Conte: Histoire de Faralahimiantra - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

Histoire de Faralahimiantra (1-2)

Conte Vezo, recueilli à Saint-Augustin

 

Ratompoinarivo était un roi absolu. Il avait trois enfants.  Le premier s'appelait Veromanana, le second Ratiahandova, et le troisième Faralahimiantra.

Le troisième était le plus serviable parmi eux.

Avant de mourir, leur père les avait appelés, leur partageait l'héritage.

Le père donna à chacun d'eux un sabre, puis il donna à son premier fils le royaume, au second toutes les propriétés ; il ne donnait au dernier que le sabre et un petit chat.

Celui-ci était toujours embarrassé, songeant à sa part et surtout en voyant son petit chat, et pleurait souvent.

Les deux premiers fils au contraire vivaient en paix, ne pensaient pas au cadet, oublièrent tout ce que leur père leur avait dit et finirent par perdre leurs sabres dans le dépotoir.

Leur petit frère, au contraire, voyant les sabres, se mit à pleurer et les essuya avec ses larmes jusqu'à ce qu'ils aient été bien brillants, puis il les emporta et les accrocha avec le sien. Il vivait ainsi fort longtemps, toujours embarrassé, surtout quand il se souvenait de l'héritage que son père lui avait donné.

Voyant cela, son petit chat était à son tour très étonné, mais comment faire ?

Alors le chat demanda :

« Pourquoi, Seigneur, êtes-vous embarrasse ? »

Faralahy lui répondit qu'il ne comprenait pas le pourquoi de l'héritage.

« Tu n'es qu'un chat, et je n'ai reçu d'autre chose de sa part (3) ; c'est toi qui étais ma part, et chaque fois que je te regarde, je me décourage, mes larmes sont mon repas habituel ; mes frères au contraire vivent aisément avec leurs richesses.

- N'ayez pas peur, dit le chat ; voulez vous, maître, demander à vos frères leurs sabres que leur a donnés votre père.

- Les sabres, tu dis ? Ils sont ici.

- Ah ! C'est bon, demandez-leur tout de même ».

Faralahy partit alors trouver ses frères pour leur demander les sabres. Les frères lui répondirent qu'ils ne s'en occupaient plus : c'était chose inutile et ils ne voulurent plus causer avec lui.

Farahaly tout honteux partit.

Le chat supplia alors son maître de garder les trois sabres, car les sabres, disait-il, c'est la force du royaume ; malgré cela, il ne faut jamais les employer pour troubler la tranquillité publique, mais pour maintenir l'ordre, car vous savez dès maintenant que le royaume vous appartient à vous seul (4).

« Sachez aussi que le peuple n'aime que celui qui tient la vérité et ne change jamais de manière. Préparez moi aussi des semelles de cuir qui me conviennent bien » (5).

Faralahy les fit faire, puis il les lui donna et le chat était très content.

 « Voulez-vous m'attendre, mon Seigneur, j'irai à la chasse ».

Son maître le laissa partir.

Il partit alors et gagna beaucoup (6). Mais il garda le meilleur et ne donna à son maître que le mauvais. Il porta les meilleures proies, les sarcelles, les pintades ainsi que les canards sauvages à un roi voisin qui était le plus puissant et qui régnait au nord du royaume du père de Faralahy.

Le chat flatta le roi et dit que son maître est le seul roi du sud, celui qui est le plus absolu et qui a pu conquérir ses voisins de l'est et de l'ouest ; mais comme vous êtes son père, il n'a jamais voulu porter ses armes contre vous, c'est ainsi qu'il m’envoya pour vous donner ceci (pintades, sarcelles, etc ) en votre honneur comme cadeau.

« Dis-lui, dit le roi, que je le remercie très sincèrement, et que je suis content de continuer toujours l'amitié dont vous avez besoin ».

Le chat rentra mais ne communiquait rien à son maître.

Attiré par cette grande reconnaissance, le roi alla avec ses deux enfants, accompagné de ses hauts personnages, voir Faralahy.

 Alors le chat avertit son maître que le roi, son voisin du nord, viendra le voir.

Alors il supplia son maître d'aller se baigner (7).

Farahaly accepta et le chat, de sa part, garda la maison.

Les voyageurs arrivèrent, suivis par beaucoup de peuple et de hauts personnages ainsi que par leurs soldats armés.

Voyant cela, les frères de Faralahy prirent la fuite, ils crurent que le roi du nord et ses sujets arrivèrent pour les envahir ; ils eurent peur parce qu'ils n'avaient rien pour se défendre.

Le chat au contraire, voyant le roi et ses armées, les amena dans le palais de son maître, tout en les avertissant que son maître était allé se baigner auprès d'un ruisseau.

Le roi ordonna d'appeler immédiatement son maître car il voulut le voir.

Le chat se mit en route. Voyant son maître qui était en train de se laver sans souci, il marcha doucement et cacha ses habits, puis il dit à son maître :

« Mon Seigneur, les voyageurs dont je vous ai parlé l'autre jour sont arrivés et ils m'envoient pour vous trouver et vous conduire près d'eux ».

Faralahy était étonné en montant du ruisseau puisqu'il ne trouvait pas ses habits à l'endroit dans lequel il les a posés.

Le chat le pressa de partir cependant.

« Excuse-moi, mon chat, car mes habits ont été volés.

- Qu'est-ce que vous dites, mon Seigneur ?

- Je te dis encore une fois que mes habits ont été volés, et malheureusement je ne peux me montrer à ce roi car il me serait impossible de me présenter tout nu ». (Le chat avait employé cette ruse parce qu'il a eu honte de voir son maître habillé de la sorte et pour amener le roi à donner des habits) (9).

