Nouvelle: L'arbre qui ne se dessèche jamais
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L'arbre qui ne se dessèche jamais
Le village de la Longue-colline abrite ses cases sous l'ombre touffue des manguiers. Çà et là de hauts Kapôks dressent leurs étages de verdure plus claire, et des allées de bananiers chargées de lourds régimes aboutissent, de tous les coins de la brousse, à la frêle barrière d'une palissade en bambous. Ralahy franchit le haut seuil de la porte en écartant les tiges bruissantes depuis longtemps il est signalé, mais la venue d'un étranger seul ne cause aucune crainte, et les gens !e regardent avec une curiosité indifférente. L'!mérinien, après avoir échangé les saluts d'usage, lie conversation avec un homme du pays. On lui indique la case de deux vieux il y recevra l'hospitalité, en échange du moindre présent car les enfants qui vivaient naguère dans cette maison sont morts, et les bœufs des vieillards ont été volés par des brigands. Ralahy se présente devant l'ouverture de l'Ouest, fermée à demi par une claie de roseaux. Une femme aux cheveux gris embroussaillés apparaît sur le seuil elle écarte la claie et la lumière douce du soir pénètre jusqu'aux pierres noires du foyer. Près du poteau qui soutient le faîte du toit, sur un escabeau très bas, un vieillard est assis il a ramené en partie son lamba sur sa tête comme s'il avait froid, et ses yeux regardent tristement dans le passé d'une Race éteinte. Ralahy le contemple avec respect tel Ralambe, au Pays-d'en-Haut, doit s'accroupir le soir, avec mélancolie, auprès de son foyer désert.
Le jeune homme salue les deux vieux dans les termes convenables, et s'informe si trois parts de nourriture pourront cuire dans la marmite à riz.
Pour toute réponse, le vieux se lève péniblement, il prend une natte neuve, roulée et suspendue par deux lianes à l'une des parois de la case il la déroule avec l'aide de sa femme et l'étend dans le coin Sud-Est, réservé aux voyageurs Ralahy s'incline pour remercier il s'accroupit à son tour sur la natte et cause avec son hôte. Celui-ci laisse couler de sa bouche édentée mille paroles confuses le jeune homme feint de s'intéresser aux histoires qu'on lui conte, et répond avec complaisance aux questions posées. Mais il ne révèle point, par défiance instinctive, le but de son voyage, et déclare qu'il va visiter des parents établis dans la Grande-Terre, en face de Nosibè.
Le vieillard narre les menus faits de la vie du Village ce jour même, après le repas du soir, devait avoir lieu une cérémonie d'évocation des Ancêtres un homme, possédé par un puissant Esprit, révélera l'avenir, et annoncera les offrandes réclamées par les Procréateurs. Ralahy a entendu parler de ces rites en Imerne son hôte lui propose d'y assister. Tous deux, respectueux de la Coutume, se barrent le front d'une raie de terre blanche depuis la racine des cheveux jusqu'à la naissance du nez.
Déjà retentissent les sons de l'ampongue et de la valiha tous les hommes libres se sont réunis dans la case du Chef, trop étroite pour les contenir.
A l'intérieur, les premiers arrivés, accroupis, se serrent les uns contre les autres, comme des bœufs dans le parc d'un homme riche. Ils battent des mains, en invoquant les Esprits des Ancêtres et des Rois hors de la case, près de la porte et de la fenêtre, le reste de la foule s'est groupé. Ralahy et son guide s'approchent avec peine d'une des ouvertures, et le jeune Imérinien regarde à l'intérieur au pied du grand pilier, dans une haute lampe de fer, un morceau de graisse de bœuf brûle avec une flamme rouge et inonde de reflets sanglants les visages de bronze. Dans un petit espace laissé libre, l'homme possédé par l'Esprit danse lentement.
