Conte: Gagneur-le-riche et Gagneur-l’argent

Publié le par Alain GYRE

 

Gagneur-le-riche et Gagneur-l’argent

 

Un frein suffisamment puissant pour éviter le droit de vie et de mort sur les esclaves.

      Créateur (on ne dit habituellement pas « le » Créateur dans la culture religieuse malgache traditionnelle) est longuement présent dans ce conte, sans être toujours explicitement cité. Pas plus que le conteur, il ne met en cause la guerre et ses carnages, le vol, les razzias. Il se présente, ou plutôt, on le présente, comme le Gott mit uns de certaines armées. Il est davantage à l’image des hommes que ceux-ci ne sont à la sienne. De leur comportement, il ne remet pas grand-chose en cause. Mais est-il seulemebt l projrction de l’esprit arrivé à un certain degré de civilisation ?

Le conte fait apparaître le respect du père et de la mère pour les jeunes princes, leurs enfants. Le père respecte le choix de ses enfants qui pourtant l’étonnent. Leurs exigences bizarres, leurs projets farfelus, leur vision révolutionnaire des relations entre les hommes, ne le mettent pas hors de lui. Il avance des arguments mais respecte les aspirations de ses enfants. Ce n’est pas une attitude si courante, même si Créateur agit ainsi envers nous les hommes. Ce conte nous conduit vers un Dieu vivant et vrai.

 

Rumine et rumine Monsieur Rat

Aux longues dents,

Caresse et caresse sa barbiche,

Frotte et frotte son crâne pelé …

Ce n’est pas moi qui dit des menteries,

Mais les gens d’autrefois

Qui nous ont légué ce conte.

 

Le conteur se présente :

Moi, Oncle de Ndiny, je vais vous dire un conte aujourd’hui. Mon vrai nom est Jacques Jean-Baptiste, mais le nom que connaissent les enfants, c’est Oncle de Ndiny. Je suis né à Andranomiditra. C’est le nom de notre village sur les registres officiels, mais son nom véritable, c’est Analamenabe, c’est-à-dire « A-la-forêt-rousse ».

 

Voici comment nos Anciens racontaient cette légende :

 

Il y avait autrefois un prince. Un grand prince. Dans sa jeunesse, il, avait cherché une épouse et en avait trouvé une à son goût. C’était un homme agréable à vivre et il faisait un heureux foyer. Mais la richesse des richesses, ils ne l’avaient pas : ils n’avaient pas d’enfants. Pas un seul (Sa femme toute triste se parlait dans son cœur) :

- Ah, pauvre de moi ! Si je pouvais avoir un enfant ! Quel bonheur ! Quel bonheur pour nous… A quoi bon toutes nos richesses s’il n’y a personne pour en hériter ? A quoi bon vraiment ? Des esclaves nous en avons des quantités. Des bœufs, nous ne savons plus les compter. Mais des enfants, pas un seul.

Dans cette détresse, le Grand Seigneur du ciel se souvenait pourtant d’eux… Les enfants des légendes, on le sait, ils viennent vite : le ventre de la princesse grossit, grossit encore. Elle enfanta un garçon.

- Quel nom va-t-on lui donner, à cet enfant ? dit-elle à son mari ;

- Ah, tu sais… Un si petit enfant, je ne sais pas encore quel nom lui donner… Attends qu’il soit un peu plus grand. Quand il saura s’asseoir, je lui donnerai un nom.

 

Quelques temps après, il savait s’asseoir…

- Alors, quel nom va-t-on lui donner ? dit la mère de l’enfant à son mari.

- Avant qu’il ne commence à trotter sur ses mains et ses genoux, je ne vois pas quel nom lui donner…

Un peu de temps  et l’enfant savait marcher à quatre pattes.

- Notre enfant sait marcher à quatre pattes… Quel nom lui donnes-tu ?

- Tant qu’il ne saura pas se tenir debout tout seul, je ne peux pas lui donner un nom.

