Conte: Fleur-de-silence

Fleur-de-silence
Voir plus loin que les apparences, être persuadé, ancestralement, que l’écorce des chose, comme l’écorce de l’arbre, n’est pas la principal, c’est une des caractéristiques de la culture malgache ;
L’essentiel ne se voit pas…
Ce que tu fais pour ta rose
est tout aussi important que ta rose…
dit à peu près le renard du Petit Prince.
Les Malgaches sont nos maîtres dans cet art de percevoir le dedans des choses. Même s’ils sont très discrets dans la façon de la dire. Le conte permet de dire justement ces choses qu’on ne sait pas dire ou que, par pudeur, on n’ose pas trop dire ; ces choses qu’on ne veut pas dire, bien souvent, de peur de les ternir ou de les flétrir.
Le héros du conte s’appelle Dernier-né-sans-pareil. L’héroïne, La-petite-trace-à-qui-personne-ne-répond, nous l’appellerons Fleur-de-silence.
Je vais vous raconter une histoire, moi, Monsieur Arsène d’Amboditononona, du canton d’Ampasina Maningory, de la sous-préfecture de Fénerive-Est.
On dit que c’est un conte des gens d’autrefois,
du temps où Monsieur Grandes Moustaches,
Monsieur Rat,
du temps où Monsieur Grandes Moustaches,
à la tête chauve,
marmonnait et marmonnait
entre ses longues dents…
Ce n’est pas moi qui dis des menteries…
D’ailleurs ce ne sont pas des menteries,
mais une histoire vraie,
que je m’en vais vous raconter.
Au bout de l’année, il leur vint un petit enfant au foyer ; et après quelques années, ce furent trois petits qui égayèrent la maison. Leur tendresse était comme aux premiers jours : un grand amour qui ne faisait que grandir.
Ce fut justement peu après la naissance du troisième petit que dame dit à son mari :
- On s’aime bien tous les deux, faisons quelque chose pour que notre tendresse dépasse la mort… Tu ne veux pas qu’on fasse la Grande-Promesse ?
Cette Grande-Promesse, c’est la promesse que se font deux époux, qu’en cas de mort, le premier parti viendra chercher l’autre… Et l’autre, à cause de son grand amour, n’aura pas peur de la mort,
« Vivants, unis dans l’amour…
Au-delà de la mort, unis dans la même tendresse »
Ils se firent la Grande-Promesse. Et voilà qu’après la naissance de son quatrième enfant, la maman mourut la première. Le petit était encore tout jeune.
Elle s’appelait Fleur-de-silence et son mari s’appelait Dernier-né-sans-pareil.
Quand six mois furent passés après la mort de Fleur-de-silence, elle s’en vint un jour au plus haut d’une colline près du village, invisible mais présente. Et voici que Dernier-né-sans-pareil entendit une complainte dans le soir :
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
Dernier-né répondit :
- Attends un peu, toi ma belle. J’ai bien compris ton message. Mais regarde, nos enfants sont encore tout jeunes. Quel malheur pour eux si je m’en vais maintenant. Je vais encore m’occuper d’eux. Quand ils auront grandi un peu, reviens me chercher. Notre promesse, je ne la trahirai pas.
Durant des jours et des jours, ce fut le silence du côté des morts. Les enfants grandissaient et les aînés étaient maintenant capables de s’occuper des plus petits.
Alors la disparue revint au sommet de la colline et son appel revint aux oreilles de Dernier-né-sans-pareil :
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
Dernier-né répondit :
- Regarde, c’est le temps des brûlis pour cultiver le riz de montagne. Laisse-moi couper épines et buissons… Quand ils seront coupés et brûlés, viens me chercher !
Le coupe-coupe eut bientôt couché les buissons sur la colline et on les brûla afin d donner la cendre comme engrais aux jeunes pousses de riz. Le terrain est prêt pour les semailles. Alors s’en revint sur la haute colline la femme du Dernier-né, et elle chanta sa complainte :
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
- Oui, dit-il, j’ai bien entendu ta voix, mais on est en train de semer le riz. Si je pars maintenant, les enfants vont être dans la gêne et ils ne pourront pas finir les semailles.
