Conte: La jeune fille qui jouait pour de l’argent avec ses prétendants
/image%2F1287026%2F20230222%2Fob_b1f518_1-jeu.jpg)
La jeune fille qui jouait pour de l’argent
avec ses prétendants
Il était une fois quelqu’un, à ce qu’on dit, quelqu’un dont tous les enfants mouraient… tous, ils mouraient. Mais finalement il eut un enfant qu’il put garder, un enfant unique.
Ayant ainsi eu cet enfant, il construisit une maison de pierre où il plaça l’enfant. Seule une servante s’occupait de cet enfant, pour lui donner du lait.
Il ne lui donna pas de vêtements, rien sur le corps ! L’enfant restait ainsi, et jamais son père ni sa mère ne venaient la voir.
On la laissait là et au bout de quelques temps, elle marchait à quatre pattes. La servante descendit :
- Elle marche à quatre pattes.
- Laisse-la comme ça, dit son père.
Et on la laissa là. Toujours, la servante lui apportait du lait, la nourrissait.
Quelques temps après, elle commença à marcher.
- Bon, dit la servante, elle marche.
- Laisse-la où elle est. Restez là-bas. Donne-lui toujours à manger. Si le lait manque, viens en chercher ici.
Ensuite, l’enfant a commencé à marcher dans la maison. Maintenant elle est déjà grande, elle marche bien, elle parle.
- Laisse-la où elle est, disent son père et sa mère.
Personne n’a jamais vu cette enfant, sauf la servante. Son père et sa mère ne l’avaient jamais vue, jamais ils n’étaient venus la voir. Bientôt elle devient une jeune fille.
- Elle a déjà les seins d’une jeune fille.
- Laisse-la où elle est !
Or, comme elle demeurait là, il arriva que quelqu’un, un jeune homme, l’aperçoive, alors qu’elle marchait sur la véranda.
- Oh les gars, dit le jeune homme ! Cette jeune fille là-haut, qu’est-ce qu’elle est belle, les gars ! Mais elle est toute nue. Comment est-ce que je pourrais faire pour l’avoir ?
Le garçon avait le désir de la courtiser.
Il était là, il était là… Et puis :
- Bon, dit le garçon, il faut que je cherche un moyen d’y aller.
Justement il voit la servante qui sortait. Hop, il monte. Toc, toc, toc, à la porte. La fille demande :
- Qui est-ce ?
- C’est moi.
Elle a compris tout de suite que ce n’était pas la voix de sa « tante ». (C’était la servante qu’elle appelait sa tante.) Mais elle l’a fait entrer.
Il est sur le seuil de la porte :
- Ne va pas plus loin, dit la fille.
- Si je suis venu, dit le visiteur, c’est que j’ai de l’amour pour toi.
- Qu’est-ce que c’est que cet « amour » ?
- Comment ? Si je t’aime, c’est que je viens pour te courtiser.
- Vraiment ?
- Mais oui.
- Moi, dit-elle, je ne veux pas céder. Pourtant, je pourrais céder, mais il faudrait que nous jouions au katra, et que nous jouions pour de l’argent. Si tu perds ton argent, tout ton argent… alors tu ne m’auras pas. Mais si tu ne perds pas, et que c’est moi qui perds, oh alors, tu m’auras !oui ! Tu seras tout de suite mon légitime époux.
Alors, ils sont passés à l’exécution : ils se sont mis à jouer au katra, et clac, et clac, ils ont joué au katra jusqu’à minuit. Et le garçon a perdu tout son argent.
- Rentre chez toi, lui dit-elle. Si mon père et ma mère te surprennent ici, ils te tueront !
Le jeune homme a roulé dans l’escalier plutôt qu’il n’est descendu ! Ensuite, il a raconté à ses amis :
-Ah, les gars ! La fille qui est là-bas, qu’est-ce qu’elle est belle, les gars ! Mais elle est toute nue. J’y suis allé pour la courtiser, mais je n’avais pas assez d’argent. Là-bas, les gars, l’argent file comme poussière. J’ai tout perdu.
- Dis ! Mon cher, lui demande un de ses camarades, et comment est-ce que ça se passe chez elle ?
- Il faut jouer au katra, jouer de l’argent.
- Si c’est comme ça, j’y vais, moi.
Et l’homme a apporté une pleine caisse d’argent, le jeune homme. Arrivé là-bas, il frappe, toc, toc, à la porte.
- Entre.