Le chat était allé communiquer au roi tout ce qui s'était passé.

Celui-ci, étant bien triste, ôta son complet, sa chemise, ses souliers et les faisait porter pour Faralahy.

De plus le roi remercia Faralahy de toutes ses offrandes.

Faralahy en fit autant.

« Ce pays, dit le chat, appartient à Faralahy. Pardonnez-moi, mon Seigneur, de partir en avant pour préparer vos repas. Vous allez suivre la direction de l'Est.

- Oui », dit le roi.

Le chat partit et dit à tous ceux qui le rencontrèrent de répéter ce mot quand le roi passe et leur demande : Qui est votre roi ?

« Nous sommes les sujets de Faralahy ».

Chaque fois que le roi demanda ainsi, partout où il passa, le peuple répéta la parole que le chat lui avait recommandée.

En entendant cela, Faralahy était ébahi et chercha en lui-même la cause de cela. Le chat arrivé dans l'habitation du roi cria à haute voix :

 « Tuez un bœuf gras, pilez du riz et décorez les rues ainsi que les édifices car votre roi ne sera plus un méchant roi, mais bon et pacifique ».

Le roi de ce pays n'était pas encore revenu dans son palais et ne sut rien. Le chat entra doucement dans le palais et trouva le gardien qu'il supplia de lui donner une aumône. Le gardien était étonné en voyant un chat qui parle et lui demanda :

« D'où viens-tu et que demandes-tu ?

- Je suis sorti de la terre, mon maître. Si vous êtes prêt à vous défendre, il faut montrer votre habileté. Je suis l'envoyé de votre roi qui est décédé il y a longtemps et qui veut savoir comment son fils a organisé son commandement et ses armées.

- Tenez-vous bien, je vais vous le montrer ».

Le gardien prit alors un sabre taché de sang et, en gesticulant, il apparaissait comme un lion très grand et montrait ses canines. Le chat ébahi fut obligé de grimper la toiture.

Le gardien lui dit :

« Pourquoi te sauves-tu ? »

Le chat lui répondit qu'il a eu peur car il croyait que le gardien voulait le manger.

« Non, je ne te toucherai jamais, dit le gardien ; n'aie pas peur.

- Mais savez-vous encore d'autres choses que cela ?

- Attendez », dit le gardien. Il prit de nouveau son sabre, faisait trembler sa voix et devenait un rat.

En le voyant se changer ainsi, le chat se précipita bientôt sur lui et l'avala d'un seul coup.

 « Maintenant le royaume nous appartient », dit le chat.

Il sortit du palais et cria : « Le royaume appartient à Faralahimiantra et votre fameux gardien a été enterré la nuit dernière ».

Les habitants du village eurent une grande peur et envoyèrent secrètement quelqu'un pour voir le palais. Il ne trouva rien et, de retour, insista en disant que tout ce qu'a dit le chat était vrai.

Le chat avertit les habitants qu'ils ne devront pas avoir peur car le nouveau roi est juste et généreux.

Le nouveau roi (9) était déjà arrivé. Il demanda aux habitants à qui appartenait ce beau palais.

Ceux-ci répondirent que ce palais appartient à Faralahimiantra.

Quand l'ancien roi en revenant apprit que son gardien avait été tué et son palais détenu par un nouveau roi, il se laissa tomber au fond d'un précipice et se tua.

Le chat fit prendre les trois sabres et en les montrant au peuple, il dit :

« Regardez ! Voilà nos sabres ; comment sont ils ?

- Bien brillants », disait le peuple.

l leur en montra un autre :

« Et celui-là, comment est-il ?

- Sale et taché de sang.

- Regardez donc : nous allons enterrer ce sabre sanguinaire, mais les brillants resteront toujours entre les mains du roi pour assurer la tranquillité. Nous appellerons le premier sabre Ratiafilaminana ; le second Rafiraisanilaina, et le troisième Rahalahiniosa.

Ils ont été laissés pour assurer l'ordre dans le royaume de Faralahy ».

Faralahimiantra se maria avec la fille du roi voisin.

Nul roi n'était nulle part comme lui. Il était un roi absolu, pacifique, et sut se faire aimer.

Ses frères, poussés par l'amour propre, voulant tout gagner, furent détrônés à l'improviste et furent tués eux-mêmes en récompense de leur mauvaise conduite.

 

Notes :

(1) On verra, dans la suite du texte, les analogies de ce conte avec l'histoire française du chat botté, qui peut l'avoir inspiré en partie. On trouvera le conte du chat botté, adapté pour les enfants malgaches dans le livre de lecture de A. Rakotozafy. Irango et ses amis (Irango sy ny sakaizany). Paris, 1962.

 (2) Dans le cours du conte, le nom de Faralahimiantra est abrégé en Faralahy. Antra signifie charitable. Faralahimiantra est exactement Faralahy le Bon.

(3) De la part de mon père.

 (4) Puisque vous possédez les sabres qui sont l'insigne du pouvoir.

(5) Il s'agit des kapa, qui sont des sandales avec lanières en cuir de bœuf, et sont très utilisées par toutes les populations du Sud et de l'Ouest.

(6) Et captura beaucoup de gibier.

(7) Le chat voulait éloigner son maître de sa demeure.

(8) A Faralahy, qui se trouvait sans vêtements.

(9) C'est-à-dire Faralahy. Le conteur omet de préciser, dans le récit que Faralahy s'était aussi mis en route pour le pays du roi du Nord.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

 

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