Conte: La Fille de Grand-Seigneur et le Citron
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La Fille de Grand-Seigneur et le Citron
Il était une fois… Ecoutez donc, vous les femmes, car je vais dire une énigme.
Donc, il était une fois un Grand-Seigneur, car autrefois dans notre région il y avait bien des Grands-Seigneurs… Et cette histoire est une histoire d’autrefois.
Donc, ce Grand-Seigneur était là, et il avait une fille, une Benjamine. Et ces Benjamines, filles de Grand-Seigneur, il est bien rare qu’elles ne soient pas belles. Oui, elles sont toujours très belles Or donc, ce Grand-Seigneur avait un e fille, une Petite-Benjamine. Et cette Petite-Benjamine, il l’éleva, et elle grandit. Et au bout de quelque temps, comme elle avait grandi, eh bien, elle n’était plus une enfant. Et l’aimèrent ceux qui l’aimèrent. Et vinrent les prétendants. C’est une chose qui ne peut manquer d’être en ce monde, une loi de la nature, que les filles voient venir à elles des prétendants.
Bientôt, donc, vinrent les prétendants, pour demander Petite-Benjamine. Mais, faites excuse ! Il y a chose que j’avais oubliée de dire : il y avait un citronnier danse village de Grand-Seigneur, un citronnier qui portait deux citrons jumeaux. Et passaient les années, passaient les saisons, mais jamais les citrons de ce citronnier ne tomaient.
- Si quelqu’un te demande, Petite-Benjamine, lui avait dit son père, Grand-Seigneur, si quelqu’un te demande, et qu’il est capable de faire tomber un de ces citrons sur ton giron, alors seulement tu accepteras. Que ce soit un infirme, avait-il dit, que ce soit un richard, tu l’accepteras. Mais s’il n’est pas capable de faire tomber le citron sur ton giron tu ne l‘accepteras pas. Et il n’aura pas le droit de les faire tomber en y lançant des bâtons, ni en les gaulant, il faut que le citron tombe de lui-même, et que je le voie, de mes yeux.
- Oui, dit Petite-Benjamine. C’est bien.
Les prétendants vinrent en foule. Vinrent les jeunes gens lesus illustres, et les hommes mûrs aussi vinrent faire leur cour, car le proverbe reste toujours vrai : « Le vieillard riche mange des bonnes choses. » Tous enfin, vinrent demander la de Petite-Benjamine. Mais aucun, non aucun, ne trouvait le moyen de faire tomber le citron sur le giron de Petite-Benjamine.
Ensuite, accourut Bel-Astucieux. Et là, c’est le cas de le dire, « dans un petit conte, tout va très vite ». Oui bien, le voilà, tout fringant, un garçon déluré, qui vient demander la jeune fille.
- Me voici, dit-il à Grand-Seigneur, mille excuses, mais je viens demander la main de votre fille. Si l’on est demandeur, c’est qu’on aime, et c’est là l’objet de ma quête, de demander une fille à marier – si toutefois il est bien vrai qu’il y en a une ici !
- Eh bien, dit Grand-Seigneur, je ne suis pas avare de ma fille, je ne la retiens nullement, je ne suis pas difficile sur le choix de l’élu, mais voilà : j’ai là un citronnier, eh bien, celui qui fera tomber le citron de ce citronnier, je lui donne ma fille. Et ma fille est toute prête à le suivre.
Voilà le garçon bien embarrassé ;
- Comment faire tomber ce citron ?
- Et pour le faire tomber, ajoute Grand-Seigneur, il ne faut pas le gauler, il doit tomber de lui-même, juste sur le giron de ma fille, et que je le voie de mes yeux.
Le jeune homme revint, et il observa bien : le citron était très haut, il ne pouvait pas l’attraper ; le gauler, c’était interdit ; le faire tomber en y lançant un petit bâton, c’était interdit aussi. Il fallait qu’il tombe doucement, de lui-même, dans l giron de la jeune fille, telle était la condition. Rien à faire. Il s’en retourna, bien troublé.
