Conte: « Ce que dit papa, maman ne le contredit point »
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« Ce que dit papa, maman ne le contredit point »
Il était une fois, dit-on, un Grand-Seigneur. Sur ce Grand-Seigneur, il y a des récits depuis bien longtemps, et dans un village tous ne peuvent pas être des richards… Il y avait aussi un Pauvre-Hère, Grand-Seigneur habitait en aval, et Pauvre-Hère en amont. Ils habitaient chacun leur quartier.
Ils avaient l’un et l’autre des enfants. Et dès que le soleil se levait, les enfants de Grand-Seigneur allaient jouer avec ceux de Pauvre-Hère. Les gamins faisaient ainsi tous les jours, c’était devenu une habitude.
Mais un jour, voilà que Grand-Seigneur se fâcha. Il se fâcha,, parce qu’il ne voyait pas ses enfants.
- Où sont donc les enfants ?
- Ils sont partis là où ils ont l’habitude de jouer.
- Et où est-ce qu’ils ont l’habitude de jouer ?
- Là où ils vont toujours jouer : chez les enfants de Pauvre-Hère.
- Ça alors ! Je n’accepte pas que mes enfants aillent chez Pauvre-Hère. C’est là qu’ils vont toujours jouer ? Défense de jouer, appelle-les moi.
On les appela.
- A partir d’aujourd’hui, vous ne devez plus jouer avec les Pauvre-Hère, au quartier de Pauvre-Hère !
Alors, au bout de quelques temps, quand le soleil se leva, le lendemain matin par exemple, voilà que les enfants de Grand-Seigneur n’étaient pas venus jouer avec les enfants de Pauvre-Hère.
Les enfants de Pauvre-Hère en étaient tout dépités.
- Les gars ! Ils ne sont pas venus, ceux qui jouent toujours avec nous ! Ils ne sont pas venus, les enfants de Grand-Seigneur.
Alors, au bout de quelques temps, ils ne savaient plus trop quoi penser, et ils sont allés leur faire des approches. Les enfants de Pauvre-Hère sont allés faire des approches à ceux de Grand-Seigneur.
- Pourquoi vous ne venez plus jouer avec nous, chers amis ?
- Ah non ! Notre père nous a défendu d’aller jouer avec vous là-bas.
- Pourquoi alors ?
- Ah non !Il paraît que nous sommes des enfants de riches, il nous défend d’aller jouer avec des enfants de Pauvre-Hère.
- Oh alors, c’est comme ça ?
- Oui.
- Ah bon.
Alors, au bout de quelques temps, quand le soleil se leva, le surlendemain matin par exemple, ils ne venaient toujours pas. Et les jours suivants non plus, ils ne venaient pas. Alors, les gamins étaient tout dépités, ils s’ennuyaient chez eux.
- Eh, vous, vous êtes habitués à ce qu’on vienne vous trouver pour jouer avec vous, et maintenant les enfants du riche, qui jouaient avec vous, leur père le leur interdit ? Eh bien allez là-bas, vous autres pour jouer avec eux. Et quand vous serez arrivés là-bas, demandez-leur comment ils ont fait pour être riches, ce qui leur a permis de devenir des Grands-Seigneurs, ce qui les a rendus riches. Demandez-le, demandez-le à leurs enfants.
Alors, le lendemain matin, les enfants de Pauvre-Hère sont allés, et ils ont demandé :
- Chers camarades, vous n’allez toujours pas jouer avec nous ?
- Ah non ! Notre père nous a défendu d’aller jouer avec vous !
- Et pourquoi donc ?
- Parce que vous êtes les enfants de Pauvre-Hère, alors notre père nousa défendu, à nous qui sommes les enfants de Grand-Seigneur, de jouer là-bas.
- C’est donc ça, les amis ?
- Oui.
- Eh dis, cher camarade, qu’est-ce qui a rendu ton père si riche ?
- Ce qui a rendu mon père si riche ?
- Oui.
- Ah, ça je ne sais pas !
- Demande-le lui un peu.
Or, ils ont bien entendu ces mots, ils ont bien entendu ces mots, et ils sont rentrés. Et le lendemain, par exemple, ou le jour d’après, ils sont revenus, les voilà arrivés :
- Les amis, vous n’allez pas jouer avec nous ?
- Ah non ! Notre père nous a défendu d’aller jouer avec vous, les enfants de Pauvre-Hère !
- Alors, cher camarade, qu’est-ce qui a enrichi tes parents ?
Alors, les gamins le leur ont dit, parce qu’ils avaient demandé à leur père ce qui les avait rendus si riches, ce qui avait fait d’eux des Grands-Seigneurs.
- Vous voulez savoir ce qui nous a rendus si riches, hein ?
- Oui.
- C’est ça que vous demandez ?
- Oui.
- Ce qui nous as rendus si riches, c’est : « Ce que dit papa, maman ne le contredit point. Et ce que dit maman, papa ne le contredit point. » Avant de partir au travail, quand le soleil se lève au matin, on prend le repas du matin, chacun mange à sa faim, puis chacun prend la pelle, prend la bêche pour travailler, chacun prend le coupe-coupe pour travailler, et chacun va au travail. Et quand on travaille, oh alors, on travaille pour de bon, on fait en sorte définir la tâche. A chaque jour qui se lève, pas question d’aller poser des pièges, ou d’aller jouer, ou d’autres choses semblables : on va travailler. Voilà ce qui a rendu mon père et ma mère si riches, ce qui fait d’eux des Grands-Seigneurs !
Ayant entendu cela, les enfants de Pauvre-Hère s’en sont retournés chez eux :
- Ah papa : ah papa ! Voilà ce qui a rendu Grand-Seigneur si riche, d’après ce qu’ont dit ses enfants. C’est : « Ce que dit papa, maman ne le contredit point. Et ce que dit maman, papa ne le contredit point. » Quand le soleil se lève au matin, dès que pointe l’aube, on prépare le repas, et quand on mangé à sa faim, on prend la bêche, on prend la pelle, on prend la houe, on prend tous les outils agricoles, le coupe-coupe, et on va travailler, oh alors, travailler ! Et on s’y donne vraiment, on cultive le riz, et toute culture qui peut faire du profit.
- C’est ça qui les a enrichis, hein ?
- Oui.
- Il n’y a rien d’autre ?
- Non, rien d’autre.
- Oh, s’il en est ainsi, nous le ferons.
Alors, l’homme dit :
- Va, allume le feu. Dès que ce sera l’aube, allume le feu, nous allons travailler !
La femme s’est levée pour allumer du feu, faire du café, cuire le riz. Après avoir mangé, et bu le café, on a pris la bêche, on a pris la houe. Et on s’est mis au travail avec acharnement, avec ardeur, toute la journée. Bon ! On ne s’est arrêté que le soir venu pour rentrer à la maison.
Une fois rentrés à la maison, ils sont allés dormir ; et le lendemain, au lever du soleil, ils ont continué comme ça… Le surlendemain, au lever du soleil, ils ont continué comme ça… Et ainsi tous les jours. Travailler, encore travailler, toujours travailler, se donner vraiment au travail. Et finalement, ils ont eu une grosse récolte de riz.
Ayant eu une grosse récolte de riz, ils en ont fait trois parts. Une moitié… qu’ils ont mise de côté, ce qui était à vendre, et une moitié qu’ils gardaient pour le manger…
Ils ont continué de cette façon, et finalement ils ont gagné un bœuf. Et l’année suivante, c’était deux bœufs. Et ces bœufs une fois engraissés, en les vendant, ils en ont gagné cinq.
Alors, les bœufs se sont multipliés, les bœufs ont prospéré, parce qu’il y avait du riz en quantité ; et oui ! Ils avaient de l’excédent, un gros excédent de riz. Comme ils faisaient toujours ainsi, finalement leur richesse en est venue à dépasser celle de Grand-Seigneur, celle de celui qui le premier avait gagné le nom de Grand-Seigneur.
- Eh bien ! Nous avons rudement bien fait !
Et finalement Grand-Seigneur, celui de l’aval, a remarqué l’exploit de Pauvre-Hère :
- Qu’est-ce qui a bien pu le rendre si riche, ce Pauvre-Hère ? Qu’est-ce qui est arrivé… ? Voyez : il va bientôt nous dépasser ! Qu’est-ce qui a bien pu le rendre si riche ?
Rien ne l’a rendu riche, sinon les mots que Grand-Seigneur avait dit à ses enfants, quand ceux de Pauvre-Hère l’avaient interrogé : « Ce que dit papa, maman ne le contredit point. Et ce que dit maman, papa ne le contredit point. »
Voilà cequi a rendu Pauvre-Hère si riche. Et la nouvelle richesse de Pauvre-Hère, c’était bien plus que la richesse du grand richard d’autrefois.
Fulgence FANONY
Le tambour de l’ogre
Littérature orale Malgache
tome 2
L’Harmattan