Conte: L’enfant rusé - Raymond DECARY
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L’enfant rusé (1)
Conte Vezo, recueilli à Manombo)
Il y avait, dit-on, un enfant qui savait répondre aux questions qu'on lui adressait.
Un jour, l'enfant restait seul dans la maison de son père, toutes les personnes de la famille étaient absentes.
Son père avait une dette à payer au roi.
Ce jour-là, le roi venait chercher cette somme chez le père de l'enfant. Mais l'enfant seul se trouvait dans la maison.
Le roi lui dit : « Où est ton père ? »
Il répondit : « Entendez-vous là-bas à l'est le battement du tambour ? (2) C'est lui ; s'il n'est pas tué par une personne, il en tue une autre ».
Le roi lui dit encore : « Où est ta mère ? »
L'enfant répondit : « Ma mère est allée chercher de l'eau pour boire et faire cuire les aliments ; mon frère ainé coupe les bois pour construire notre maison ».
Le roi en colère lui dit : « Je t'emmène au bureau (3) en attendant l'arrivée de ton père.
« J'accepte », dit le petit enfant.
Ils partirent tous les deux au bureau.
En arrivant, le roi dit au chef de poste (4) : « Je vous présente cet enfant car j'ai prêté une somme à son père. J'étais chez lui, je n'ai vu que cet enfant. Je lui demande : Où sont tes parents ? Il m'a répondu follement. C'est pour cela que je le porte ici ».
L'enfant dit : « Pardon, Monsieur ; j'ai dit que mon père tue ou sera tué parce qu'il est ivre ; que ma mère fait cuire du riz. Même vous, qui êtes européen, faites cuire aussi du riz quand vous avez faim. Que mon frère cherche du bois pour bâtir notre maison, car la maison doit être propre et saine, et solide pour bien protéger contre les attaques de la nature ».
En entendant tout cela, le chef dit : « Vous avez tous raison ; vous, le roi, vous attendrez l'arrivée de son père ».
Ensuite le vazaha (5) dit à l'enfant : « Tu vas trouver quatre personnes pour me porter (é), car j'irai chez toi ».
Le petit est parti. Il trouve deux hommes en route ; il retourne et les présente au vazaha.
Ce dernier dit : « Où sont les autres ? »
Il répondit : « Voilà deux que j'ai amenés ; le troisième c'est moi, et le quatrième c'est le roi » car celui-là était encore là. « Voilà bien quatre homme ».
Ils sont partis porter l'Européen. En revenant, l'Européen dit pour s'amuser : « Vous pouvez partir, mais ce petit doit revenir demain de très bonne heure pour traire mon taureau.
- « Oui, Monsieur, dit le petit ».
Le lendemain, il n'était venu que l'après-midi. Le vazaha en colère lui dit : « Tu es fou ; c'est maintenant que tu arrives, et je t'ai dit de venir de bonne heure ».
Le petit avait apporté des chiffons oints de sang de poule et dit : « Excusez-moi, Monsieur, je ne suis pas venu de bonne heure, car mon père a mis au monde un petit enfant, dont nous sommes très embarrassés. La preuve, ce sont les chiffons que je porte.
- Tu es complètement fou : un homme ne met jamais d'enfant au monde !
- Oui Monsieur, vous avez raison ; mais vous avez tort aussi, car je suis sûr que votre taureau ne donnera pas du lait si (7) mon père ne donnera pas d'enfant au monde ».
Ne trouvant plus à répondre, l'Européen chassa l'enfant et lui dit que son père était libéré de sa dette.
Notes :
(1) Le texte montre que ce conte est de date récente. (2) Il semble plutôt qu'il s'agissait de l'antsiva. La conque marine ou antsiva, se rencontre dans l'île entière ; elle a toujours le trou d'insufflation latéral, à la manière malayo-polynésienne ; autrement dit, elle est traversière. Dans le Sud, on distingue des conques mâles ou antsiva lahy, et femelles ou antsiva vavy, de taille et de sonorité différentes. Elles servent parfois, au moyen de combinaisons de coups brefs et longs, à l'élaboration d'un langage conventionnel et secret. Elle a parfois aussi un rôle de tocsin ou d'appel au secours, par exemple en cas d'inondations. Autrefois, dans les guerres tribales, l'antsiva excitait les combattants. Mais le tambour ne semble pas, à ma connaissance du moins, avoir été utilisé dans ce but, si ce n'est peut-être chez les Merina.
(3) On sent, dans l'emploi de ce mot imprévu, une influence administrative récente.
(4) Même observation que ci-dessus.
(5) Vazaha est le nom générique des étrangers de race blanche. Le mot vazahazaha est un duplicatif réductif ; c'est une diminution du vazaha, qui signifie : un peu à la manière des Blancs. On distingue d'autre part vazaha bé et vazaha kely, grand Blanc et petit Blanc, suivant l'importance sociale de l'intéressé.
(6) En filanjana. Le transport, dans cette sorte de chaise à porteurs malgache, aujourd'hui à peu près disparue, mais autrefois d'usage courant, exigeait quatre personnes, ou mieux deux équipes de quatre, qui se relayaient toutes les trois ou quatre minutes, sans rompre charge.
(7) Du même que.
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY