Conte: Le Boa
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Le Boa
Il était une fois, dit-on, le Boa. Le Boa cherchait des tanrecs à manger dans la forêt ; et il a découvert un trou, une cavité où il pouvait y avoir des tanrecs. Alors bien sûr, le boa est entré dedans. Et ce boa, il était déjà bien gros. Et le Boa étant entré dans le trou… il se trouvait qu’au-dessus de ce trou il y avait une grosse pierre. C’est dans ce trou avec une grosse pierre au-dessus que les tanrecs avaient leur nid.
Donc, le Boa était entré dans le trou, pour prendre les tanrecs. Il en mangé, il en a mangé, il en a mangé, jusqu’à ce qu’il soit bien rassasié. Une fois bien rassasié, quand le Boa a voulu reculer pour sortir, voilà qu’en sortant, il a heurté la pierre avec son dos, et la pierre est tombée. Une fois la pierre tombée, le Boa a bien essayé de se démener, de se débattre… mais rien à faire, il ne pouvait pas se dégager.
Voilà notre Boa bien embarrassé ! Il était bien embarrassé. Il se disait :
- Comment est-ce que je vais faire ? J’ai beau me débattre, je n’arrive pas à me dégager.
Il était coincé sous la pierre.
Sur ces entrefaites, comme il était resté bloqué là toute la journée, jusqu’au soir, voilà (le lendemain matin) un chasseur de tanrecs qui arrive. Il avait découvert la piste des tanrecs, et il l’avait suivie, il l’avait suivie, il l’avait suivie… et il était arrivé là, devant le trou dans lequel était entré le boa, puisque ce trou, justement, était l’entrée du nid des tanrecs.
Et le Boa a bien remarqué ce gars qui passait par là, comme ça. Il l’a appelé :
- Hé, mon gars, hé toi l’Homme ! Dégage-moi d’ici, je suis bloqué ici !
- Que je te dégage ?
- Oui.
- Mais, dis-moi, si je te délivre, tu ne me mangeras pas, après ?
- Oh non ! Mon cher, je ne te mangerai pas.
- C’est bien vrai ?
- Mais oui ! Je suis bloqué ici, délivre-moi, sinon je meurs !
- Bon, dit le gars, je vais te délivrer.
Le gars a coupé un morceau de bois, et avec ce morceau de bois, il a soulevé la pierre comme avec un levier, et la pierre a cédé. Il a dit au Boa :
- Tu peux sortir, maintenant.
Le Boa s’est glissé dehors tout doucement. Il était sauvé. Une fois sauvé, il lui dit :
- Ah oui, je te remercie ! Je te remercie bien : tu m’as sauvé. Moi, tel que tu me vois, je suis resté bloqué ici toute la journée, jusqu’au soir, et c’est aujourd’hui le deuxième jour, alors attends-moi un peu, que je me repose d’abord un peu !
- Bien sûr, répond le gars.
Une fois remis, le Boa dit :
- Ah oui, l’ami, « les bienfaits ne sont jamais récompensés ». Alors, je vais te manger.
- Comment, dit le gars ? Je t’ai sorti de ta détresse, et maintenant tu veux me manger ?
- Oui, je vais te manger. Tu sais, mon ami, « les bienfaits ne sont jamais récompensés ». Tu t’es occupé de moi, eh bien moi, je vais te manger, tout simplement.
- C’est comme ça ? dit l’homme.
- Oui.
- Et moi, dit-il, est-ce que je ne peux pas avoir un petit délai, pour consulter quelqu’un ?
- Oh si, dit le Boa. Tu peux consulter. Mais pas trop longtemps !
-Bon, si c’est comme ça, dit le gars, je vais encore consulter, attends-moi, je vais chercher quelqu’un à consulter.
- D’accord, dit le Boa.
Ils sont partis ensemble, le gars devant, et le Boa derrière. Et, arrivés un peu plus loin, ils ont trouvé une des vaches de Grand-Seigneur, la toute première vache de son troupeau. Et cette vache était très vieille.
La Vache demande :
- Nouvelles ? Pour ce qui est de moi, telle que tu me vois, je suis bien vieille. Je suis la source de toute la richesse de Grand-Seigneur. Tout son cheptel, tout ce qui fait qu’on l’appelle aujourd’hui Grand-Seigneur, tout est sorti de moi. Et maintenant que je suis bien vieille, il va me tuer, demain il va me tuer, parce que je suis vieille, et qu’il va me manger.
- C’est comme ça ? dit le gars.
- Eh oui, répondit la Vache.
- Eh bien moi, dit le gars, je n’ai guère de nouvelles, si ce n’est que j’ai délivré ce Boa de sa détresse, il était bloqué sous une pierre, et je l’ai dégagé. Mais quand il a été délivré, il m’a dit : Voilà, l’ami, « les bienfaits ne sont jamais récompensés », alors je vais te manger. Tu t’es occupé de moi, eh bien maintenant tu vas me servir de provision, parce que j’ai vraiment très faim, ça fait combien de jour que je suis ici ! Alors vraiment, dit le gars, est-ce que c’est comme ça qu’on fait ?
- Oui, dit la Vache, mange-le.
- Mais il dit qu’il va consulter, dit le Serpent ?
- C’est moi qu’il veut consulter. Et pour moi c’est tout consulté : mange-le, dit la Vache. Moi en tout cas, je dois être mangée dès demain par Grand-Seigneur.
- Oui, dit le gars, mais attends un peu, je vais encore consulter.
- Bon, vas-y, dit le Boa, consulte comme tu l’entends, parce que moi, après l’avis de la Vache je pensais déjà te manger. « Les bienfaits ne sont jamais récompensés ».
Ils sont repartis ensemble, ils ont marché… Et en passant une montagne, ils trouvent le Manguier.
- Nouvelles, demande le Manguier ?
- Point de nouvelles, Manguier, dit le gars. Comme je passais, le Boa qui cherchait des tanrecs à manger avait été bloqué sous une pierre, et comme il était bloqué sous cette pierre, je l’ai sorti de sa détresse, car il se démenait en pure perte, et me suppliait de le dégager. Mais une fois qu’il a été délivré, il m’a dit que « les bienfaits ne sont jamais récompensés », et que, comme quand il était coincé je lui avais fait du bien, alors il allait me manger sur l’heure. Alors, j’étais déconcerté, et j’ai dit que j’allais consulter. Et quand j’ai consulté la Vache, sa réponse a été : C’est vrai, « les bienfaits ne sont jamais récompensés ! » C’est moi qui ai été la source de toute le richesse de Grand-Seigneur, c’est de moi qu’est sorti tout son troupeau, et Grand-Seigneur va me manger demain, alors, mon avis, c’est : Mange-le ! Voilà ce que la Vache m’a répondu.
- C’est bien ça, dit le Manguier, voyez : moi aussi, je fais du bien aux hommes. Tous ceux qui arrivent ici, bien fatigués par la montée de l’autre côté, se reposent ici en prenant le frais. Et une fois qu’ils ont pris le frais ils prennent leur coupe-coupe, et ils donnent de grands coups sur mon dos. Tu ne vois pas comme je suis tout écorché ? Alors, pour moi, si on me demandait mon avis, ma réponse serait : Mange-le !
Ah, voilà notre gars bien déconcerté.
- Vraiment, l’ami, c’est ça la consultation que je suis venu te demander ?
- Parfaitement, dit le Manguier, parce que je fais quand même du bien aux hommes. Qu’ils viennent d’un endroit ou d’un autre, tous ceux qui gravissent cette montagne, se reposent en prenant le frais quand ils passent ici. Mais dès qu’ils sont reposés, ils me donnent de grands coups de leur coupe-coupe. « Les bienfaits ne sont jamais récompensés. »
Le voilà bien embarrassé…
- Oui, eh bien, moi, je vais consulter encore, dit le gars.
- Mais fais vite avec tes consultations, lui dit le Serpent ! J’ai vraiment tellement faim !
Ah, il était bien ennuyé… Il a marché, notre gars, il a marché, marché… et arrivé un peu plus loin, il a rencontré la Chienne. Et cette Chienne avait des petits. Elle lui a dit :
- Nouvelles, l’ami ? Quant à moi, je suis épuisée par ma tâche de mère. Le peu de tanrecs qu’on trouve, c’est l’Homme qui les mange, qui les fit griller, et moi, telle que tu me vois, je vais chercher encore…, un peu à manger, ne serait-ce que des os !
- De mon côté, pas de nouvelles, reprit le gars, si ce n’est que je suis allé à la chasse aux tanrecs, et que, en cherchant des tanrecs, j’ai rencontré le Boa, qui avait suivi avant moi la piste des tanrecs. Il en avait mangé, et après en avoir mangé, il s’était laissé bloquer sous une pierre. Et c’est au moment où il était bloqué sous cette pierre, que je suis arrivé, à la recherche des tanrecs.
Je lui dis : - Qu’est-ce qui t’arrive ? Il me répond : - Je suis bloqué par cette pierre ! S’il te plaît, délivre-moi. - Ah, c’est donc ça ? - Oui. Je l’ai délivré, et une fois délivré ; il me dit : Tu m’as fait du bien, or « les bienfaits ne sont jamais récompensés », alors je vais te manger, voilà deux jours que je n’ai rien mangé. Je vais te manger ! Je lui dis : - Comment, mon ami, moi qui t’ai fait du bien, tu vas me manger ? (C’est l’Homme qui parle.) - Oui, je vais te manger. Alors je lui dis : - En attendant, je vais d’abord consulter.
Je pars, et je trouve la Vache, qui me salue. Je réponds à son salut, et je lui dit : - Moi que tu vois ici, j’ai trouvé le Boa, bloqué sous une pierre, et je l’ai délivré. Une fois délivré, il me dit qu’il va me manger. Mais je veux d’abord consulter, et c’est là-dessus que je t’interroge, toi, la Vache. Alors la Vache me répond : - Eh bien, moi, j’ai été à la source de toute la richesse de Grand-Seigneur son cheptel, ce sont mes petits. Et maintenant je suis vieille, et il va me manger. Si ce n’est que de moi, le boa peut te manger ! Voilà ce que m’a dit la Vache.
J’ai voulu encore consulter, et je suis allé sur cette montagne, où j’ai trouvé le Manguier. Le Manguier m’a demandé de mes nouvelles. Je lui ai répondu : - Pas de nouvelles, si ce n’est que j’ai délivré ce Boa, et une fois délivré, il me dit qu’il veut me manger, que je lui ai fait du bien, que « les bienfaits ne sont jamais récompensés ». Voilà ce qu’il dit : Oui, je vais te manger, mon ami !
Alors, voilà ce que le Manguier m’a répondu : « Moi aussi, je fais du bien, l’ami. Les hommes, quand ils viennent de ce côté de la montagne, quand ils passent ici, bien fatigués, ils se reposent ici en prenant le frais. Mais une fois reposés, ils me donnent de grands coups de couteau avant de s’en aller. Et ceux qui viennent de l’autre côté, c’est pareil. Tu viens me consulter là-dessus, eh bien voilà, mon ami : « les bienfaits ne sont jamais récompensés », alors, mange-le : Voilà ce que le Manguier a dit au Serpent.
- Ouah ouah, dit la Chienne, c’est donc ça ?
- Eh oui !
- Eh mais, l’ami, c’est bien surprenant une affaire comme celle-là. On fait le bien, et à la fin on est mangé ! C’est là ton point de vue ? J’en suis bien surpris. De toute façon, voici l’idée que je vous propose : toutes ces choses, vous me les racontez, mais moi, je n’en ai rien vu. Donc, ce que je demande, c’est que nous revenions à l’endroit où tu avais été bloqué sous la pierre, et là, nous aviserons sur la question. C’est une sorte de choses que je n’ai jamais vue jusqu’à présent. Comment as-tu fait pour être bloqué sous cette pierre ?
