Conte: L'origine d’un proverbe Bara - Raymond DECARY
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L'origine d’un proverbe Bara (1)
Proverbe bara :
Aza mitelim-belona fa mihota soa velona ny zavatra hanina ka mamono ; n'avalez jamais des aliments vivants, mais mâchez les bien de peur que ces aliments seront vivants dans votre estomac et pourront vous tuer.
Comme tous les proverbes malgaches, ce proverbe a son commencement et son histoire.
Voici, d'après un vieux Bara, l'histoire de ce proverbe.
Autrefois, dit-on, il y avait un serpent énorme qui habitait ce pays, on l'appelait Bibibé (2). Ce serpent se nourrit de gros animaux, et comme il était d'une énormité sans pareille, il mangeait plusieurs animaux en une seule fois. Il les avalait comme un caméléon avale une mouche (3), c'est à dire qu'il prenait ces animaux avec sa langue et les avalait sans les mâcher.
Chaque nuit ce monstre se promène autour des villages des hommes pour chercher sa nourriture.
Une nuit il se trouvait en face d'un gros village où habitait un roi qui s'appelait Ndembahoaka. Il voulait manger les habitants de ce village en une seule fois (hommes, animaux domestiques et oiseaux domestiques). Pour cela, il voulait savoir s'il le pourra ou non.
Voici ce qu'il faisait.
Il se mit à rouler autour du village pour savoir si sa longueur peut atteindre son tour ou non. Mais comme sa longueur n'a pas pu atteindre le tour du village, il se retira pour attendre le moment où il pourrait l'atteindre.
En ce moment, les habitants de ce village dormaient d'un sommeil paisible, excepté une vieille femme appelée Ampelambabotra, qui voyait bien le monstre pendant cette nuit. Elle savait aussi ce que cet énorme serpent cherchait dans ce village. Mais elle gardait bien de le dire aux habitants, elle avait peur qu'on l'appelait mpandainga (menteuse), car l'animal ne venait pas toutes les nuits pour mesurer le tour du village avec sa longueur. Pour éviter à cet horrible danger, elle se mit à creuser un trou profond dans sa maison, dans lequel elle passa les nuits.
Quelques mois après, le serpent revenait autour du village pour mesurer le tour avec sa longueur.
Personne encore ne l'aperçut, que Ampelambatotra.
Il se retirait encore une fois, car pour faire le tour du village il reste encore un espace de quelques doigts.
La vieille femme, inquiète à la destinée fâcheuse des habitants, alla trouver Ndrembahoaka pour demander de permettre à son fils, qui était encore enfant, de passer la nuit chez elle.
Elle n'a encore rien expliqué du motif de sa demande.
Comme la vieille Ampelambatotra était une vraie et honorable femme, le roi accepta sa demande.
C'était pendant la nuit que le monstre revenait au village, et comme sa longueur mesurait juste le tour du village, il se mit à avaler les êtres vivants qui l'habitaient à l'exception de la vieille femme et du fils du roi qui se cachaient dans le trou que Ampelambatotra avait creusé dans sa maison.
Après avoir avalé tous les habitants de ce village, l'énorme serpent se retira dans la grande forêt pour y dormir et digérer les aliments qu'il vient de manger.
A cause de l'énormité du serpent, tous ceux qu'il avait avalés ne moururent pas tout de suite, car il les avait avalés vivants sans les mâcher.
Arrivé dans la forêt, l'animal se roula dans un endroit nu et spacieux pour se chauffer au soleil et digérer la nourriture qu'il venait de manger ; on dirait qu'il faisait la sieste après un grand festin.
Un des hommes avalés, sentant qu'un couteau tranchant a touché un de ses membres, le prit et déchira le ventre du monstre (ce couteau avait été avalé par le serpent avec les habitants du village).
Après cela, tous les êtres vivants qui se trouvaient dans le ventre du monstre sortirent tous dehors. En sortant du ventre du monstre, Ndrembahoaka s'aperçut que la vieille femme et son fils ne se trouvèrent pas avec les autres. Il se mit alors à les fouiller dans le ventre du monstre qui était déjà mort à la suite de la blessure faite par l'homme, mais il ne trouva pas.
Il retourna à son village avec son peuple et tous les animaux que possédaient les habitants.
La vieille femme et le fils du roi sont venus à leur rencontre pour les saluer d'être sauvés de la mort et leur raconta (sic) comment ils purent échapper au massacre du monstre.
Très content de la vieille femme qui a sauvé son fils, le roi adressa un kabary (4) à son peuple en disant aux habitants que cette vieille femme et ses descendants seront désormais des olompady (5).
Quand ses descendants voleront des bœufs, il est défendu de les tuer (6). Les descendants d'Ampelambatotra sont actuellement disparus, ou pour mieux dire, à son arrivée le gouverneur français a supprimé ce fâdy pour faire régner l'égalité.
Ndrembahoaka recommanda aussi à son peuple de bien mâcher les aliments afin de ne pas les avaler vivants comme le monstre et sera tué par eux. Aza mitelibelona fa mihota soa velona ny zavatra hanina ka mamono.
Ce proverbe est encore envoyé (8) chez les Bara d'aujourd'hui quand ils voient des enfants qui mangent gloutonnement comme le porc.
Notes :
(1) Les proverbes et aphorismes sont extrêmement nombreux ; on pourrait sans peine trouver à Madagascar des correspondants pour tous les nôtres, et bien d'autres en plus. Ils émaillent la conversation et l'on en rencontre pour les circonstances les plus diverses de la vie.
(2) Ce Bibibé paraît sans rapports avec celui du conte précédent. Il se rapproche plutôt du serpent, qui grossit démesurément, finit par devenir un tompondrano et va alors habiter la mer.
(3) Les caméléons, essentiellement arboricoles, sont des mangeurs d'insectes. La Grande Ile en possède à elle seule une trentaine d'espèces. Parmi les Reptiles, les caméléons forment le sous-ordre des Rhiptoglossa, nom qui fait allusion à la faculté que possèdent ces animaux de projeter leur langue en avant à une distance égalant ou même dépassant la longueur de tout leur corps ; ceci pour capturer les insectes. La langue développée forme un tube allongé, pourvu à sa partie antérieure d'une sorte de massue, dont l'extrémité libre, légèrement creusée en entonnoir, est pourvue d'une sécrétion agglutinante. Au repos, la langue forme une masse maintenue toute entière dans la cavité buccale. Les yeux du caméléon fonctionnent indépendamment l'un de l'autre, de sorte que l'animal peut regarder des deux côtés en même temps, ou encore en haut et en bas à la fois. Pour les changements de couleur, enfin, le milieu, tout en agissant, a moins d'importance que celle qu'on lui attribue souvent
(4) Discours, proclamation.
(5) Personnages fâdy, c'est-à-dire sacrés, ayant droit à certains privilèges.
(6) Les vols de bœufs, extrêmement nombreux, étaient autrefois une véritable plaie dans toute la partie méridionale de Madagascar et surtout dans la population Antandroy. Ils représentaient beaucoup moins un acte répréhensible qu'une preuve de courage, de force et d'adresse. L'acte délictueux étaient si bien admis que, chez les Antandroy par exemple, un jeune homme ne trouvait pas à se marier s'il n'avait pas au moins un vol à son actif. Aussi, en réalité, il n'était jamais puni de mort. Quand le coupable était découvert, ce qui était loin d'arriver toujours, il devait d'abord rendre le double des animaux volés, puis en ajouter quelques autres à titre de dommages-intérêts, enfin distribuer quelques bêtes à ceux qui avaient coopéré à la recherche et à la découverte du voleur.
(7) Qui a été.
(8) Employé.
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY