Conte: La vieille femme et la bête qui fait peur

LA VIEILLE FEMME ET LA BÊTE-QUI-FAIT-PEUR
Conte Tanala
Recueilli à Ambatofisaka (province de Farafangana).
Un jour, dit-on, une vieille femme qui faisait la cuisine pour le roi, alla puiser de l’eau à une fontaine éloignée du village. Lorsqu'elle y fut arrivée, elle entendit un animal énorme qui accourait vers elle. Surprise et effrayée, elle se retourna et vit une immense bête qui s’approchait. La vieille se sauva le plus vite qu'elle put dans la direction du village, et, arrivée près de la case du roi, elle tomba par terre, évanouie de frayeur. Les habitants vinrent à son secours ; on la releva et on l'accabla de questions:
« Qu’est-ce qui vous est arrivé, bonne vieille, qu'est-ce qui vous est arrivé ? »
Mais la femme ne pouvait parler, tant elle avait encore d'émotion. Le roi sortit à son tour et lui dit:
« Parle, voyons! Parle! Qu'est ce qui a pu te troubler ainsi?
- O roi, répondit-elle, c’est un animal gigantesque qui s’est mis à ma poursuite pour me dévorer, il arrivera bientôt ici au village.
- Tu nous racontes des mensonges, vieille, repartit le roi. D’animal comme tu dis, il n’en existe point.
- Je ne dis rien que la vérité, ô roi ! Si tu n’es pas sûr de moi, arme tes hommes et ordonne leur d’aller à la rencontre du monstre.
- Soit, dit le roi. Mais si tu as menti, je te ferai mourir. »
Et il envoya des gens pour s’assurer de la véracité de la vieille. Ils revinrent bientôt, et du plus loin qu'ils virent le roi, s’écrièrent:
« O Seigneur, cet animal monstrueux existe réellement, il est tout près d’ici et ne tardera pas à arriver dans le village. »
Presque aussitôt on entendit des cris.
« Voilà la bête ! Voilà la bête ! Elle passe par la porte du village ! »
Le roi surpris ordonna à ses hommes de s’armer et d’arrêter la bête. Mais elle les avala tous avec leurs vêtements et leurs armes. Puis la bête qui fait peur entra dans le village et détruisit tous les êtres animés y compris le roi. Seule, une femme enceinte parvint à s’échapper : elle s’était réfugiée dans une maison en fer.
L’animal s’accroupit près de cette case, attendant patiemment que la femme sortît, pour la dévorer à son tour.
Au bout d’un certain temps, la femme mit au monde deux jumeaux. Quand ils furent grands.
elle leur dit :
« Ne sortez jamais de la maison, car la bête qui fait peur a détruit et exterminé tous les êtres vivants de ce village et elle est là encore, qui nous attend.
- Où donc est la bête qui fait peur, maman, s’écrièrent les garçons, où donc est-elle ?
- Elle est dans la cour. »
Alors les deux frères s’armèrent de couteaux bien tranchants et sortirent, résolus à combattre.
En les voyant la bête se jeta sur eux pour les engloutir, mais les deux frères, à coups de couteaux, lui coupèrent la tête et la bête fut tuée.
Eux allèrent annoncer la bonne nouvelle à ceux des habitants qui étaient parvenus à s’échapper et qui s’étaient dispersés çà et là. Quand ils furent réunis, après s’être livrés à des démonstrations joyeuses, ils se dirent les uns aux autres :
« Découpons la bête pour voir ce qu’elle a dans le ventre, elle qui a détruit le village, qui n’a pas épargné les petits et n’a pas fait merci aux grands. »
Ils la découpèrent en effet et trouvèrent dans son ventre tout ce qu’elle avait avalé ; hommes, femmes, enfants et animaux étaient encore tous en vie, à l’exception du roi qu’on ne retrouva point. Les habitants se désespéraient et regrettaient sa perte, lorsque vint à passer l’oiseau qu’on appelle Railonga. !1 passa en criant :
« Ankihiky ! Ankihiky ! » [Dans la petite griffe! Dans la petite griffe!]
On coupa la plus petite griffe de l’animal et on y trouva le roi, encore en vie. 11 réunit tous ses sujets, ceux qu’on avait retirés du corps de la bête et les autres et leur fit un kabary :
« Si nous vivons encore, vous mon peuple, et moi votre roi, c'est grâce aux deux frères jumeaux qui nous ont sauvés. Aussi je veux leur donner mon royaume. Car, s’ils n'avaient pas tué la bête, nous serions tous enfermés, comme morts, dans son ventre, et moi-même, si le Railonga n’avait pas dit la partie du corps de la bête où j’étais caché, je ne serais point en ce moment parmi vous. Aussi j’ordonne à tous mes descendants de ne jamais tuer ni manger les Railonga. (C'est pour cela, dit-on, qu’aujourd’hui encore chez les Tanala, les descendants du roi ne mangent pas de Railonga)
- Ainsi soit fait, dirent les peuples. Nous sommes contents de voir récompenser les deux frères, car c’est grâce à eux que nous avons été délivrés du plus grand des malheurs. »
Mais plus tard, le roi manqua à la parole donnée et ne voulut pas céder son royaume aux deux frères. Une guerre s’engagea et les peuples aidèrent les deux frères contre le roi, et, parce que celui-ci avait manqué à la parole donnée, il fut tué.
Et à partir de cette époque, dit-on, les hommes commencèrent à respecter la parole donnée.
Contes de Madagascar
Charles RENEL
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