L’enfant saut se tenir debout tout seul !

- Notre enfant sait se tenir debout, quel nom va-t-on lui donner ?

- Oui, oui… mais avant que mon enfant ne sache te suivre partout où tu iras, je ne lui donnerai pas encore de nom…

 

Pas mal de temps après que le Seigneur du ciel leur eut donné d’avoir cet enfant, l’enfant sut marcher derrière sa mère et la suivre partout…

- L’enfant sait te suivre mais il ne peut pas encore être avec moi pour rassembler les bœufs dans les enclos… Il ne peut pas venir à la chasse ni se promener avec moi… Il ne peut pas encore donner le travail aux esclaves ni s’occuper de tous nos biens… Quand il saura m’aider pour tout, alors oui, je lui donnerai un nom…

Bons ou mauvais, les jours se suivent, l’enfant pousse et grandit. Le voilà jeune homme, capable d’aider son père dans toutes les occupations.

- Bon, je vais lui donner un nom, à mon enfant : Parmi les enfants des hommes, qui n’a pas son nom ?

 

Il réunit donc tous ses gens, surtout ceux de son monde, ceux qui partageaient le pouvoir avec lui…

- Je vous réunis tous aujourd’hui, car je veux donner un nom à mon enfant : à partir d’aujourd’hui, il s’appelle Mahazomanana, c’est-à-dire « Gagneur-le-riche ».

 

Peu de temps après, on sait que dans les contes les choses vont vite, la princesse se retrouve grosse de nouveau. Ils attendent leur deuxième enfant. Elle le met au monde : c’est encore un garçon.

- Quel nom va-t-on lui donner, à notre enfant ?

- Eh bien, attends … Attendons qu’il sache se déplacer à quatre pattes…

- Alors, quel nom lui donnes-tu ?

- Attends qu’il sache se tenir debout…

Ça ne traîne pas, il sait bientôt se tenir debout toit seul.

- Quel sera son nom, demande la princesse ?

- Attends encore un peu qu’il sache me suivre partout… Ça y est, il sait suivre son père partout…

- Donne-lui son nom, à notre enfant.

- Attendons qu’il sache m’aider à rentrer les bœufs dans les enclos et me suivre à la chasse… Je veux aussi qu’il puisse faire comme son frère et prendre sa part de notre travail : alors je lui donnerai son nom.

 

Cet enfant, il poussait bien ! Ce n’était pas un petit malingre ou un gringalet. Il était en bonne santé et grandissait à vue d’œil. Il devint grand et fort. Les enfants qui reçoivent tous les soins nécessaires ont toujours une bonne croissance. Ses parents s’occupaient de lui et prenaient bien soin de sa santé. Ils ne manquaient de rien et l’on sait que la richesse permet des soins que les pauvres ne peuvent se donner. L’enfant, bien soigné et bien nourri, devint un beau jeune homme plein de courage à vivre. C’était lr moment de lui donner un nom.

- Quel nom va-t-on lui donner ? dit la mère.

 

 

Son père réunit les notables comme pour le premier. Voilà, le nom de notre deuxième enfant : Mahazovola, c’est-à-dire « Gagneur-l’argent ». les deux frères étaient la joie de la maison. Après eux, il n’t eut plus d’autres enfants, mais ces deux-là faisaient le bonheur du foyer. Ils étaient avec leur mère, ils éraient avec leur père : leur seule présence créait le bonheur.

Pourtant les deux jeunes n’étaient pas comme les autres jeunes. Qu’est-ce qu’ils aimaient donc faire ? Ils n’aimaient qu’apprendre à se battre. Non pas à se battre ou lutter l’un contre l’autre, non, ils faisaient des manœuvres de soldats pour la bataille : ils apprenaient à se servir d’un fusil. C’était leur passe-temps favori. Quand ils furent des hommes tous les deux, disons dans les vingt ans, ils allèrent causer à leur père :

- Dis, père, des fusils, il y en a chez nous, mais ce sont tes fusils et non nos fusils. Nous deux, nous voudrions avoir nos propres fusils. Fais-nous faire des fusils. Ordonne aux esclaves d’en fabriquer et s’il n’y en a pas assez, achètes-en. Tu vas nous dire  que tu as ^lein de fusils. C’est vrai. Mais ce sont tes fusils et non pas les nôtres.

- Vous me cassez la tête, les enfants… Des fusils, il y en a trois pleins magasins chez nous. Rien que de bons fusils, de bonnes armes. Qu’est-ce que vous voulez ? Des fusils ? prenez-en tant qu’il vous en faut.

- Non, père, non, mère… Ces  fusils, ce sont vos fusils mais pas nos fusils. Nous voudrions des fusils qui soient les nôtres.

- Je vous dis que vous me cassez la tête ! Mais ne vous en faites pas. Qu’est-ce qu’il peut y avoir de difficile à faire pour nous ? si on veut le faire, ça se fera. De l’argent, nous en avons : achetons des fusils ; cherchons des esclaves capables d’en faire. S’ils ne savent pas en fabriquer de très bons, cherchons-en d’autres. Les médiocres ne sont pas les miens : que les fourmis les dévorent ! Si vous trouvez des marchands de fusils, envoyez-les moi, je les achèterai. Mais je n’achèterai que les meilleurs…

Des esclaves, bons forgerons, fabriquèrent des fusils, des quantités. On en acheta aussi : les meilleurs. Il y en eut bientôt deux pleins magasins. Rien que des fusils, les fusils des deux jeunes.

- Des fusils, il y en a assez, dirent-ils à leur père. Nous t’en remercions beaucoup. Merci d’en avoir acheté et d’en avoir fait fabriquer par les esclaves forgerons. Mais nous n’avons pas de canons. Fais-nous fabriquer des canons et achètes-en aussi- Quoi ? mais des canons, il y en a tout autour de la ville ! Il y en a plein pour nous protéger de l’ennemi qui oserait nous envahir… Qu’est-ce que vous voulez faire avec des canons ?

- Tous ces canons sont tes canons, ce ne sont pas les nôtres : nous voudrions voir nos propres canons…

- Ah, vous êtes exigeants, vous ! Mais puisque c’est comme ça, faites fabriquer des canons et cherchez-en parmi les plus gros et les plus forts.

On en acheta des quantités et on en forgea aussi. Il y avait des esclaves très habiles à la forge. Ils savaient faire des canons, des fusils, des armes de toutes sortes… Les canons furent bientôt prêts. Les jeunes causèrent à leur père :

- Voilà, père. Nous avons des canons mais il nous faut maintenant des esclaves…

- Mais tous nos esclaves sont les vôtres !

- Oui… Oui… Mais ce sont tes esclaves à toi, pas les nôtres !

Le père leur donna des esclaves. En quantité. Trois mille qui devinrent leurs propres esclaves.

- Merci, père. Mais écoute-nous. Ces esclaves, nous ne les regarderons plus comme des esclaves, mais comme nos égaux à nous…

- Quoi ! Mais vous êtes fous, les enfants ! Des princes comme vous, vous voulez faire de vos esclaves vos égaux ? Qu’est-ce qui vous arrive ? Pourquoi voulez-vous détruire l’ordre des choses ? D’où sortez-vous des idées pareilles ?

- Ecoute, père… Ces esclaves, nous ne voulons pas qu’ils soient nos esclaves. Mais si tune veux pas qu’ils soient nos égaux, nous en ferons des soldats… Nous les appellerons soldats.

- Des soldats ? Oui… Pourquoi pas ? Ces esclaves, on vous les a donnés… Ils sont à vous. Après tout, vous avez le droit d’en faire ce que vous voulez…

Les esclaves devinrent donc des soldats : trois mille soldats. Ils firent des manœuvres de combat tous les jours. Toutes les sortes de batailles, ils les étudièrent, ils en firent des manœuvres. Durant des années, les esclaves devenus soldats apprirent à se battre ; dix années pleines. Ils étaient devenus une armée redoutable. Les jeunes avaient alors dans les trente ans, mais ils ne parlaient jamais de se marier.

- Alors les jeunes, vous ne pensez pas à prendre femme et nous donner des enfants ? On n’est pas si nombreux ici… disait leur père. Vous êtes toujours en train de faire des manœuvres et d’apprendre à vous battre. Vous ne pensez qu’à ça. Pourtant, les richesses ne vous manquent pas, ici…

- C’est vrai, père, mais ces richesses, ce sont vos richesses, pas les nôtres… Fais-nous construire des navires…

- Quoi ! Des navires ? Mais des navires, il y en a plein le port de la ville !

- C’est vrai, mais ce sont tes navires à toi, pas les nôtres. Nous voudrions avoir nos propres navires.

On fabrique donc des bateaux. On en fit des quantités : des navires de guerre… des sous-marins… des transports… toutes les espèces de bateaux… des gros et des petits…

- Voilà vos bateaux, les enfants !

- Ah, merci père. Nous avons tout ce qu’il nous faut à présent pour conquérir le monde. Nous allons partir, nous allons aller chercher du butin, nous allons aller nous battre, nous allons aller nous mesurer avec des gens des îles de la mer…

- Ah, les enfants ! Vous me rendez fou ! Vous ne rêvez que de batailles  et butin ! Ça ne se mange pas, ça ! Non ! Pourquoi voulez-vous partir ? Vous cherchez la mort ?

- Ah, père, tu sais, oui, nous chercherons nos propres richesses… Les tiennes sont le fruit de ton travail. Nous voulons que les nôtres soient aussi le fruit de notre travail.

- Oui, je comprends… Que faire ? Vous êtes jeunes encore, mais vous êtes des hommes. Vous voulez partir pour être vous-mêmes. Je ne veux pas contrarier vos idées…

Ils rassemblèrent leurs soldats. Ils embarquèrent. Avec toutes leurs armes : les fusils, les canons, les munitions, les victuailles, tout fut rassemblé dans les bateaux ; puis ils firent leurs adieux ; le jour du départ, un samedi, ils se levèrent de bonne heure et allèrent planter un arbuste, disons un pied de genêt. Ils le plantèrent dans la cour du palais. Chacun, Gagneur-le-riche et Gagneur-l’argent, planta le sien.

- Mère, père, dit Gagneur-le-riche, si mon genêt sèche… c’est que je serai mort là-bas. Une balle de fusil m’aura tué !

Gagneur-l’argent dit la même chose :

- Père, mère, si mon pied de genêt que voilà meurt, c’est que moi aussi, je serai mort là-bas au combat !

- Ah, les enfants ! Vous nous brisez le cœur en partant comme ça ! Vous êtes vraiment décidés tous les deux à partir au loin pour vous battre ? De beaux heunes hommes comme vous !

- Mais oui, tu le sais bien, c’est décidé !

- Malheur ! Que faire ? Soyez vainqueurs là-bas… puissiez-vous ramasser du butin, de l’argent, des richesses… puisse ma parole être écoutée pour qu’il ne vous arrive rien !

- Eh oui, père, puisses-tu être écouté ! Donne-nous ta bénédiction…

Ils reçurent la bénédiction demandée. Leur père leur donna sa bénédiction… leur mère leur donna sa bénédiction. Ils s’embarquèrent. Ils partent. Ils vont vers le sud, encore vers le sud, toujours vers le sud.  Des heures et des jours durant, ils vont plein sud. Ils arrivent dans les environs d’une île qu’on appelait Ile-Claire. Ils accostent et jettent l’ancre près de l’île. Les soldats et les marins restent à  bord, mais les jeunes montent à la ville. C’était une ville célèbre et bien défendue. Arrivés dans la ville, ils entrent dans le palais du roi de ce pays, disent « bonjour » et font les salutations d’usage.

- Quel palabre vous amène, étrangers ? Nous autres d’ici, nous sommes assis pour vous écouter… Alors quel est le palabre ?

De palabre , il n’y en a pas, mais la raison de notre venue chez vous est simple : nous venons pour nous mesurer à vous. Si vous êtes des hommes, comportez-vous en hommes, si vous êtes des femmes, comportez-vous en femmes. Nous autres là, nous sommes prêts au combat.

- Eh bien ! Vous ne manquez pas d’audace. Vous venez de chez votre père et de chez votre mère… vous venez ici pour vous battre avec nous, citoyens de l’Ile-Claire…

- Oui, c’est exact. Nous voulons nous battre avec vous. Si vous ne voulez pas vous battre, apportez-nous ue bonne part de vos richesses, nous l’emporterons avec nous… Si vous voulez vous battre, préparez-vous, nous arrivons, soyez forts car l’affaire va être chaude !

- Oh là-là-là-là ! Vous êtes célèbres et renommés chez vous, mais nous le sommes aussi chez nous… Vous vous croyez très forts… Vous pensez que nous n’avons pas de courage, que nous sommes des faiblards… Eh bien… Bagarrons-nous, bagarrons-nous jusqu’au bout ! Et c’est à quelle heure que va commencer le combat ?

- Demain matin huit heures ! Nous, pour le moment, nous rentrons à nos bateaux…

Ils rentrent à bord. Le lendemain, à huit heures précises, ils montent à l’attaque de la ville. Ils se rangent en bataille… Il faut savoir vous autres, qu’une bataille avec des fusils, ce n’est pas une attaque où l’on se précipite sur l’ennemi, tous ensemble et dans un beau désordre… Non, ce n’est pas ça. Il y faut de la réflexion, des manœuvres bien étudiées… La bataille fait rage ? Bomb-bomb-bomb font les canons. Pan-pan-pan-pan font les fusils. Les esclaves  - non , ils ne sont plus des esclaves, ils sont des soldats -, les soldats bien entraînés savent se battre. Leurs dix années de manœuvres ne sont pas perdues. On se bat autour de la ville, on se bat dans la ville, on se bat partout. Deux jours entiers, deux nuits entières, la bataille fait rage. Ile-Claire faiblit, Ile-Claire est vaincue. Les défenseurs lèvent un drapeau blanc. La ville est prise. Les richesses deviennent butin. Tout ce qui est précieux tombe entre les mains de Gagneur-le-riche et Gagneur-l’argent.

- Victoire ! On en ramasse les gars !

- Pour ça oui, on a les poches pleines…

- Vive la liberté des vainqueurs !

Ce sont là les cris des soldats qui s’emparent de toutes les richesses d’Ile-Claire. Ils reviennent à leurs bateaux croulant de butin. Ils emmenèrent prisonniers les chefs et le gouvernement de l’île. Tous. on les entasse dans les bateaux pour qu’il ne leur vienne pas l’idée de revanche. On ne les tue pas, tius ces gens, mais on les fit prisonniers .

- Alors, qu’est-ce que nous faisons, nous les vainqueurs ? Nous rentrons chez nous avec tout ce beau butin ?

- Non, pas encore, nous allons aller razzier Perle-des-Iles, une île encore plus riche qu’Ile-Claire. Courage, les gars, pour une deuxième bataille. Quand Perla-des Iles sera vaincue, alors, oui, nous rentrerons chez nous.

- A nous les choses précieuses, à nous les armes conquises !

Ils voguent sur la mer, ils voguent longtemps. Voilà Perle-des-Iles… Ils accostent, ils jettent l’ancre. Les soldats et les marins restent à bord pendant que les deux jeunes montent en ville. Ils entrent dans le palais où siègent les grands du gouvernement de l’île. Ils font les salutations d’usage. C’est fait.