- Oh, la pierre est toujours là-bas.
Ils sont retournés sur leurs pas, depuis l’endroit où ils avaient rencontré la Chienne. Ils ont couru, couru, couru… Une fois là, la Chienne demande :
- C’est ici que tu as été bloqué sous la pierre ?
- Oui.
- C’est bien ici ?
- Oui.
- Bon, nous voyons de quoi il retourne, dit la Chienne. Mais il faut que j’étudie d’abord la situation avec l’Homme.
Le Serpent est resté ici. La Chienne et l’Homme sont allés un petit peu plus loin. Et la Chienne a dit à l’Homme :
- Ce Serpent, il veut te jouer un mauvais tour. Alors, tu vas prendre un levier. Tu as bien toujours le levier qui t’a servi hier à le délivrer ? Et moi, je vais lui dire de nous montrer comment il avait pu se laisser bloquer par la pierre. Tu soulèveras cette pierre avec le levier, et je lui dirai de se glisser dessous. Je lui demanderai ; - C’est comme ça que tu étais quand tu as été bloqué ? Quand il dira : - Oui, à ce moment-là tu n’auras qu’à laisser retomber la pierre, et nous prendrons la fuite ensemble, parce que, c’est vrai, celui-là, il veut te jouer un mauvais tour !
- D’accord, dit l’homme.
Eh ils sont revenus à l’endroit où le Serpent les attendait. La Chienne a dit :
- Oui, ce que tu as dit est sans doute vrai, que tu étais bloqué là-dessous. Mais moi, je n’ai pas vu de mes propres yeux la manière dont tu t’y étais laissé bloquer. Et comme je ne l’ai pas vu de mes propres yeux, je te demande de me montrer un peu comment tu t’y étais pris. C’est ça que je voudrais voir.
(La Chienne se tourbe maintenant vers l’Homme :)
- Et toi, prends le levier, et soulève un peu la pierre sous laquelle le Serpent était bloqué.
- Oui, dit le gars, ça c’est une chose que je peux bien faire. Je lui ai déjà rendu service, je peux bien faire encire ça pour lui ? oui je le ferai.
Alors notre homme a pris un levier, le même levier dont il s’était servi pour délivrer le Boa quand il était bloqué ; il a soulevé la pierre avec le levier. Et la Chienne a dit :
- Rentre un peu dedans !
Le Boa est entré dedans.
- Tu avais été bloqué à quel endroit exactement ?
Le Boa est entré jusqu’à l’endroit exact où il avait été bloqué.
- Maintenant, lâche, dit la Chienne !
Alors, le gars lâche l’énorme pierre, qui retombe sur le dos du Boa.. Et ils s’en vont tous deux, l’Homme et la Chienne. Et le Boa est resté là, à se tortiller, à se démener, rien à faire ??? Finalement il est mort sur place.
Et c’est depuis ce temps-là, à ce qu’on dit, que partout où il y a des hommes, toujours il y a des chiens. Ce n’est pas pour rien que partout où il y a des hommes, il y a des chiens : c’est parce qu’ils leur ont fait le bien. Sans la Chienne, notre gars aurait été tué.
C’est depuis ce temps-là que les hommes élèvent des chiens. Avec les chiens, on peut aller à la chasse aux tanrecs, et puis c’est la Chienne qui a tiré notre gars de sa détresse, quand il allait être dévoré par le Boa.
C’est l’histoire du Boa et de l’homme ? voilà mon conte…
Si c’est mon conte, si c’est mon conte,
Puisses-tu être sec, toi, le temps !
Si ce n’est pas mon conte, si ce n’est pas mon conte,
Oh alors, puisses-tu donner de la pluie demain !
Fulgence FANONY
Le tambour de l’ogre
Littérature orale Malgache
tome 2
L’Harmattan