Il entre ; et dès qu’il est entré, il entame sa déclaration. Mais elle lui répond :
- Cela, je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que si tu as de l’amour pour moi, nous allons jouer au katra, pour de l’argent. Si tu perds, tu ne m’auras pas. Mais si c’est moi qui perds, tu seras tout de suite mon légitime époux.
Aussitôt ils se mesurent : ils jouent au katra, pour de l’argent. Les deux caisses d’argent du garçon sont bientôt épuisées.
- Dis ! Rentre chez toi, parce que si ma mère te surprend… Elle est déjà à la porte, avec mon père. Ils vont te fusiller, fit-elle, à la sortie !
Bien. Le jeune homme s’en va, et il raconte à ses camarades :
- Les gars, là-bas, il y a une très belle fille ! Et elle ne serait pas trop difficile à courtiser, dit-il, mais c’est que je n’avais pas assez d’argent, aussi je ne l’ai pas eue.
- Dis ! C’est que tu n’es pas encore à la hauteur, mon cher, attends, moi, je vais y monter.
L’autre jeune homme est monté à son tour. Et elle, elle était toujours toute nue… Alors, ils ont joué au katra, pour de l’argent, et le garçon avait apporté trois caisses d’argent. Mais avant qu’il soit minuit, fini ! Les trois caisses d’argent étaient épuisées.
- Rentre chez toi, parce que si mon père et ma mère te surprennent ici, ils vont te tuer.
Le garçon s’en retourne.
Il raconte lui aussi son aventure à d’autres garçons.
- Que vous êtes maladroits, dit un autre. A moi de partir.
Il part avec quatre caisses d’argent.
En arrivant là-bas, il a cogné lui aussi à la porte. On l’a fait entrer, mais seulement jusque sur le pas de la porte. Il ne pouvait entrer à l’intérieur de la maison, seulement sur le pas de la porte. Et ils ont commencé à jouer au katra, pour de l’argent. Et la fille a perdu tout son argent.
- Alors, qu’est-ce qu’on fait, demande le garçon ?
- Eh bien ! D’après notre contrat, dit-elle, tu es mon légitime époux. Monte là-haut, sur le lit.
Ouh ! On ne le voit plus, le garçon. Le lit est tellement profond, avec son matelas à ressorts, que le garçon disparaît dedans ! On ne le voit plus.
Et alors, le lendemain au lever du jour, au moment où la servante est arrivée, la femme a cru que c’était son père. Elle s’est levée et elle est allée à la porte. Une fois là, elle a vu que c’était la servante qui venait lui porter à manger.
- Dis ! Fais un repas pour deux personnes, parce que j’ai quelqu’un avec moi.
La servante est repartie.
- Eh bien, maintenant elle a quelqu’un chez elle, et elle me dit de faire plus à manger.
- Ah vraiment, dit père ?
Alors, la petite bonne a apporté le repas, et ils ont mangé. Et le garçon, maintenant, il reste à la maison, il ne descend plus. Il habite dans la demeure de pierre.
Ils étaient là, ils étaient là…. Et le père de la femme a fait tuer un bœuf, pour en faire le bouillon pour son gendre. (Au bout de quelques jours :)
- Oh, je suis fatigué de la viande de bœuf, dit-il.
Pour lui, on a tué des poulets. Pendant deux jours, ils ont mangé du poulet.
- Oh, je suis fatigué du poulet, dit-il.
On a tué pour ce jeune homme de toutes les espèces d’animaux d’élevage.
Il ne pouvait en manger que deux fois, et ensuite il disait qu’il en était fatigué. Sa femme lui demande :
- Mais, qu’est-ce que tu veux manger ?
- Eh bien, je voudrais manger des brèdes, des brèdes morelles.
- C’est des brèdes morelles que tu veux manger ?
- Oui.
- Pour ça, dit la femme, je ne dirai à personne d’aller en chercher, j’irai moi-même en chercher.
Et c’est pour aller chercher des brèdes que, pour la première fois, elle a mis des vêtements. Elle s’est habillé comme tout le monde, pour la première fois, elle a caché sa nudité. On a appelé les esclaves pour la porter. Ainsi appelés, les esclaves se disputaient l’honneur de la porter. On en a choisi douze seulement pour lui servir de porteurs, et aller dans les champs récoltés, ramasser des brèdes, plein un sac.
Mais quand ils sont revenus, qu’ils sont remontés au village, voilà que le jeune homme avait été victime de la sorcellerie du grand-père de sa femme le grand-père, une fois sa petite-fille partie chercher les brèdes, avait appelé :
- Eh ! Prince-de-tous-les-Souhaits !
- Oui, avait répondu le jeune homme.
- Pour toi, voici de l’alcool dans un gobelet !
- Mais je ne bois point d’alcool dans un gobelet.
- Alors dans un verre !
- Mais je ne bois pas dans un verre.
- Alors dans une corne !
- Mais je ne bois point dans une corne.
- Pourquoi ne veux-tu pas boire, l’ami ? Regarde-moi un peu.
Et comme il regardait, là-haut sur la véranda, comme il lui jetait un coup d’œil, ouh, voilà le jeune homme qui tombe mort.
Et comme il était mort, le cortège de la femme, depuis l’autre côté du village, l’apercevait déjà, couché sur la véranda, mais pas couché comme quelqu’un qui dort, couché comme un mort.
- Laissez-moi descendre, dit la femme à ses porteurs.
- Mais qu’est-ce que tu veux faire ?
- Mais, il est arrivé un malheur à la maison. Laissez-moi descendre et allons-y.
- Non ! Non ! Nous ne te laisserons pas descendre, disent les porteurs.
- Si ! Déposez-moi. Si vous ne me déposez pas, il est mort. Déposez-moi.
Ils continuaient quand même à la porter. Mais une fois arrivée assez près de la maison, elle saute de son palanquin, et elle court. Arrivée là, elle pose la main sur son mari : il était déjà froid. Il était mort.
Alors, elle est allée chez son père.
- Oh ! Père ?
- Oui ?
- Pendant que j’étais allée chercher des brèdes, mon hôte des terres lointaines a trépassé. Qui donc était là ?
- Hélas, répond son père ! Moi, je n’ai même pas vu le visage de mon gendre que j’aimais. Il est toujours resté chez toi. Et c’est moi qui l’aurais tué ? Ce n’est pas moi. Va voir du côté de ta mère.
Et son père est monté, pour voir le corps. Il a constaté que l’homme était vraiment mort. (La femme court alors chez sa mère :)
- Ô mère ?
- Oui ?
- Le bel homme, mon hôte des terres lointaines, a trépassé. Qui donc était là ?
- Que non ! Ce n’est pas moi, dit sa mère. Pour cela, va plutôt chez ma sœur de ton père.
Elle est allée chez sa tante.
- Ô tante ?
- Oui ?
- Le bel homme, mon hôte des terres lointaines, a trépassé. Qui donc, dit-elle, était là ?
- Que non ! Ce n’est pas moi. Pour cela, va plutôt chez le frère de ta mère.
Elle est allée aussi chez son oncle. Et ceux qui avaient appris le deuil commençaient à monter pour veiller, pour faire la veillée funèbre.
Alors :
- Que non ! Va donc plutôt chez ta grand-mère, dit l’oncle.
Elle court vers sa grand-mère.
- Ô grand-mère ? Mon hôte des terres lointaines a trépassé ici. Qui donc, dit-elle, était là ?
- Même son visage, je ne l’ai jamais vu. Et c’est moi qui aurais tué un être que j’aimais tant ? Ce n’est pas moi. Pour cela, va plutôt chez ton grand-père.
Elle va chez son grand-père.
- Ô grand-père ?
- Oui ?
- Mon hôte des terres lointaines a trépassé, pendant que j’étais allé chercher des brèdes. Qui donc était là ?
- C’est comme ça que tu me traites, réplique le vieux ? Je ne l’ai même jamais vu, et c’est moi qui aurais tué un être que je n’ai jamais vu ? Va-t’en sinon je t’assomme aujourd’hui, dit-il, menaçant sa petite fille.
- Ah c’est ainsi, dit-elle ?
Elle est revenue, et arrivant là, elle a tâté encore le corps. Il était toujours froid, et il commençait maintenant à devenir raide. Alors elle est montée sur le toit de la maison. Et là, elle a crié. Elle a crié son appel :
- Ô ! Grand frère ! Ô ! Grand frère ! Le bel homme, mon hôte des terres lointaines, a trépassé. Qui donc était là ?
Elle continue à appeler son grand frère. Et on voit les éclairs dans le ciel, et il tombe deux œufs de poule, quelle met dans sa poche, qui sont descendus du ciel. Et après cela, elle continue toujours à appeler son grand frère :
- Le bel homme, mon hôte des terres lointaines, a trépassé. Qui donc était là ?
Quelques temps après, on a entendu la foudre éclater dans le ciel. Et comme la foudre éclatait, la jeune femme est descendue et elle a cassé l’un des œufs au creux du cœur du cadavre, et l’autre sur sa tête.