Après lui, il s’en présenta un autre, un très beau garçon qui demandait la main de la jeune fille. Pour demander la main de la jeune fille, il se présenta chez Grand-Seigneur. Et lre nom de ce garçon, c’était… c’était mon petit frère, le frère de Tiozara, c’était Rabetsara.
Donc ce Rabetsara vint demander la fille. En arrivant, il dit :
- Fais excuse, Grand-Seigneur ! Je suis venu pour te demander la main de ta fille, e fort amoureux, j’ai grand soif d’elle.t si je suis venu te la demander, c’est que je l’aime. N’as-tu point ici une fille à marier ? J’en suis fort amoureux, j’ai grand soif d’elle.
- Certes, dit Grand-Seigneur, je ne suis point difficile sur le choix de l’élu, que ce soit un infirme, que ce soit un richard, si c’est son destin, je l’accepte. Mais il faut qu’il fasse tomber ce citron. Celui qui parviendra à faire tomber ce citron sur le giron de ma fille, c’est lui qui l’aura.
- Et où est cde citron, demanda Rabetsara ?
- Le voici, dit-il.
Alors on sortit, on déroula une natte neuve, et on fit asseoir dessus Petite-Benjamine, fille de Grand-Seigneur. Petite-Benjamine s’assit en tailleur sur la natte.
Grand-Seigneur s’est assis à sa droite tout à côté d’elle. Rabetsara s’est assis à sa gauche tout près d’elle, puisqu’il désirait qu’elle vienne à lui. C’est pour cela qu’il s’asseyait auprès d’elle, à sa gauche. Donc, il s’est assis là, et il a dit :
- Alors, que doit-on faire ? Et d’abord, où est le fruit ?
- Le voilà.
- Eh bien, dit Rabetsara, s’il en est ainsi, je vais faire en sorte que le citron descende.
Rabetsara a pris un miroir, et il l’a posé sur le giron de Petite-Benjamine.
- Fais excuse, beau-père, dit-il. (Et il l’appelait beau-père car, déjà, il était sûr d’avoir la fille.) Fais excuse, beau-père, et veuille jeter les yeux ici : le citron n’est-il pas descendu dans le giron de ta fille ? qu’en penses-tu ?
Grand-Seigneur jette les yeux sur le miroir, et il voit bel et bien que le citron était sur le giron de sa fille.
- Je te remercie, mon gendre, dit-il. Bien des prétendants sont venus ici, mais aucun n’a réussi. Je ne leur demandais pourtant ni argent, ni beaucoup de présents, mais seulement une parole imagée, une simple énigme, c’est cela seulement que j’exigeais d’eux, mais aucun n’a su comprendre l’énigme comme tu l’as fait. Eh bien, tu l’as obtenue, mon fils, je te la donne. Et toi, Petite-Benjamine, accepte-le, car c’est lui qui est ton destin.
Voilà l’histoire des prétendants de Petite-Benjamine, fille de Grand-Seigneur. Il ne fallait pas gauler le citron, ni le faire tomber en lançant de petits bâtons, il fallait qu’il vienne tout seul, de lui-même, sur le giron de la jeune fille, pour que la jeune fille accepte. Et le seul qui avait compris qu’il fallait prendre un miroir et le poser sur le giron de Petite-Benjamine, c’était Bel-Astucieux-le-Petit, alias Rabetsara, frère cadet de Tiozara.
Grand-Seigneur, était frappé d’admiration, et sa fille accepta volontiers. Voilà l’histoire, Messieurs et Mesdames, vous êtes tous des Seigneurs, même les plus petits.
Et je vous souhaite le bonsoir, car je dois rentrer, moi Tiozara.
Fulgence FANONY
Le tambour de l’ogre
Littérature orale Malgache
tome 2
L’Harmattan