On finit donc les semailles. Fleur-de-silence ne revint que lorsque tout fut achevé ; un soir, du haut de la colline, Dernier-né entendit de nouveau la voix de son épouse :
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
- Oui, Fleur-de-silence, j’ai entendu ton appel, mais cette année, tu le vois, c’est une année à mauvaises herbes. Si le riz n’est pas biné, il sera étouffé par les mauvaises herbes. Reviens quand nous aurons biné le riz. J’ai peur que les enfants n’y arrivent pas tout seuls et que tout soit perdu.
Fleur-de-silence se tut et attendit là-bas avec la patience des morts. Mais quand le riz fut propre et plein de vigueur, elle revint tout en haut de la colline et lança son appel :
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
- Oui, dit Dernier-né, j’ai entendu ton appel, le riz est propre et plein d’espérance… Reviens quand il sera mûr, reviens me chercher. En ce moment, c’est la crise, il n’y a rien à manger. Si je meurs maintenant, que vont devenir nos enfants ? Il leur faudra emprunter de l’argent pour donner à manger à tout le monde pour l’enterrement . ils auront des dettes et ils risquent de perdre les terres que nous leur laisserons. Reviens donc au moment de la moisson du riz.
Fleur-de-silence attendit. Le riz mûrit. La moisson se fit toute proche. Elle revint et appela Dernier-né ? Cette fois l’appel se fit tout proche : d’une petite hauteur près de la maison.
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
Le riz était beau cette année-là, et Dernier-né répondit :
- Tu viens un peu tôt. Le riz est encore sur pied. Attends qu’il soit dans les greniers, pour que les enfants ne se retrouvent pas complètement perdus. Quand le riz sera rentré, reviens. Viens m’appeler, tu verras : je ne change pas d’idée comme une saute de vent.
Fleur-de-silence s’en alla et attendit. On récolta le riz et Dernier-né fit presser le mouvement car il savait que son heure approchait. Le riz dans le grenier et la fête de la moisson terminée, il demanda la réunion du conseil des villageois et rassembla tous ceux de la famille.
- Ah ! dit-il, poliment… Excusez-moi de vous déranger en ce moment, mais je n’ai pas demandé la réunion du Conseil sans raison. Voici ce que j’ai à dire : ces enfants que voici, ce sont mes enfants ; ils seront vos enfants. Soignez-les bien ; soignez-les comme vos propres enfants, car je vais vous quitter. Je vais rejoindre ma femme. Avant sa mort, bien avant, nous nous sommes fait la promesse de nous rejoindre, et que le premier parti viendrait chercher l’autre. Nous ne voulions pas que notre amour et notre tendresse soient brisés par la mort. L’heure est venue de réaliser notre promesse. Ma femme va venir me chercher. Je vous fais mes adieux, à vous tous. Veloma. Soyez vivants, tous. Au revoir à vous la famille, à vous les amis, avous tous réunis aujourd’hui…
Vous parlez d’un étonnement pour tous ceux qui étaient là !
- Et tu vas échanger l’amour de tes enfants vivants, pour celui de ta femme qui est morte ? dit quelqu’un…
- C’est là ma peine ! Mais que puis-je faire ? C’est la promesse que nous nous sommes faite au temps de la tendresse de notre amour, au temps de nos épousailles…
Alors, dans la cour même où le Conseil des villageois était réuni, s’en vint Fler-de-silence, invisible mais présente :
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
Pendant qu’elle chantait, les pieds de Dernier-né commencèrent à s’enfoncer en terre, et il dit à toute l’assemblée :
- Vous avez entendu ? Elle est là, ma femme, elle m’appelle…
Pour la seconde fois le chant monte, tout doux :
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
Pendant qu’elle chantait, Dernier-né continua à s’enfoncer dans la terre : il en avait déjà jusqu’à la poitrine… Il dit adieu à ses enfants et à toute l’assemblée, à ses parents, à ses amis…
Pour la troisième fois monta doucement la complainte.