- Quel est votre palabre ? Nous autres, nous sommes assis pour vous écouter ; Alors ? Quel palabre,

- Ecoutez bien vous autres, il n’y a aucun palabre entre nous, nous sommes venus ici pour nous battre avec vous. Si vous êtes des hommes, montrez-vous des hommes, si vous êtes des femmes, montrez-vous des femmes… Nous nous sommes venus pour nous battre !

- Eh bien, vous ne manquez pas d’audace, vous autres ! vous avez quitté votre père et votre mère, vous êtes arrivés ici et vous voulez vous battre avec nous ! Avec nous qui n’avons rien fait contre vous !

- Oui, nous voulons nous battre avec vous. Si vous ne voulez pas vous battre, livrez-nous vos richesses, votre or, votre argent. Nous emporterons tout avec nous.

- Oh-oh-oh ! Nos richesses, personne encore ne s’est emparé…

- Alors, on se bat ?

- On va se battre !

- Et à quelle heure le début du combat !

- A huit heures demain matin !

A huit heures, le lendemain matin, le combat commença. C’est la bataille. Bom-bom-bom font les canons. Pan-pan-pan-pan font les fusils. Ça chauffe dure. La terre est en feu… La ville est en feu.. Tout est en feu…

Gagneur-l’Argent est partout. Il est le plus habile au combat. Certes, les deux jeunes sont forts mais Gagneur-l’Argent sait mieux manœuvrer. Gagneur-de-Riche a des soldats  en réserve et attend le moment de les faire donner. Gagneur-l’Argent fait un mouvement tournant autour de la ville en feu. Il cherche à investirle âlais royal e guide ses soldats par un chemin caché. Gagneur-le-Riche se rend compte du mouvement et attend pour intervenir. Il est assourdi par le bruit des détonations et aveuglé par la fumée de la poudre. L’ennemi découvre le mouvement de Gagneur- l’Argent cherchent à l’arrêter. Une balle l’atteint sous l’oreille… Ah !!! Gagneur-l’Argent s’effondre… Gagneur-l’Argent est mort !

C’est la débâcle : les attaquants foncent vers leurs bateaux. Ils ramassent les blessés. Ils lèvent un drapeau blanc pour ramasser leurs morts et surtout le cadavre de Gagneur-i’Argent. Ils courent vers les bateaux ; dès qu’ils sont à bord, ils larguent les amarres et s’en vont, pour ne pas dire qu’ils s’enfuient… Ils s’enfuient, oui, mais sans avoir été vraiment vaincus. Perle-des-Iles était presque vaincue… Si Gagneur-l’Argent n’était pas mort, c’était la déroute pour elle.

Dès ce moment… (chaque jour la mère des deux jeunes allait regarder les deux pieds de genêt…) Ah ! Le genêt de Gagneur-l’Argent semble se flétrir… !Hélas ! Hélas !,Les feuille sèchent, les branches s’inclinent, flétries ! Père et mère de Gagneur-l’Argent pleurant d chagrin…

- Où-où-uù es-tu Gagneur-l’Argent ?

Mon enfant ah !

Où es-tu Gagneur-l’Argent ?

Où-où-où es-tu Gagneur-l’Argent ?

Ah ! Mon enfant !

Où es-tu ?

Vous étiez à l’Ile-Claire…

vous avez eu la victoire !

Vous étiez à Perle-des-Iles…

Mes enfants !

Ah ! Gagneur-l’Argent-en-en-en…

Te voilà mort !

Gagneur-l’Argent, mon enfant…

Les gens du pays entendent la complainte de deuil. Pleins de tristesse, ils se rassemblent… Ils pleurent de chagrin… La mère de Gagneur-l’Argent se frotte de cendres… Les autres femmes aussi… On se frappe le corps… C’est le deuil d’un fils !

