Conte: Histoire d’animaux - Raymond DECARY
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Histoire d’animaux
Conte Bara, recueilli à Ranohira
Un jour, dit-on, le fils de Dieu qui s'appelait Taontao kafa, demanda à son père la permission pour se promener sur la terre.
Le Dieu des cieux lui accorda cette permission et il confia la garde de son fils pendant son voyage à des oiseaux appelés Ravintsy (1) et Rakankafotra (2-3).
Il choisit le printemps pour descendre sur la terre, car il avait peur du froid de l'hiver.
Le printemps venu, les promeneurs descendirent sur la terre et furent bien heureux de trouver la terre couverte de fleurs de toutes les couleurs.
Tous les jours, ils allèrent se baigner dans l'eau limpide des rivières. Ensuite, ils allèrent cueillir des fleurs dans les forêts les plus épaisses. Ils furent si contents que chaque jour ils recommencèrent ces distractions.
Un jour, vers le commencement de l'été, ils allèrent ensemble dans la forêt pour cueillir des fleurs. Mais comme il faisait chaud, les deux gardiens se mirent à dormir au pied d'un grand sakoa (4) au feuillage touffu qui poussait dans un terrain dénudé au milieu de la forêt, tandis que Taontaonkafa s'amusait à faire des bouquets avec les fleurs qu'ils ont cueillies pendant la matinée.
Il alla seul aussi dans la forêt pour cueillir d'autres fleurs sans être accompagné par ses gardiens. Il s'égara dans la forêt car il ne trouva plus le sentier qui conduit à l'arbre au pied duquel dormaient ses gardiens.
Vers le coucher du soleil, les deux serviteurs se réveillèrent, mais quelle est (leur) surprise de ne pas voir Taontaonkafa près d'eux.
Pendant l'été entier, ils se mirent à chercher le fils de Dieu partout. Le kankafotra le chercha dans les forêts, et le vintsy suivit les cours d'eau, mais ils ne le trouvèrent pas.
Vers le commencement de l'hiver, les deux malheureux gardiens montèrent aux cieux pour faire part à Dieu de la disparition de son fils Taontaonkafa. Celui-ci fut en colère et condamna aux deux oiseaux de chercher toujours son fils.
Les deux gardiens furent condamnés en outre de rester toujours sur la terre, s'ils ne trouveront pas le fils de Dieu.
C'est pour cette raison, dit-on, qu'au commencement du printemps, anniversaire de la disparition de Taontaonkafa, les kankafotra l'appellent sans cesse en chantant : Taontaonkafa ! Taontaonkafa ! Ils sautent de branches à branches pour le chercher. Ils continuent de l'appeler pendant l'été car ils sont malheureux d'être privés des cieux. Les vintsy de leur côté ne cessent jamais de suivre les cours d'eau pour chercher le fils de Dieu perdu. A chaque instant, ils lèvent et baissent la tête pour mieux regarder.
Le kankafotra ne chante que pendant le printemps et l'été, car c'est pendant cette saison que le fils de Dieu est disparu, et il appelle toujours. Le vinisy le cherche toute l'année mais ils ne l'ont pas encore retrouvé (5).
Notes :
(1) Le vintsy est le martin-pêcheur malgache, ou Ispidina madagascariensis. Il se nourrit d'alevins et de petits insectes comme son homonyme de France. Cet oiseau habite surtout les régions orientale et nord-occidentale ; sur les Hauts Plateaux, on le rencontre peu souvent. Il a les mœurs et la couleur du martin-pêcheur européen. Un peu partout, certaines familles ou clans le respectent, le tenant pour leur ancêtre.
(2) Le kankafotra ou Cuculus popiocephalus, analogue à notre coucou, a cependant un cri un peu différent. Son arrivée est, pour les agriculteurs de l'Imerina, le signal de la mise en état des terres pour la deuxième culture du riz. Autrefois, au contraire, on considérait son cri comme de mauvais augure, et celui qui l'entendait trop souvent risquait de voir ses rizières dépérir.
Les Tsimihety donnent à son cri si particulier l'origine suivante. Il y a très longtemps, le kankafotra était très riche et possédait de nombreux esclaves. Il envoya un jour l'un d'entre eux nommé Botokoko, chez un ami habitant assez loin, pour lui porter une étoffe précieuse, un lamba mena, qui devait lui servir plus tard pour une inhumation, mais l'esclave infidèle se l'appropria et prit la fuite. Au bout de quelques jours, ne le voyant pas revenir, le kankafotra fit partir à sa recherche un autre esclave qui profita aussi de l'occasion pour s'enfuir. Un troisième fit de même. Il se décida alors à aller personnellement chez son ami. et dans la discussion qui suivit, il l'accusa d'avoir voulu détourner à la fois l'étoffe et son porteur. Mais l'ami, ainsi mis en cause, n'eut pas de peine à se justifier, et le kankafotra, désolé de son infortune, partit à travers la brousse pour tenter de retrouver ses esclaves. Il n'y a pas encore réussi, et continue à courir la cam- pagne en appelant son esclave de tous côtés et en criant à tous les échos : Botokoko ! Botokoko !
(3) Le préfixe Ra employé dans les vocables Ravintsy et Rakankafotra a le sens de «Monsieur».
(4) Le sakoa ou Sclerocarya caffra des domaines occidental et sud-occidental de Madagascar est une Anacardiacée originaire d'Amérique tropicale, et qui s'est répandue également en Afrique. C'est un des arbres les plus caractéristiques de la brousse à végétation clairsemée soumise au régime des feux périodiques. Cet arbre possède diverses utilisations. Son fruit est une drupe acidulée et rafraîchissante, qui peut donner un cidre agréable. L'amande produit une huile siccative pouvant servir en savonnerie. La sève se transforme en une gomme brun clair transparente, moyennement adhésive. L'écorce fournit une proportion moyenne de tanin ; on en tire aussi une teinture végétale brun rouge ou marron foncé.
(5) Le vintsy et le kankafotra reviennent assez fréquemment dans le folklore malgache. Voir notamment : Le kankafotra (fable Tanala) ; Le vintsy et le caïman (fable Sakalava).
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY