Conte: Délices de la paroles et Habile aux propos riants Korampy sy mahaikoranamampomoehy
Délices de la paroles et Habile aux propos riants
Korampy sy mahaikoranamampomoehy
Il y avait une fois, dit-on, deux hommes, qui s’appelaient l’un Délices-de-la-Parole, et l’autre Habile-aux-Propos-Riants. Délices-de-la-Parole venait du sud, et Habile-aux-Propos-Riants venait du nord. Un jour Délices -de-la-Parole se dit :
- Il faut que j’aille trouver ce gars du nord, ce fameux Habile-aux-Propos-Riants !
Et Habile-aux-Propos-Riants, de son côté, se disait :
- Il faut que j’aille voir ce gars, ce fameux gars du sud, qui connaît les délices de la parole !
Et c’était un jour de jeudi que cette idée leur était venue, comme si la Providence avait prévu leur rencontre. Chacun donc, en ce jour de jeudi, quitta son pays, et l’un se dirigea vers le sud, tandis que l’autre s’en allait vers le nord. Ils marchèrent, marchèrent, marchèrent sans arrêter durant toute une année. Chacun avait quitté son pays, et ils se sont rencontrés à mi-route.au moment où ils se sont rencontrés, ils étaient arrivés à un gros village, un village où demeurait un Roi. Là ils avisèrent un petit garçon, et ils lui demandèrent :
- Où sont partis tous les gens d’ici ?
- Ils sont allés là-bas faire une veillée mortuaire.
- Il y amort ici ?
- Oui.
- Ah ? Et qui est-ce ?
- C’est la mère du roi qui est morte.
- Et depuis quand est-elle morte ?
- Il y a cinq jours, et les gens la veillent toujours.
- Nous voudrions qu’on nous prête une maison. N’y a-t-il pas un bureau chez vous ?
- Si, il y en a.
- Et où ?
- Par là.
- Guide-nous, s’il te plaît.
Le petit les conduisit jusqu’au bureau. Et une fois arrivés au bureau, ils se sont mis à préparer leur repas. L’un est allé chercher de l’eau, et l’autre a allumé le feu. Ensuite, ils ont fait la cuisine. Une fois la marmite sur le foyer, ils ont attisé le feu. Et tout en attisant le feu, ils se sont mis à causer :
- Toi, l’ami, tu vas où ? demanda celui qui venait du nord.
- Moi, répondit celui du sud, je vais voir ce fameux gars du nord, Habile-aux-Propos-Riants.
Et l’homme du sud à son tour demanda à l’autre :
- Et toi, où est-ce que tu vas ?
- Moi, l’ami, répondit l’homme du nord, je vais voir celui du sud, le gars qui sait parler, le fameux Délices-de-la Parole.
- Ah ! C’est ça le but de ton voyage ?
- Oui.
- Eh bien, c’est moi qui suis Délices-de-la-Parole, du sud, répondit-il.
- Et si vraiment, toi, tu es parti chercher le grand Habile-aux-Propos-Riants, du nord, eh bien, c’est moi, lui dit celui qui venait du nord.
Entre temps, le repas avait cuit. Une fois cuit, ils l’ont servi. Une fois servi, ils l’ont mangé.
Et comme ils venaient de manger, vint le chef de village. (C’était encore au temps des chefs de village.) Il vint à eux pour leur demander d’où ils venaient. Il les salua, et, après les salutations, il leur dit :
- Vous autres, d’où venez-vous ?
- Eh bien, moi, je suis Habile-aux Propos-Riants, du nord, je viens des régions du nord, tout au bout de ce pays.
- Et l’autre ?
- Moi, dit-il, je suis Délices-de-la-Parole, du sud, de l’autre bout de ce pays, au sud.
- Et quel est le but de votre voyage ?
- Eh bien, nous sommes venus pour nous mesurer, faire joute ensemble, voilà le but de notre voyage.
- C’est bien, mais, nous maintenant, nous sommes pris par la veillée mortuaire, nous veillons la mère du roi, qui vient de mourir, et nous ne pouvons guère vous recevoir, non par mauvaise volonté, mais parce que nous sommes encore fort occupés. Mais peut-être pourrez-vous venir là-bas pour veiller avec nous ?
- Bien sûr ! Si c’est comme ça, nous allons bientôt vous rejoindre là-bas tous les deux.
- Bon ! soyez les bienvenus.
Alors, ils ont mangé, et quand ils ont fini de manger, ils sont accourus tous les deux vers les gens qui veillaient la morte.
Ces gens qui veillaient la morte, ils étaient encore en train de préparer les repas. (Autrefois on cuisait les repas de veillées funèbres dans d’énormes marmites, dont une seule pouvait contenir un demi-bœuf. On mettait un demi-bœuf dans une seule marmite…)
Alors, il y avait là beaucoup, beaucoup de gens, c’étaient toute une Province, qui s’était réunie là pour assurer la veillée.
Alors, il y eut un homme qui se leva pour aller goûter le bouillon dans la grande marmite, dans la grande marmite qui pouvait contenir tout un demi-bœuf. Et à ce moment, le gars du sud commença à parler, à lancer ses paroles délicieuses. Et le bonhomme qui devait goûter le bouillon dans la grande marmite était si frappé de ce que disait Délices-dd-la-Parole qu’il laissa son bras tremper dans la marmite, pendant que la viande y bouillait à gros bouillons. Il laissa tremper son bras, jusqu’au niveau…, oui jusqu’au niveau de l’aisselle, dans la marmite où bouillait le bouillon de viande ! Et il ne sentait rien du tout, tant il était captivé par ce que disait Délices-de-la-Parole.
Alors, comme l’homme qui était allé goûter le bouillon avait laissé tremper son bras jusqu’à l’aisselle dans la marmite, le gars aux paroles délicieuses déclara :
- C’est ici que s’arrêtent les délices de mes paroles. Je m’arrête ici. Maintenant c’est le tour d’Habile-aux-Propos-Riants de me remplacer !
C’est alors seulement, quand il eut arrêté ses paroles délicieuses, que l’homme qui était allé goûter le bouillon se souvint de son bras, et le retira de la grande marmite. Mais quand il le retira, allez voir ! toute la chair de son bras s’était détachée et mélangée au bouillon, tant le bouillon avait bien bouilli ! Toute la chair du bras du bonhomme s’était mélangée au bouillon, et son bras n’avait plus que les os, quand il vint se rasseoir.
Tous les gens qui étaient réunis là pour la veillée furent émerveillés.
- Oh les amis ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Ah, les amis, les amis ! Comment ? On peut être si absorbé par la conversation qu’on en laisse se détacher la chair de son bras ?
Tout le monde était émerveillé.
Alors, on jeta toute la marmite de viande. Et on recommença à cuire l’autre moitié du bœuf. On la mit sur le feu, on poussa le feu, la marmite bouillit, et ce fut bientôt cuit. On fit cuire aussi le riz. Et on mangea.
- Prenez tous place pour manger !
Les gens prirent place, tous bien alignés, pour manger. On versa le riz cuit sur les feuilles, on le versa, on le versa, on le versa, et quand le riz fut versé, on servit le bouillon. Et le responsable des cérémonies prit la parole :
- Que tous prennent en main la cuiller de feuille. Comme on dit, jamais la nourriture n’est mauvaise. Seule la mort est mauvaise, mais jamais la nourriture n’est mauvaise. Que tous prennent en main la cuiller de feuille.
Alors, l’homme habile aux propos riants prit à son tour la parole :
- Eh bien, dit-il, nous n’allons pas nous livrer à des danses, ni à des réjouissances, mais pourtant je vous demande la permission d’exercer mon talent. Aussi, je vais vous donner maintenant une petite causerie, en attendant le repas.
Et il se lança dans une histoire drôle, si drôle, si drôle que tout le monde se tordait de rire, se tortillait, se roulait par terre au milieu des plats de riz brûlant qu’on venait de servir. Les uns…, les cheveux pleins de grains de riz, se tournaient et se retournaient de rire, écrasaient les cuillers, et renversaient partout le bouillon. Tout le monde riait, se tortillait, certains en étaient raides de rire, sans pouvoir s’arrêter. Alors, même la morte, la princesse qui était morte depuis cinq jours, se mit à rire elle aussi.
- Hic, faisait le cadavre…
Alors, tout le monde était stupéfait.
- Voilà l’histoire que j’avais à raconter, dit alors Habile-aux-Propos-Riants. Mangeons maintenant.
Mais alors, tout le riz avait été écrabouillé par les gens qui riaient, et le bouillon renversé. Et la morte là-bas qui rigolait… Les gens étaient stupéfaits :
- Oh les gars ! Ces types-là, ce ne sont pas des gens comme vous et moi, plutôt des phénomènes capables de porter malheur. Ligotons-les. On n’a jamais vu rien de semblable !
Et au moment où ils étaient en train de les ligoter, à cause du mal qu’ils avaient fait, c’est justement à ce moment-là que je suis parti…
Voilà donc le récit qui se rapporte à ces deux hommes… Et puis c’est tout !
Fulgence FANONY
L’Oiseau Grand-Tison
Et autres contes Betsimisaraka du Nord
Littérature orale Malgache
tome 1
L’Harmattan