Conte: La fille difficile

Publié le par Alain GYRE

 

La fille difficile

Ramiririolono

 

Il y avait, dit-on, des frères et sœurs ; ils étaient cinq frères et sœurs, la Grande-Première-Née, la Puînée, la Cadette, la Petite-Benjamine, et le Petit-Benjamin. La Grande-Première-Née était une fille très exigeante pour les garçons ; tous veux qui la demandaient, elle ne les aimait pas… ceux qui venaient eux-mêmes la courtiser, elle ne les aimait pas, ceux qui faisaient présenter leur demande par les parents, elle ne les aimait pas. Finalement, survint un homme, du nom de Sire-Genette. Il était vêtu d’un beau pantalon, avec sa queue dedans, un pantalon en drill blanc, un tissu très réputé autrefois.  Vêtu de ce pantalon blanc, il partit ; il monta au village. Arrivé là, il débuta son discours :

- Eh bien, dit-il, le motif de ma venue n’est autre que de demander votre fille. C’est votre fille Grande-Première-Née que j’ai l’honneur de demander en mariage.

            C’était donc Grande-Première-Née qu’il était venu demander, en ce jour.

- Bon, dirent ses parents, c’est sa volonté que nous suivons en cela. Si elle accepte, vous l’emmènerez. Si elle refuse cependant, comment faire, nous ne pouvons pas la forcer, car depuis longtemps des gens la demandent, et jamais elle n’accepte.

            Finalement Grande-Première-Née eut connaissance de la chose. Elle en fut ravie.

- Moi, dit-elle, j’accepte ; si cet homme m’aime, j’accepte de le suivre, il faut que je le suive.

            Après cette déclaration, les parents acceptèrent.

            Sire-Genette l’emmena donc. Le nom de son époux, c’était Sire-Genette, mais personne ne le savait. On l’avait vu dans son magnifique complet, personne ne savait que c’était une genette.

            Arrivé un peu plus loin, il se met à transpirer, parce qu’il faisait chaud. Voilà le gars qui se déshabille. Et, tout de suite sa queue sort ! Petite-Benjamine s’en aperçoit, et elle le dit à son aînée :

            - Oh, l’aînée ! Oh, l’aînée !

            Observe par derrière, observe par devant,

            Comme ton époux est changé !

- Si c’est comme ça, oh, si vous voulez vous en retourner, retournez ! Qu’est-ce qui peut bien l’avoir changé ? Je le vois très bien, un si joli garçon, comment est-ce qu’il se changerait en autre chose ?

            Ils continuent leur voyage, et ils arrivent au village de Sire-Genette, ne sachant trop que penser. Tous, ils accompagnaient la Grande-Première-Née, l’épouse de Sire-Genette : la Puînée, la Cadette, la Petite-Benjamine, et le Petit-Benjamin. Voilà ceux qui l’avaient accompagnée là-bas. Arrivés là-bas, arrivés à la maison, ils se mettent à observer. Grande-Première-Née était considérée comme une grande personne, et pourtant elle ne s’est pas aperçue que son mari était une genette. Arrivée à la maison, elle ne se doutait de rien. Pourtant ses cadets et cadettes se disaient :

- Son mari, ce n’est pas un homme, c’est une genette.                                                  

            Il faut dire que Grande-Première-Née était sotte.

            Toutes les nuits, Sire-Genette s’en allait, partait dans la forêt, chercher à manger, car il n’avait rien à donner à son épouse et à ceux qui étaient venus avec elle. Et pendant combien de mois ces gens, son épouse, la Puînée, la Cadette…, se sont nourris seulement de viande de pintade.

            Sire-Genette sortait et allait chercher des pintades la nuit, pas lui tout seul, ils étaient beaucoup, les genettes. Ils revenaient vers minuit. Et lui, le grand, le mari, il appelait :

            - Dort-elle, dort-elle, la Grande-Première-Née, dort-elle ?

            Dort-elle, dort-elle, la Puînée, dort-elle ?

Dort-elle, dort-elle, la Cadette, dort-elle ?

            Dort-elle, dort-elle, la Petite-Benjamine, dort-elle ?

            Silence. Personne ne répondait.

            - Dort-il, dort-il, le petit Beau-frère, dort-il ?

            - Point ne dors, point ne dors, ô Beau-frère, point ne dors.

            Marié à la genette, aux abords du sépulcre,

            Si par aventure je dors, toujours je reste anxieux, ô Beau-frère, je reste anxieux !

            Voilà comment Petit-Benjamin répondait à l’appel. Et une fois tout près, ils appelaient encore. Et le petit beau-frère de répondre :

            - Point ne dors, point ne dors, ô Beau-frère, point ne dors.

