Conte: L’origine du mot « légende » Ny nahatonga ny korambe

Publié le par Alain GYRE

L’origine du mot « légende »

Ny nahatonga ny korambe

 

Voici l’origine de la « légende », selon ce qu’ont raconté les gens d’autrefois. Autrefois, les gens n’avaient pas beaucoup de moyens pour traverser les cours d’eau, ou pour arriver à se déplacer, et ils se servaient simplement de troncs d’arbre pour passe. Alors, un jour…, Grand-Seigneur décida à évider un arbre pour traverser l’eau.il évida un arbre et en fit une pirogue. Celle-ci finie, il dégrossit un autre bois qui pouvait servir à pousser l’eau. Chaque jour, jour après jour, ils se servaient de cette pirogue pour aller aux champs. Oui, chaque jour ils se servaient de cette pirogue pour aller aux champs.

Et un autre Grand-Seigneur vit cela, qui demeurait en aval, et qui lui emprunta sa pirogue.

- Oui, ma pirogue je la prête, et il n’y a chose à observer : il ne faut pas perdre ma pirogue, et il ne faut pas casser ma pagaie. Ce sont les seules règles à observer.

- D’accord, disent les emprunteurs.

Et ils emmènent la pirogue.et le soir, ils reviennent. Et quand ils reviennent, la pagaie n’est pas cassée. Une autre fois, ils empruntent encore la pirogue. Et au moment de l’emprunter, on leur dit encore :

- attention les gars ! Ne cassez pas ma pagaie.

            Mais voilà, ils ont pagayé, pagayé, pagayé, et finalement ils ont cassé la pagaie. Voilà la pagaie cassée. Et il y avait bien des gens qui avaient voulu emprunter la pirogue, et à qui on ne l’avait pas prêtée. Et celui qui avait emprunté la pirogue, il avait cassé la pagaie. Et il en était bien ennuyé. Il se disait qu’on allait la lui faire payer, sans doute.

            Il revient. Et il dit :

- Eh bien ! Grand-Seigneur, tu me feras ce que tu voudras : je l’ai cassée ! Sans doute tu me la feras payer, ou bien je ne sais pas ce que tu me feras, mais ta pagaie est cassée.

- Je ne vais pas te faire payer pour cela, mais ne le dis à personne, et c’est tout, répondit Grand-Seigneur.

- Merci.

            Mais une fois rentré chez lui, dans son village, il en a parlé :

- Moi, j’ai pris la pirogue de Grand-Seigneur, dit-il, je l’ai prise deux fois, trois fois, et un jour, comme je pagayais bien fort, la pagaie s’est cassée.

            Et celui à qui il a raconté cela n’a pas su non plus tenir sa langue. Il est allé chez Grand-Seigneur, et il lui a demandé :

- Alors, celui qui habitude d’emprunter la pirogue, il a cassé ta pagaie, et tu ne la lui as pas fait payer ?

- Faites-le venir un peu ici, dit Grand-Seigneur.

            On l’a fait venir.

- Mon ami, ce que je t’avais défendu de raconter, tu l’as raconté ? tu l’as raconté à quelqu’un ? A compter d’aujourd’hui, dit-il, mon ami, quand vous vous réunissez, vous n’avez rien d’autre à vous raconter, vous ne vous racontez que des histoires sur ma pagaie. Ils ne parlent que de cela !

            Ils ne parlent que de cela, de lapagaie de Grand-Seigneur qui est brisée. C’est le seul sujet de leurs bavardages.

- Voilà, dit un gars du sud, nous avons quelque chose à raconter maintenant !

            Ils arrivent là. Et qu’est-ce qui les réunit tous là ?

- Eh bien, c’est la pagaie de Grand-Seigneur, elle a été cassée, parce que quelqu’un s’en est servi, elle a été cassée. Et c’est avec cette pagaie qu’il traverse jusqu’à l’autre rive ou pour aller n’importe où, car il y a de l’eau tout autour de nous, et si la pagaie est cassée, il n’est pas trop content de celui qui la lui a cassée… Tu sais, c’est le gars qui l’avait empruntée qui lui a cassée…

- Ah oui, disent les autres, qui écoutent.

            Et ils sont repartis. Et c’est cela qui est à l’origine de l’expression « histoire-de-pagaie » (koram-be). « Histoire-de-pagaie ! Histoire-de-pagaie ! » disent-ils. Ils n’ont rien d’autre à se raconter. Ce n’est rien d’autre que l’histoire de la pagaie de Grand-Seigneur, et c’est cela qui s’est répandu partout et qui est devenu la « légende » (korambe).

- Oh ! La pagaie de Grand-Seigneur est cassée, les amis.

            Et c’est cette « histoire-de-pagaie » de Grand-Seigneur que nous continuons jusqu’à ce jour. Ce n’est pas moi qui mens, mais les gens d’autrefois, qui ont conté la « légende ».

 

 

Fulgence FANONY

L’Oiseau Grand-Tison

Et autres contes Betsimisaraka du Nord

Littérature orale Malgache

tome 1

L’Harmattan 

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