Ses pieds frappent la terre en cadence, au rythme d'un chant monotone, ses bras s'élèvent et s'abaissent, ses doigts ondulent comme des anguilles qui s'abandonnent au courant. Sur son cou sa tête se balance, avec un mouvement de plus en plus rapide. Par instants il siffle des mots entrecoupés s'échappent de ses lèvres. Il est hors de lui-même, l'Esprit le possède, et son âme ne sent plus ce qui se passe dans son corps. Son bras droit s'abaisse vers la lampe, la flamme le lèche, la chair brûlée grésille, mais l'homme insensible continue sa danse. Les assistants, muets de peur. Interrompent les battements de mains. Alors le bras meurtri s'abaisse la tête du possédé continue de tourner, comme une calebasse vide secouée par un enfant. Puis elle s'arrête soudain l'homme, immobile, le cou tendu, les yeux grands ouverts, regarde dans le coin des Ancêtres les Êtres Invisibles. Le temps est venu d'interroger l'Esprit.
Dans la lampe pleine de graisse, le Chef fait brûler !a résine parfumée de l'arbre Râmy et prononce les paroles rituelles
Ho ! Ho ! Rois de la terre Sakalave, et vous, Rois de tous Ceux-qui-vivent-sous-le-ciel, Rois du Pays-d'en-bas et du Pays-d'en-haut, je vous invoque, Ancêtres des Rois qui viennent de Fihirêgne
et de Toliamève, du Ménabé et du Boéni, de l'Imerne et des Iles lointaines de la grande Eau-sainte t
Aussitôt l'Invisible descendu dans la case commence à parler par la bouche de l'homme il s'exprime avec peine et sa langue est comme liée.
- Qui appelez-vous ? Que désirez-vous ? Du Nord, du Sud, de l'Est, de l'Ouest les Invisibles se hâtent !
- Ho ! Ho ! j'ai brûlé la résine parfumée de l'arbre Râmy. Mes mains sont pures elles n'ont touché ni la graisse de porc ni celle du poisson-sans-écailles ! je n'ai pas violé sciemment aucune des Interdictions ! 0 Invisible présent en cette case. si tu es noble de père, si tu es noble de mère, réponds à notre appel et dis-nous ton nom !
- Inconnu, voilà mon nom Invisible, voilà mon être !
- Ho ! Ho ! le Râmy mêle sa fumée odorante à celle de la graisse de bœuf ! Ce n'est point par des sortilèges que nous t'invoquons, mais par de droites paroles, nous les descendants des rois d'autrefois Si tu es noble de père, noble de mère, réponds à notre appel et dis-nous ton nom !
La bouche de l'homme se crispa, et, le visage tendu vers le coin des Ancêtres, il parla ainsi entre ses dents serrées
- Je suis le Seigneur-qui-a-mille-esclaves-pour-te-servir !
A ce nom vénéré par les Anciens, toutes les têtes se courbèrent, et l'imérinien frémit, car il avait reconnu l'appellation de celui qui apporta Randriambéhâze aux hommes du Grand-fossé-rond. Désormais il était sûr de remplir sa mission.
Le Chef continua d'interroger l'Invisible.
- 0 roi, noble de père, noble de mère, ton nom illustre connu de tous les Anciens, est répété dans nos rites à côté de eeux de Lâhifotse, l'Homme-blanc, fondateur de la Race, et de la Reine Kalomahère, puissante par ses sortilèges ! Puisque tu te manifestes à nous, ce n'est pas sans raison, dis-nous pourquoi tu viens. Nous te supplions et nous léchons la plante de tes pieds, comme des esclaves prosternés devant le Roi Dis-nous ce que nous devons faire pour te contenter !
Or, l'Invisible, par la bouche de l'homme possédé, raconta sa geste pour les enfants ignorants de la Race, et pour l'étranger qui écoutait, penché dans l'ouverture de la porte.
- Au matin des temps, après Lâhifotse, l'Homme-blanc, et la Reine Kalomahère, c'est moi, le Seigneur-aux-mille-esclaves, qui régnais sur les Hommes-de-la-roche-blanche. Mes petits-fils allèrent fonder des royaumes dans le Nord-Ouest, au pays des Antankàres. Et les Ancêtres de mes Ancêtres étaient venus du Sud-Est, des bords de la rivière Matitâne, où vécurent les premiers Annonciateurs-des-jours-de-la-Race. Une fois je voulus remonter, moi leur fils, la route des Ancêtres, et je partis avec mille hommes armés de sagaies, avec cent hommes armés de fusils à crosse de cuivre, dans la direction obscure des lointaines Origines ! Mais les Invisibles jaloux ne voulurent pas qu'un homme vivant tentât ce voyage je perdis mes guerriers, et je serais resté moi-même sans sépulture dans la Terre-rouge-d'en-haut, si je n'avais racheté ma vie avec l'émanation de Randriambéhâze, le Seigneur-au-nombreux-butin, Procréateur de notre Race! C'est à lui que je dus de revenir dans mon royaume, et, mort, de demeurer avec mes Pères au Lieu-sacré de la Roche-blanche, à côté de l'Arbre-qui-ne-se-dessèche-jamais!
Ralahy s'efforçait de graver en son esprit fervent les paroles du Seigneur-qui-a-mille-esclaves-pour le-servir il s'exaltait à entendre conter si loin du Grand-fossé-rond, et telles presque que les lui avait dites son père, les annales de sa Race.
Il aurait voulu parler, dire qui il était, et pourquoi il venait au Pays-d'en-bas. Mais le respect des rites lui fermait la bouche, et aussi la prudence méfiante dont ne se départissent jamais les Imériniens, rusés entre tous les hommes. L'Invisible continua :
- Ce qui est interdit aux vivants est permis aux Esprits des Rois. Parfois ils quittent les Maisons-froides bâties par les fils de la Race dans toutes les régions qu'ils ont peuplées, et vont visiter la Terre des premiers Ancêtres. Un tel voyage s'accomplit en ce moment, à la faveur de la lune croissante d'Atakôsch. Dans la nuit de demain, à l'heure où l'astre montera dans le ciel, tous les Rois anciens, venant du Nord, passeront ici, et s'arrêteront au Lieu sacré, près de l'Arbre-qui-ne-se-dessèche-jamais. Demain vous porterez, avant leur passage à la Colline de la Roche-blanche, les offrandes accoutumées qui rendent favorables les Ancêtres ! En échange ils vous permettront de cueillir les rameaux de l'Arbre et d'en faire des talismans efficaces. »
A ce moment les regards de l'homme possédé se détournèrent du coin des Ancêtres et vinrent se poser sur Ralahy tremblant.
²- …Tous pourront en cueillir, s'ils ont les mains pures, et s'ils observent les Interdictions !
Même l'étranger îmérinien rapportera aux Hommes du Pays-d'en-haut la puissance renouvelée de
Randriambéhâze. Car tous les Malgaches ont besoin de talismans. Les Esprits des Rois sont irrités, parce que les hommes Blancs, venus d'au-delà l'Eau-sainte, violent les Interdictions, souillent de leur présence les lieux défendus, confondent les races et les castes, et remplacent les traditions des Ancêtres par des rites nouveaux t ! »
Un sourd murmure courut parmi les assistants. Ralahy, lui aussi, eut une pensée d'amertume et de haine pour les hommes de race étrangère: ils lui avaient pris Ranore, ils avaient construit au Village-des-bœufs la Grande-case-des-prières !
Sans eux, le père de Ranah, demeura fidèle à la Coutume ancestrale, lui eût donné comme épouse
la Fille-au-beau-corps.
L'homme possédé avait laissé tomber sa tête sur sa poitrine, ses membres raidis s'étaient détendus, et en lui l'Esprit du Seigneur-qui-a-mille-esclaves-pour-le-servir avait cessé de parler.
Les assistants silencieux se dispersèrent. Ralahy et son hôte tracèrent à nouveau, sur leur front, avec de la terre blanche, la raie qui protège contre les Esprits malfaisants, mais leur sommeil, quand même, s'épouvanta d'inexprimables apparitions. Les hommes, cette nuit-là, s'écartèrent des femmes, et les enfantelets non circoncis, dont les pères et mères n'étaient plus vivants, durent aller dormir hors du village dans une case éloignée.
Ralahy cependant posait au vieux Sakalave des questions sans nombre sur le Village-de-la-roche- blanche, surtout sur Randriambéhâze et l'Arbre-qui-ne-se-dessèche-jamais.
- Quand le Seigneur-qui-a-mille-esclaves-pour-le-servir revint du Pays-d'en-haut, il était hâve et nu, ses pieds avaient saigné longtemps sur la terre rocailleuse des Mandiavates, et il avait laissé en des mains étrangères, comme rançon de sa vie,
le talisman efficace, pris à l'Arbre-qui-ne-se-dessèche-jamais.
- N'a-t-il rien dit sur ceux qui l'accueillirent au Pays-d'en-haut ? Dans quel village s'est-il arrêté, et habité par les hommes de quelle race ?
- Je ne sais pas. Les Anciens n'en ont rien dit. Il avait laissé, avec Randriambéhâze. une partie de sa force dans la terre des Imériniens. Lorsqu'il revint, les chiens se précipitèrent sur lui en aboyant, et les gens voulurent le chasser comme un vagabond. C'est pourquoi il n'entra pas dans le village, mais il ordonna aux habitants d'abandonner leurs cases et d'en construire de nouvelles, loin de la Roche-blanche, à l’extrémité de la Longue-colline.
- Personne n'est resté dans l'ancien village ?
- Les bois ont pourri et les arbres ont poussé sur l'emplacement des cases. Seuls les Etres-épouvantables-qui-rôdent hantent encore la Roche- blanche. près de l'Arbre-qui-ne-se-dessèche-jamais.
- C'est loin d'ici !
- Non. On y peut aller en moins de temps que le riz ne met à cuire. Du reste tu verras demain.
Sur les enfants de la Race, réunis au Lieu saint, l'Arbre-qui-ne-se-dessèche-jamais étend la protection de ses branches éternellement vertes. Ralahy, admis aux rites, contemple le tronc vénérable, siège de la puissance de Randriambéhâze. L'ombre sacrée s'appesantit sur ses yeux et la terreur qui émane des Invisibles glace son corps. Il admire le sako énorme, aux innombrables feuilles, plus drues que celles du figuier Imérinien. Des lambas, attachés comme offrandes aux branches basses, claquent au vent, les racines noueuses disparaissent presque sous un amas de perles de couleur et de pièces d'argent tout autour de l'arbre, des pieux fourchus, fichés en terre, portent les nombreux crânes des bœufs immolés. Le sol est jonché de débris de vases quelques coupes de terre, intactes, contiennent encore le miel ou le rhum des offrandes.
Dix jeunes hommes robustes tirent avec une corde de raphia tressé un bœuf lié par les cornes.
C'est un taureau de trois ans sa bosse, lourde de graisse, tremble à chacun de ses mouvements il est de la couleur préférée des Invisibles, tout noir avec des taches blanches au front. Les hommes de la Race apportent aussi les offrandes rituelles, le Râmy odorant à brûler dans les cassolettes de fer, la terre blanche pour faire les sept marques sur l'Arbre sacré, le miel d'une ruche dont les abeilles sont encore vivantes, les pièces d'argent non coupées, et les perles aux vives couleurs qui réjouissent les yeux des Invisibles.
Les femmes annonciatrices des prières s'accroupissent en cercle autour du Lieu saint; leurs cheveux, divisés en trois tresses, sont arrangés en boules sur le devant et les côtés de la tête; leurs bras et leurs seins sont parfumés d'huile de Santal, comme le soir, lorsqu'elles se parent pour les jeux d'amour; des lambas à grandes fleurs rouges serrent leurs corps comme en une gaine, et leurs narines droites s'ornent de rosaces d'or, à la mode Sakalave. Elles battent des mains en cadence, chantent les chants rituels, et, dans l'intervalle, les hommes soufflent à pleine bouche dans de grosses conques marines, ou frappent à grands coups les peaux de bœuf tendues sur les troncs d'arbre creusés.
Les vieillards, avec les hommes possédés par les Esprits, se sont assis l'intérieur du cercle des femmes, et tournés vers l'Est, élèvent les paumes de leurs mains ouvertes vers l'arbre de Randriambéhâze, en commençant les invocations :
- Nous vous appelons, Esprits des Rois anciens, qui avez régné au matin des temps sur la
terre sakalave ! Nous appelons ceux du Nord et ceux du sud, de Mahàbe, d'Analalâve, de Kiaoamamangue ! 0 Lâhifotse, l'homme blanc doué de sagesse, ô Andriankatsakatsanâle, qui rôdes ça et là dans la forêt, ô Randriambéhâze, le Seigneur-au-nombreux-butin, Maître de cette Terre, et tous
les Rois du Boéni, du Ménabé et du Pays-lointain d'où sont venus ces Ancêtres, nous vous appelons !
Nous rampons devant vous sur nos pieds et sur nos mains, et nous léchons la plante de vos pieds ?
- Nous voici tous, vos descendants, vos serviteurs et vos esclaves ! En échange du bœuf noir à la tête tachée de blanc, en échange du miel, du rhum, des perles aux vives couleurs, et de la fumée du Râmy, donnez-nous des enfants dans nos cases, des bœufs dans nos parcs ! 0 Ancêtres des Seigneurs de notre Terre, vous qui êtes nobles de père, nobles de mère, s'il est vrai que vous devez vous reposer en ce lieu saint, lorsque se lèvera la lune de la nuit prochaine, venez avec un esprit favorable, ne déracinez pas les forêts avec le souffle de votre tempête, ne renversez pas nos cases, ne jetez pas de mauvais sorts sur nos femmes et sur nos bœufs ! Nous rampons devant vous sur nos mains, et nous léchons la plante de vos pieds ! »
Alors les rites s'accomplirent le bœuf noir à tête blanche fut couché par terre, les cornes tournées vers l'Est; le Maître-du-sacrifice trancha sa gorge avec le sang recueilli dans une coupe de terre, on arrosa le tronc de l'Arbre-qui-ne-se-dessèche-jamais et tous les pieux à offrandes ; la victime fut dépouillée et sa chair partagée entre les hommes de la Longue-colline, selon les rangs.
La bosse tout entière fut placée entre les branches de l'arbre, et la tête avec les cornes suspendue à un pieu fourchu fraîchement fiché en terre. Puis tous apportèrent aux pieds du Sakou les petites offrandes, miel, fruits, rhum, et les Perles aux vives couleurs; certains suspendirent aux branches des étoffes blanches ou rouges les femmes accroupies battaient des mains en chantant et faisaient brûler autour de l'arbre la résine parfumée du Râmy.
Encore une fois l'homme possédé par l'âme du Seigneur-aux-mille-esclaves roule sa tête sur ses épaules, jusqu'à ce qu'en lui parle l'Esprit :
- Ho ! Hot ! Ho ! Des nuages de malheurs voileront la face de la Lune qui se lève, et un vent d'infortune soufflera sur le pays ! Les Ancêtres sont irrités, et tous les Rois qui passeront détourneront les yeux de leur postérité ! Car les Etrangers blancs ont profané les tombeaux des Andrianes en Imerne, et c'est pourquoi il n'a pas plu en cette saison dans le Pays-d'en-haut ! »
Ralâhy tressaille d'angoisse à ces paroles mais l'Esprit continue :
- Des saletés sans nombre dégringolent dans le fleuve Ikioupe ! Les Vazahas souillent les eaux vivantes avec la graisse de porc; les Esprits habitants du fleuve sont irrités, et le courant apporte les immondices jusqu'à Modzanga, au pied des Maisons-froides où sont enterrés les Rois ! Leurs narines en sont offusquées ! Les tombeaux des Andrianes, nulle part, ne sont entretenus et les Ancêtres, grelottants, ont peur d'être mouillés ! Puissent les fautes des Malgaches retomber sur les Malgaches, et les fautes des Vazahas sur les Vazahas ! »
Tous, pour détourner les mauvais Sorts, se prosternèrent devant les Ancêtres, de leurs langues ils léchaient la terre sainte, en signe de soumission, et leurs bouches répétaient les paroles propitiatoires.
Puis ils s'approchèrent de l'Arbre, et, pour renouveler la force des Talismans inclus dans les doubles corbeilles au coin Nord-Est de chaque case, ils cueillirent des rameaux verts et les trempèrent dans le sang du bœuf noir à la tête tachée de blanc.
Ralahy fit comme les autres les mains tremblantes, il cassa le bois sacré qui devait rajeunir la vertu du Seigneur-au-nombreux-butin. D'un cœur fervent, il adressa une prière à tous les Seigneurs-parfumes des Pays-d'en-haut et d'eu-bas, pour chasser les Vazahas de la Terre des Ancêtres, et pour permettre son mariage avec la Fille-au-beau-corps, mère des futurs enfants de la Race.
La coutume des ancêtres
Charles RENEL (1866 – 1925)
Editeur P. Ollendorff (Paris) 1910-1925