            Marié à la genette, aux abords du sépulcre,

            Si par aventure je dors, toujours je reste anxieux, ô Beau-frère, je reste anxieux :

            Peu après, les voilà qui arrivent de là-bas.

- Qu’est-ce qui t’empêche encore de dormir petit-beau-frère ?

- Beau-frère, les feuilles de tes cannes à sucre font trop de bruit en se frottant.

            Sire-Genette dit à ses compagnons ;

- Celui qui ne coupe pas ces cannes aujourd’hui, n’est pas de mon côté, mais du côté des fourmis.

            Ils coupent toutes les cannes, il n’en reste pas une, plus aucune plante là.

            Ils repartent encore. Et Petite-Benjamine engraissait, de même que Grande-Première-Née, parce qu’elles mangeaient de la sauce de pintade chaque jour. A chaque fois qu’ils y allaient, ils rapportaient des pintades. Il y en avait même  qui étaient boucanées. Toutes les nuits, Sire-Genette sortait, et quand il arrivait près du village, il appelait :

            - Dort-elle, dort-elle, la Grande-Première-Née, dort-elle ?

            Silence ! Personne ne répond.

            Dort-elle, dort-elle, la Puînée, dort-elle ?

            Silence ! Personne ne répond.

            Dort-elle, dort-elle, la Cadette, dort-elle ?

            Silence ! Personne ne répond.

            Dort-elle, dort-elle, la Petite-Benjamine, dort-elle ?

            Silence ! Personne ne répond.

            - Dort-il, dort-il le petit Beau-frère, dort-il ?

            Le petit beau-frère répond :

- Point ne dors, point ne dors, ô Beau-frère, point ne dors.

            Marié à la genette, aux abords du sépulcre,

            Si par aventure je dors, toujours je reste anxieux, ô Beau-frère, je reste anxieux !

            De bonne heure le matin, Sire-Genette revient :

- Oh ! Beau-frère, pourquoi ne dors-tu jamais !

- Oh ! Beau-frère, c’est que tes bananiers, il y en a trop, ils font trop de bruit, la nuit. Je ne peux pas dormir.

            Sire-Genette est revenu appeler ses compagnons :

- Celui qui n’abat pas ces bananiers, il n’est pas de mon côté, mais du côté des fourmis.

            En une seule journée, toute la plantation de bananiers s’est trouvée

par terre.

            Ils repartent de nouveau. Et pendant tout ce temps, les genettes ne rentraient qu’à minuit. A minuit ils s’en retournaient.

            Ils appelaient et le petit beau-frère répondait :

Point ne dors, point ne dors, ô Beau-frère, point ne dors.

Marié à la genette, aux abords du sépulcre,

Si par aventure je dors, toujours j reste anxieux, ô Beau-frère, je reste anxieux !

C’était ce que le petit beau-frère disait, chaque fois. Et le lendemain :

- Qu’est-ce qu’il y a encore, beau-frère, qui t’empêche de dormir ?

            Tandis qu’ils revenaient, les genettes se répartissaient d’avance les mamelles, parce que, voyez-vous, les mamelles c’st ce qu’il y a de plus gras :

- A moi les mamelles de Grande-Première-Née !

- A moi les mamelles de Puînée !

- A moi les mamelles de Petite-Benjamine !

- A moi les mamelles de Cadette !

            Ensuite, les voilà, les beaux-frères, qui arrivent :

- Qu’est-ce qui t’empêche de dormir, beau-frère ?

- Oh ! Beau-frère, les puces qu’il y a chez toi, elles ne me laissent pas un instant pour dormir, beau-frère !

            Si c’est comme ça, celui qui ne tue pas les puces dans la maison n’est pas de mon côté mais de celui des fourmis !

            Les genettes tuent les puces, ils arrosent d’eau bouillante toute la maison, y compris tous les murs. Et ils repartent ensuite. Car jamais ils ne restaient là pendant la journée, ils allaient toujours dans la forêt en quête de gibier. Et chaque fois qu’ils y allaient, la nuit, au petit matin, ils rapportaient des pintades, encore des pintades, ce qui rendait les belles-sœurs plus grasses de jour en jour. Comme ça ils allaient pouvoir les dévorer. Mais, à la fin, Petit-Benjamin a déclaré :

- Tu sais, grande sœur, ton mari n’est pas une personne. C’est une genette.

            Sa grande sœur lui répond :

- Non, tu es fou, tu as complètement perdu l’esprit. Si tu veux t’en aller, rien ne t’empêche de t’en aller !

- Mais c’est la vérité, grande sœur ! Ecoute encore, je te pincerai cette nuit (pour te réveiller).

- D’accord.

            Elles dormaient toutes. Vers minuit, les genettes se mettent à appeler :

            - Dort-elle, dort-elle ?

            Petit-Benjamin pince sa sœur Grande-Première-Née ; elle se réveille.

            Dort-elle, dort-elle ?

            Petit-Benjamin pince sa sœur Puînée ; elle se réveille.

- Vous entendez ça, les aînées ?

- Oui.

            Dort-elle, dort-elle, la Petite-Benjamine, dort-elle ?

            Petit-Benjamin pince sa sœur Petite-Benjamine. Elle se réveille.

- tu entends ça, l’aînée ?

- Oui.

            - Dort-il, dort-il, le petit Beau-frère, dort-il ?

            - Point ne dors, point ne dors, ô Beau-frère, point ne dors.

            Marié à la genette, aux abords du sépulcre.

            Si par aventure je dors, toujours je reste anxieux, ô Beau-frère, je reste anxieux !

            Voilà ce qu’il disait, comme toujours. Et ensuite :

- Vous avez entendu, vous voyez bien que je ne menspas, que c’est la vérité, En clair : Sire-Genette, le fameux beau-frère, n’est pas un homme, c’est une genette. Une fois grasses, il vous mangera. Il fut nous enfuir.

            Les grandes sœurs disent :

- Bon ! Si c’est comme ça, partons. Allons-y ; attendons la nuit. Quand il fera nuit, il faut partir dans la forêt, en pleine forêt.

- Oui, dit Petit-Benjamin.

            C’est la nuit. Sire-Genette revient encore une fois pour appeler. A minuit les genettes se mettent à appeler comme chaque nuit. Ils appellent, mais, silence, pas de réponse.

- A moi les mamelles de Petite-Benjamine !

- A moi les mamelles d’Unetelle…

- A moi le petit beau-frère, je lui dévore même les cuisses !

            Voilà ce que les genettes se disaient entre eux.

            Et les autres, comme ils avaient compris que le mari de leur sœur était une genette et non pas un homme, ils avaient coupés des troncs de bananiers. Ils avaient mis un tronc dans chacun des lits de leur chambre à coucher, en tout cinq troncs. Et ils y avaient fixé des pieux pointus. En entendant revenir ces Messieurs, les cinq sœurs et leur petit frère avaient tout emporté, tout. Et ils s’étaient enfuis, ils ne voulaient plus rester là.

            Comme ils étaient à environ cent mètres de la, Sire-Genette appelle encore :

            - Dort-elle, dort-elle, la Grande-Première-Née, dort-elle ?

            Personne ne répond ;

            - Dort-elle, dort-elle, la Puînée, dort-elle !

            Silence.

            - Dort-elle, dort-elle, la Cadette, dort-elle ?

            Silence ;

            - Dort-elle, dort-elle, la Petite-Benjamine, dort-elle ?

            Personne ne répond.

            (Ils se disputent encore les mamelles :)

            - A moi, les mamelles de Petite-Benjamine !

            - A moi les mamelles de Grande-Première-Née, à moi…

            Parce que personne ne répondait, et qu’ils étaient tout près, ils se jettent, tous, tous ils se jettent sur les troncs de bananiers, avec les piquets pointus fichés dedans…, Et  ils se sont cloués dessus, éventrés, morts ! Le mari, cependant, n’était pas mort, mais quelle honte ! Il en restait peut-être trois qi étaient encore en vie.

            Les autres étaient morts, ils s’étaient cloués sur les pieux fichés dans les couchettes des cinq enfants. Et Sire-Genette, le mari, avait bien indiqué où était la couchette de Grande-Première-Née, et celle de Puînée, de Cadette, de Petite-Benjamine.

- Voilà les couchettes. A vous de foncer. Sinon vous me prendriez pour un menteur, et quand vous aurez les mamelles (parce que n’est-ce pas c’est ce que les genettes préfèrent) quand vous aurez fini les mamelles, on mangera le reste de la viande.

            Mais quand les cinq premiers s’étaient élancés, ils étaient restés fichés sur les piquets pointus.

            Il n’en restait que trois, le mari avec deux de ses compagnons genettes. Ils se disent :

- Oh, ils ont pris la fuite ! Poursuivons-les.

            Ils les poursuivent, ils les poursuivent…

            Les cinq enfants sont arrivés un peu plus loin. ils disent :

- Si tu es encore sacrée, ô toi, forêt profonde, élève-toi bien haut, et resserre-toi bien fort.

            Et la forêt profonde se referme d’un coup.   

Une fois les trois genettes arrivées à l’orée de la forêt :

- Comment allons-nous faire, les amis ? Nous allons abattre cette forêt. Retournez prendre des haches, dit Sire-Genette, le mari.

- Si c’est moi qui y retourne, les mamelles de Grande-Première-Née seront pour moi, n’est-ce pas ?

- Jamais ! Si c’est comme ça, retournons-y tous les trois. Allons, si toi, tu te réserves les mamelles, qu’est-ce qu’on va manger, nous ?