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
C’est alors que Dernier-né-sans-pareil disparut aux yeux de toute l’assemblée. Sur lui la terre se referma et il ne resta aucune trace sur le sol. Depuis, personne au village ne l’a revu.
Qu’il soit loqueteux
dans la maison de sa belle-mère,
celui qui ne dira pas :
Conte ! Conte ! Conte !
- « Conte ! Conte ! Conte ! »
Contes Betsimisaraka
Angano Malagasy – contes de Madagascar
Alliance française de Tamatave
Foi et Justice Antananarivo
Le riz était beau cette année-là, et Dernier-né répondit :
- Tu viens un peu tôt. Le riz est encore sur pied. Attends qu’il soit dans les greniers, pour que les enfants ne se retrouvent pas complètement perdus. Quand le riz sera rentré, reviens. Viens m’appeler, tu verras : je ne change pas d’idée comme une saute de vent.
Fleur-de-silence s’en alla et attendit. On récolta le riz et Dernier-né fit presser le mouvement car il savait que son heure approchait. Le riz dans le grenier et la fête de la moisson terminée, il demanda la réunion du conseil des villageois et rassembla tous ceux de la famille.
- Ah ! dit-il, poliment… Excusez-moi de vous déranger en ce moment, mais je n’ai pas demandé la réunion du Conseil sans raison. Voici ce que j’ai à dire : ces enfants que voici, ce sont mes enfants ; ils seront vos enfants. Soignez-les bien ; soignez-les comme vos propres enfants, car je vais vous quitter. Je vais rejoindre ma femme. Avant sa mort, bien avant, nous nous sommes fait la promesse de nous rejoindre, et que le premier parti viendrait chercher l’autre. Nous ne voulions pas que notre amour et notre tendresse soient brisés par la mort. L’heure est venue de réaliser notre promesse. Ma femme va venir me chercher. Je vous fais mes adieux, à vous tous. Veloma. Soyez vivants, tous. Au revoir à vous la famille, à vous les amis, avous tous réunis aujourd’hui…
Vous parlez d’un étonnement pour tous ceux qui étaient là !
- Et tu vas échanger l’amour de tes enfants vivants, pour celui de ta femme qui est morte ? dit quelqu’un…
- C’est là ma peine ! Mais que puis-je faire ? C’est la promesse que nous nous sommes faite au temps de la tendresse de notre amour, au temps de nos épousailles…
Alors, dans la cour même où le Conseil des villageois était réuni, s’en vint Fler-de-silence, invisible mais présente :
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
Pendant qu’elle chantait, les pieds de Dernier-né commencèrent à s’enfoncer en terre, et il dit à toute l’assemblée :
- Vous avez entendu ? Elle est là, ma femme, elle m’appelle…
Pour la seconde fois le chant monte, tout doux :
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
Pendant qu’elle chantait, Dernier-né continua à s’enfoncer dans la terre : il en avait déjà jusqu’à la poitrine… Il dit adieu à ses enfants et à toute l’assemblée, à ses parents, à ses amis…
Pour la troisième fois monta doucement la complainte.
« O Dernier-né-sans-pareil, ô !
O toi, mon tendrement aimé !
Tu as de la chance, ô Dernier-né !
Tu peux dormir sur le doux oreiller de ton lit…
Mais vois Fleur-de-silence,
elle n’a que le dur oreiller du tombeau !
Souviens-toi de notre promesse,
O Dernier-né-sans-pareil ! »
C’est alors que Dernier-né-sans-pareil disparut aux yeux de toute l’assemblée. Sur lui la terre se referma et il ne resta aucune trace sur le sol. Depuis, personne au village ne l’a revu.
Qu’il soit loqueteux
dans la maison de sa belle-mère,
celui qui ne dira pas :
Conte ! Conte ! Conte !
- « Conte ! Conte ! Conte ! »
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