L’armée, là-bas, ramène le corps… Ils pressent l’allure… Ils rentrent à la maison avec la dépouille mortuaire. Il faut aller vite : aussi vite qu’on allait à la conquête des îles ! Les bateaux vont à toute vitesse : ils soulèvent la mer, is soulèvent la mer, ils soulèvent la mer… Long est le voyage, mais ils finissent par arriver. Les guetteurs aperçoivent les bateaux ballotés par la mer. Les pleurs redoublent.

- Où-où-uù es-tu Gagneur-l’Argent ?

Mon enfant ah !

Où es-tu Gagneur-l’Argent ?

Où-où-où es-tu Gagneur-l’Argent ?

Ah ! Mon enfant !

Où es-tu ?

Vous étiez à l’Ile-Claire…

vous avez eu la victoire !

Vous étiez à Perle-des-Iles…

Mes enfants !

Ah ! Gagneur-l’Argent-en-en-en…

Te voilà mort !

Gagneur-l’Argent, mon enfant…

Des bois semblent flotter sur la mer… Ce sont les bateaux qui arrivent… Ah, ce deuil ! Partout on pleure ! C’est le deuil et ses coutumes… On tourne et tourne sans savoir quoi… Les cheveux flottent sur les épaules, défaits ! On se jette de la poussière sur le corps, de la boue. On se roule par terre ! C’est le deuil d’un fils ! On prend des pierres aiguës, des fers tranchants : on s’entaille le corps. La mère de Gagneur-l’Argent est méconnaissable, ensanglantée. C’est le deuil d’un fils !

Les hommes, eux, sont remplis de tristesse aussi. Mais ils ne font pas ce que font les femmes. C’est différent le cœur d’un homme et le cœur d’une femme : les coutumes de deuil aussi.

- Où-où-uù es-tu Gagneur-l’Argent ?

Mon enfant ah !

Où es-tu Gagneur-l’Argent ?

Où-où-où es-tu Gagneur-l’Argent ?

Ah ! Mon enfant !

Où es-tu ?

Vous étiez à l’Ile-Claire…

vous avez eu la victoire !

Vous étiez à Perle-des-Iles…

Mes enfants !

Ah ! Gagneur-l’Argent-en-en-en…

Te voilà mort !

Gagneur-l’Argent, mon enfant…

Ils arrivent à la ville, leur ville. Al là-là-là ! On ne reconnît plus les femmes ! On descend le corps. On monte au palais… On fait le deuil d’un fils : tout ce qu’il faut.on pleure. On se lamente. (Mais il faut nourrir tout ce monde venu pour le deuil. Les feux sont allumés, la fumée monte des feux. Une fumée sombre,,épaisse,comme si les feux eux-mêmes étaient en deuil…La fumée monte jusqu’au ciel..).

Là-haut, Zanahary, Créateur, donnait une grande fête. Mais une fumée âcre montait de la terre suffoquant les invités de la fête.

- Qu’est-ce qu’ils font en bas, sur la terre ? Une fumée pareille qui nous suffoque comme ça, ce n’est pas possible ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Il doit y avoir une raison…

- Oui, il doit y avoir une raison, mais laquelle, on n’en sait rien ici.

- Eh Randravokobokoko ! « Monsieur-Messager-de-la-joie-qui-descend » ! Descend donc voir ce quise passe en bas… Cette fumée ! Ces lamentations ! Qu’est-ce qui peut provoquer tout ça ?

Monsieur-Messager-de-la-joie-qui-descend s’en alla vers la terre : descend-descend-descend… descend… descend… Il arrive sur la terre.

- Qu’est-ce qui vous arrive ici ? Quelle est la raison de cette grande détresse ? Là-haut, on fait une grande fête et vous ici c’est la tristesse et les lamentations. La fumée qui monte nous gêne là-haut. Pourquoi toutes ces larmes ?

- Oh ! C’est une chose que vous ne savez pas là-haut… Il y avait deux jeunes gens ici… meurs parents s’aimaient bien, ils étaient riches, mais … ils n’avaient pas d’enfants. Et voilà que la femme, enfin, eut deux fois un enfant très beau, très courageux : on aurait dit des jumeaux, bien que des années les séparaient. Ils partirent pour chercher fortune. Ils firent des razzia. A Ile-Claire, ils eurent la victoire. Après ils allèrent à Perle-des-Iles, ils s’y battirent… Mais une balle frappa le cadet, Gagneur-l‘Argent. Il en est mort. En ce moment ; on fait les coutumes des morts pour l’enterrer. Son père et sa mère, et nous tous, nous sommes dans la détresse de cette mort ; c’est pourquoi nous pleurons et faisons toute cette fumée. Nous faisons cuire kes bœufs et le riz pour tout ce monde-là et nous pleurons avec eux leur enfant chéri.

Ils partirent : montons-montons-montons-montons-montons… mon… tons… Ils arrivent.

- Alors, qu’est-ce qui leur donne une pareille tristesse ?

- Ah, c’est simple : il y avait deux jeunes gens qui partirent chercher fortune au loin… Leur mère était restée longtemps sans enfants. Puis eele a eu ces deux-là… Et puis… Et puis… l’un est mort. Quel malheur pour eux !

- Si c’est comme ça, dites-leur de ne plus être tristes… Vous leur direz :Ayez confiance en Créateur… Si vous avez confiance en lui, votre joie et votre bonheur peuvent renaître un de ces jours. Prenez le corps du mort. Mettez-le dans une caisse où l’eau ne peut pénétrer. Plonger la caisse dans une eau profonde, comme l’eau du port où accostent vos bateaux. Un mois entier, la caisse doit rester dans l’eau… Après vous la sortirez et vous l’ouvrirez. Ne pleurez plus surtout.

Monsieur-Messager-de-le-joie-qui-descend quitta le ciel : descend-descend-descend-descend-descend… descend… des… cend

- Voilà la parole de ceux d’en haut : Ayez confiance en Créateur… Car c’est lui, Créateur, qui vous a donné cet enfant. C’est lui qui vous l’a enlevé… (Il peut vous le rendre). Mettez le corps dans une caisse bien fermée où l’eau ne peut pénétrer. Attachez la caisse avec une corde et fautes-la descendre dans les eaux profondes du port. Laissez la caisse  un mois durant au fond de l’eau, après vous la remonterez et vous l’ouvrirez…

Ils prennent le corps, le mettent dans la caisse, attachent la caisse avec la corde et la ^longent dans la mer. Après trois semaines, ils allèrent voir le pied dr genêt desséché. Il commence à reverdir ! Des branches poussent des bourgeons, des bourgeons éclatent. A la fin du mois, le genêt est bien vert, il fleurit. Ils tirent sur la corde, ramènent la caisse, l’ouvrent. Gagneur-l’Argent est là, vivant, comme il était autrefois (Vous pensez le bonheur pour ses père et mère et pour tous ses amis !). Alors ce fut la fête, une fête comme il n’y en eut jamais de pareille !

 

Voilà ce que je dis pour terminer :

Si c’est un conte qui vient de moi,

Que ce jour soit un beau jour !

Si c’est un conte qui ne vient pas de moi,

Que ce jour soit un beau jour aussi !

Ce n’est pas moi qui dis des menteries,

Mais ce sont les gens d’autrefois

(Qui l’ont raconté avant moi).

N’oubliez pas ce que j’ajoute ici :

Avoir confiance en Créateur ;

Il faut le dire,

On y perd jamais ;

Jamais de la vie.

Créateur donne,

Créateur reprend.

Cependant, grâce à leur confiance en Créateur,

Ces parents ont vu leur fils vivant.

Tous, il nous faut donc

Avoir confiance en Créateur

Qui peut faire tout ce qu’il veut.

 

 

 

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