            Ils retournent ensemble prendre les haches au village.

            Avant qu’ils soient revenus, les cinq fugitifs étaient loin. Ensuite, les genettes ont abattu les arbres, ils ont abattu les arbres, abattu les arbres…Une fois tous les arbres par terre :

- Va, mon gars, va rapporter les haches.

            Le gars (c’était le troisième) dit :

- Ouah ! Si c’est moi qui y retourne, les mamelles de Petite-Benjamine seront pour moi !

- Ouah ! Jamais de la vie. Si c’est comme ça, on y va tous. Les mamelles de Petite-Benjamine, pour toi tout seul ? Des grosses mamelles comme ça !

            Les trois genettes reviennent ensemble au village pour y  déposer les haches.

            Ils arrivent un peu plus loin, et (parce qu’autrefois il y avait encore bien des choses sacrées) Grande-Première-Née dit, au moment où elle les voit s’approcher… Elle casse l’œuf de poule et elle prononce cette imprécation :

- Si la terre est encore sacrée, deviens un grand lac ici même.

            Et l’œuf de poule devient un grand lac ;

            Arrivent les trois. Ils sont surpris de trouver là ce grand lac.

 - Allons, mon gars, retourne prendre les haches pour fabriquer une pirogue.

- Si c’est moi qui y retourne, les mamelles de Petite-Benjamine sont pour moi.

- Oh ! Si c’est comme ça, on y retourne tous.

            Ils y retournent tous les trois.

            Pendant ce temps, où sont arrivés les cinq sœurs et leur petit frère ? Tout près de leur village. Les trois hommes fabriquent une pirogue. La pirogue finie, ils se mettent à ramer. (Ils avaient apporté une pagaie.) Arrivés sur l’autre rive, ils jettent leurs haches. Cette fois ils ne voulaient plus retourner. Ils jettent haches et pirogue…

            Pendant ce temps, les cinq fugitifs étaient arrivés au village. Ils avaient dressé beaucoup d’obstacles pour pas être rattrapés par les genettes et arriver chez leurs parents. Les genettes les suivaient toujours. A la fin, les trois gars arrivent au village de Grande-Première-Née.

            Le père de Grande-Première-Née se démène pour les recevoir :

- Oh c’est mon cher gendre ! Mon cher gendre ! Entrez donc, mon cher gendre, entrez donc, mon cher gendre. Chez nous quand le gendre vient en visite, oh la la, rien que des cuisses de poulets, et du vin de canne, tant et plus !

            Et le bouillon de poulet ! La genette aime le poulet, c’est bien connu.

            Les enfants avaient déjà raconté toute l’affaire à leur père :

- Papa, avait dit Petit-Benjamin, le fameux beau-frère ce n’est pas un homme, c’est une genette. Tous les jours il venait avec ses amis pour appeler mes sœurs. Et ils se disputaient leurs mamelles. Je les entendais chaque nuit se disputer pour ça.

            Petit-Benjamin a raconté à son père tout ce que Sire-Genette et les siens leur avaient fait, et les raisons de leur fuite ; le père se récrie :

- Quoi, Mon gendre est une genette ?

            Pour la nuit, on leur a donné à tous les trois une case spéciale, on ne les a pas laissé dormir dans celle de leur femme. On a verrouillé la porte de l’extérieur, et même a lié les fenêtres avec des cordes ; tous les trois sz sont mis à ronfler : ils étaient bien repus de poulet et de vin de canne.

            Vers minuit, le père des enfants a mis le feu à la maison où ils dormaient ; ils ont été brûlés ; une fois la maison en feu, on a vu leurs trois queues se déployer. Alors là, leur père était vraiment étonné.

- Ah les amis, si je n’avais pas vu ça, j’aurais cru que Petit-Benjamin avait menti. Vrai ! C’était des genettes, pas des hommes. Fichtre ! Si Petit-Benjamin n’était pas allé là-bas, mes filles seraient mortes, dévorées par les genettes ; il n’est pas bon de faire la difficile avec les hommes.

            Très heureux, leur père réunit la population ; il organisa une grande fête car aucun de ses enfants n’était mort. La fête finie, voici ce que déclara le père de ces enfants :

- De toute ma descendance, de toute ma lignée, celui qui n’accompagne pas une nouvelle mariée nchez son mari, qu’il soit maudit à jamais.

 

            C’est à cause de cela que, quand il y a un mariage, il faut accompagner la nouvelle mariée, il faut que des gens de son village l’accompagnent à sa nouvelle demeure.

 

 

Fulgence FANONY

L’Oiseau Grand-Tison

Et autres contes Betsimisaraka du Nord

Littérature orale Malgache

tome 1

L’Harmattan 

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