Le cadavre s’est mis à bouger : il va reprendre vie. Ensuite, la femme est remontée, et elle appelé encore son grand frère. Et son grand frère lui a envoyé encore un œuf au milieu des éclairs de la foudre. Elle l’a mis dans sa poche et elle est redescendue.
Une fois redescendue, et elle a cassé l’œuf. Elle a pris le blanc pour en oindre les hanches de son homme. Et le jaune pour en oindre son dos. Alors le mort s’est assis et s’est mis à parler. Il était ressuscité. Une fois qu’il est ressuscité, sa femme lui demande :
- Qui donc était là ?
- Eh bien, c’est le grand-père qui m’appelé pour me faire boire de l’alcool, dit-il, mais moi j’ai refusé. Alors il m’a dit : Regarde-moi un peu. Et comme je le regardais, je suis mort.
- Ah, c’est donc ça ?
Elle est montée encore sur le toit, et elle appelé une nouvelle fois son grand frère. La foudre est venue et s’est mise à claquer tout autour du petit vieux, à le frapper, à le cingler, à l’écorcher de partout. Il s’est évanoui. La femme dit :
- Non ! Ne le tue pas, c’est seulement pour lui donner un leçon !
Le vieux restait là, évanoui.
Et eux, ils ont demeuré dans leur maison. Ils étaient là, ils étaient là… Un an s’était écoulé depuis que l’homme était mort et revenu à la vie.
- Moi, dit le jeune homme, voilà bien longtemps que je suis arrivé ici. Si vraiment je dois avoir ma femme, eh bien maintenant je vais l’emmener. Si tu acceptes de venir, nous y allons. Si tu ne veux pas venir, oh alors, je m’en retourne.
- Et moi, dit la femme, je n’ai jamais connu d’autre homme que toi, et je ne me séparerai pas de toi. Je viens.
Elle a pris congé de son père et de sa mère, et on a scellé le mariage, et ils sont partis ensemble, pour gagner le pays du mari. Arrivés là-bas, ils ont fait les cérémonies, et célébré les noces. La famille s’est réunie, et on a tué un bœuf pour fêter leur arrivée. Une fois le bœuf tué, on a servi le festin en l’honneur des jeunes mariés, et le jeune homme a raconté tout ce qui lui était arrivé là-bas, et comment il avait connu la mort.
- Et de cela, conclut-il, on ne peut tirer vengeance.
- Comment ! Eux, ils t’ont tué, disent les gens, nous allons te venger !
- Non, il ne faut pas se venger, dit-il.
Et ensuite, ils ont tué la jeune femme. Ils l’ont ensorcelée, et elle est morte. Quand il a vu qu’elle était morte :
- C’est moi tout seul, dit le jeune homme, qui vais l’enterrer.
Il a emmené le cadavre chez ses beaux-parents. Une fois arrivé là-bas, il leur a déclaré :
- J’avais pris chez vous une fille belle et en bonne santé. Mais, quand nous sommes arrivés là-bas, ce sont mes parents qui l’ont fait mourir, aussi je viens maintenant vous remettre le corps.
- Elle n’est pas morte, dit son père. Montez dans votre maison. Je vous dis qu’elle n’est pas morte. Amène-la là-haut.
Le jeune homme a porté le cadavre dans la maison. Et une fois arrivée là, en effet, la morte est revenue à la vie. Et depuis lors, le jeune homme n’a plus fait aux siens que des visites de temps en temps. Plus jamais il ne leur a amené sa femme.
Et c’est la raison pour laquelle il y a des gens…, il y a des gens qui se marient, qui vont prendre femme, mais qui restent là-bas, dans le pays de leurs beaux-parents. Ils y restent toujours. C’est devenu une règle, depuis le cas de cet homme…, sa femme l’avait suivi…, il l’avait emmené chez lui, mais une fois arrivée là-bas, ses parents l’avaient fait mourir. Alors, il y an sûr des femmes qui suivent leur mari, mais ceux-là, ils ne sont plus jamais revenus, l’homme a établi son ménage chez ses beaux-parents, il a adopté la conduite du jalôko.
Tel est le conte que j’ai entendu des gens , et :
Si c’est un conte,
Puisse le temps de demain être sec, pour qu’on récolte le girofle,
Si ce n’est pas un conte mais un mensonge,
Qu’il pleuve demain, pour que la récolte du girofle soit empêchée !
Que tous ceux qui ne disent pas « conte », deviennent de pauvres loqueteux !
- Conte ! Conte !
Fulgence FANONY
Le tambour de l’ogre
Littérature orale Malgache
tome 2
L’Harmattan