramenée au village. Et une fois arrivée au village, on a fait  une fête, une fête énorme, àce qu’on raconte, pour célébrer son retour au village.et les deux autres filles, celles qui l’avaient perdue, on les a rejetées, rayées du nombre des enfants de Grand-Seigneur.

 

            Conte, sornette,

            Moi, je ne fais que conter,

            A vous de vous délecter.

 

 

Fulgence FANONY

Le tambour de l’ogre

Littérature orale Malgache

tome 2

L’Harmattan 

                                                                                                  

 

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