Conte: ITENIKA - Raymond DECARY
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ITENIKA (1)
Conte Bara, recueilli à Ranohira
Il y avait un homme qui s'appelait Leiebo (trimobé ou ogre). Il se maria avec une personne qui s'appelait Njava. Quelques mois après leur union, ils eurent une fille qu'ils appelèrent Itenika.
L'enfant grandissait jour et nuit. Quand elle fut assez grande, elle s'amusait avec les enfants du village de son âge. L'un des jeux que les enfants aimèrent le plus pendant ce temps fut de demander du riz blanc, de la viande, etc., à leurs parents, et d'aller les faire cuire dans la campagne pour faire un repas entre les enfants (2).
Tous les jours, ils partirent le matin et ne rentrèrent que le soir.
Un jour, Itenika, voyant que chaque enfant apportait une cruche pour puiser de l'eau, demanda à Njava, sa mère, de lui en donner une. Sa mère lui dit qu'elle n'en avait pas, sauf la cruche d'argent de son père Leiebo. L'enfant pria sa mère de la lui donner, mais sa mère, sachant que son mari Leiebo est un ogre très méchant, ne voulut pas donner la cruche à l'enfant. L'enfant la supplia toujours, et Njava la donna en recommandant à sa fille de ne pas la casser, car si elle cassera la cruche, Leiebo la mangera.
Une fois, les enfants jaloux de voir qu'Itenika a une cruche en argent, s'accordèrent de tromper celle-ci. Ils ramassèrent des débris de pots brisés et les montrèrent à Itenika en disant :
« Casse ta cruche, car nous avons cassé les nôtres ; voici les débris ; si tu ne casses pas la tienne, nous ne jouerons plus avec toi ».
Voyant ces débris de pots brisés, Itenika cassa aussi la sienne, mais quand la cruche en argent fut brisée (3) en morceaux, les enfants montrèrent leurs cruches en lui disant :
« Ton père va te tuer car tu as cassé sa cruche d'argent ».
Le soir, quand le moment de retourner à la maison fut arrivé, elle dit aux enfants de dire à sa mère qu'elle n'ose plus retourner à la maison car elle a brisé la cruche d'argent de son méchant père l'ogre. Elle leur demanda en outre de dire à sa mère qu'elle se cache dans ce rocher (4). Si elle viendra pour apporter son repas, qu'elle l'appelle et le rocher s'ouvrira (5).
Chaque jour, sa mère ne manque pas de lui apporter son repas, mais le rocher ne s'ouvrait qu'à la volonté d'Itenika. Chaque fois que sa mère arriva, elle s'approchait du rocher en appelant ainsi :
« 0 ! Itenika, la porte de pierre ne s'ouvre pas ! Réponds, c'est ta mère, réponds, c'est ton père ».
L'enfant, connaissant la voix de sa mère, répond ainsi :
« Me voici, maman ; me voici ! J'ai peur car j'ai brisé la cruche d'argent du méchant ogre ».
Elle ouvre la porte du rocher et mange la nourriture que sa mère lui apporte. Avant de s'en aller, sa mère lui recommanda de ne pas ouvrir si c'est son père qui l'appelle, car il cherche à la tuer.
Pendant l'absence d'Itenika, son père la chercha de tous côtés. Mais en vain, il ne la trouva pas. Il demanda des renseignements aux enfants qui ne la montrèrent qu'après avoir reçu des cadeaux.
Connaissant la cachette de la petite fille et sachant la manière de l'appeler, Leiebo alla au rocher et se mit à appeler ainsi :
« 0 ! Itenika, la porte de pierre ne s'ouvre pas ! Réponds, c'est ton père ; réponds, c'est ta mère. »
Mais l'enfant reconnaissant la grosse voix de son père n'ouvrit pas la porte.
Leiebo, pour avoir la voix des femmes, alla trouver un mpisikidy (devin). Celui-ci le conseilla de boire de l'eau salie par les excréments jetés par les chats sauvages, et de plus il lui interdit de manger les fruits du lamoty (6).
L'ogre a fait tout ce que le devin lui a ordonné. Sa voix était semblable à celle des femmes. Il alla au rocher où se cache Itenika.
En route il trouva un pied de lamoty chargé de fruits mûrs. Il se mit à en manger en se disant :
« Ce sont des bons fruits ; comment me défend on d'en manger ? »
Arrivé devant le rocher, il se mit à appeler Itenika, mais comme il a manqué à la défense du devin, sa voix était devenue grosse comme auparavant, et la porte du rocher ne s'ouvrit pas encore.
Il retourna de nouveau chez le devin pour lui demander pardon de sa faute et lui demanda encore de donner un médicament.
Ayant pris un autre médicament, il suivit un autre sentier pour ne pas retrouver le lamoty défendu.
Arrivé près du rocher, il appela Itenika :
« 0 ! Itenika, la porte en pierre ne s'ouvre pas ! Réponds, c'est ta mère ; réponds, c'est ton père. »
Comme sa voix changea comme la voix des femmes, l'enfant répondit :
« Me voici, maman, me voici ! J'ai peur car j'ai brisé la cruche d'argent du méchant ogre. »
Elle ouvrit la porte du rocher, mais au lieu de voir sa mère pour apporter son sakafo (7), elle vit avec frayeur son père l'ogre qui la tua avec un couteau tranchant et la coupa en morceaux pour la faire cuire.
Il la porta à sa maison et la fait cuire en l'absence de sa femme qui est sortie pour porter le repas de sa fille.
En arrivant devant le rocher, elle l'appela comme d'habitude, mais rien n'a répondu.
Elle retourna à la maison, et voyant que son mari fait cuire de la viande, elle lui demanda ce qu'il fait cuire. L'ogre lui répondit qu'il fait cuire de la viande.
Inquiète, elle demanda encore s'il a tué sa fille, mais Leiebo répondit que non. La femme ne voulut pas manger la viande, mais elle a recommandé à son mari de ne pas jeter les os mais de les ramasser dans un panier bien propre. Elle conserva avec soin ces os.
Après quelques jours, ces os se réunirent et devinrent une fille.
Cette fille grandit jour et nuit et devint Itenika qui a été tuée et mangée par Leiebo son père.
L'ogre, au contraire, ne songea plus à la tuer.
Quelque temps après, Trimobé (8) tomba malade et chercha , des sorciers pour le soigner. En vain ; les sorciers ne parvinrent pas à guérir la maladie.
Alors Itenika dit à son père :
« Puisque je suis ressuscitée d'entre les morts, j'ai vu beaucoup de choses, je sais tout ce qui guérit. Donc, je sais bien le remède qui convient à ta maladie ».
Leiebo la supplia de lui donner ce remède.
Itenika ordonna à sa mère de faire rougir au feu un fer long et pointu. Quand le fer fut bien rouge, elle dit à l'ogre de se coucher et de lui montrer son derrière. Elle prit le fer et l'enfonça dans le ventre de l'ogre en passant par derrière. Leiebo mourut quelques minutes après.
Itenika resta propriétaire avec sa mère de tous les biens que laissa l'ogre avec sa maison creusée dans le rocher.
Notes :
(1) Cette version, plus attrayante et plus détaillée, est rédigée dans un style bien supérieur à celui de la précédente.
(2) Ce genre de dînette enfantine porte le nom de kivarivary.
(3) On ne voit pas trop, en réalité, comment une cruche en argent peut être cassée ; il faudrait plutôt admettre qu'elle fut bosselée ou écrasée.
(4) La grotte aujourd'hui d'Itenika.
(5) Ou plutôt elle ouvrira la porte ou l'entrée de la grotte.
(6) Le lamoty est le Flacourtia Ramontchi. arbuste de la petite famille des Flacourtiacées. Les Européens le connaissent sous le nom de prune malgache, et c'est ce fruit qui a donné son nom à l'île aux Prunes, près de Tamatave, déjà mentionnée par François Cauche. Le lamoty est un petit fruit d'un rougeâtre foncé, assez agréable, abondant dans les régions orientale, et surtout occidentale et méridionale ; on peut, par fermentation, en fabriquer une sorte de vin acidulé.
(7) Nourriture.
(8) L'ogre ou trimo est ici personnalisé ; le nom de Trimobé est donc synonyme de Leiebo.
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY