Conte: Le chat et la tortue - Raymond DECARY
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Le char et la tortue
Conte Bara, recueilli à Ankiliabo, district de Manja
Le chat et la tortue étaient, dit-on, deux grands amis inséparables et étaient des commensaux de demeure.
Ils vivaient dans la forêt et se nourrissaient de petites bêtes qu'ils trouvaient.
Poussés par la faim et la fatigue, ils voulaient s'apprivoiser au village voisin.
Mais avant de se rendre au village, ils trouvèrent un moyen de vivre honnêtement.
« Nous, disait le chat, faisons une rabane pour être vendue au marché, et avec le prix de laquelle nous achèterons de la viande.
- Volontiers », disait son compagnon.
Ils tissèrent la rabane, mais quand celle-ci fut faite, le chat partait le premier pour la vendre au marché. Mais il fut poursuivi par les habitants en souvenir des vols manifestes qu'il faisait auparavant dans chaque village.
Il se retirait et vint trouver son ami.
« Moi, dit la tortue, j'irai la vendre au marché ».
Arrivée au marché, elle vendait leur tissu à trente centimes qui servirent à acheter de la viande. Elle partait en emportant la viande dans la forêt.
Ils mangeaient (2), mais son compagnon rusé disait :
« Il fera nuit, le soleil va se coucher bientôt. Posons notre viande sur les branches de cet arbre, pour qu'un animal plus fort ne puisse pas nous l'enlever.
- Mais, dit la tortue, je ne sais pas grimper ; ce travail sera pour toi seul. Tu as raison de penser ainsi ».
Le chat portait leur proie en grimpant sur l'arbre et la posa sur les branches.
Alors il ne voulait plus descendre, il mangeait tout seul la viande et ne songeait à rien donner à son compagnon.
Ne sachant pas grimper, la tortue restait au pied de l'arbre, demandait sa part, mais le chat ne voulait pas.
Découragée d'un pareil ami : « Bien ! », dit la tortue tout bas, et elle se déplaça en rampant vers un autre lieu, morte de faim.
A quelque distance, elle trouvait des kitobola (3), grandes guêpes, les plus renommées à cause du venin de leur piqûre, qui peut même tuer un être peu robuste.
Le chat, après s'être rassasié et avoir épuisé toute leur nourriture, descendait et suivait la trace des pieds de la tortue.
Celle-ci était restée au pied de l'arbuste où se trouvent les kitobola.
Une fois arrivé, ils se faisaient les salutations d'usage et le chat disait :
« Que fais-tu ici, mon cher ami ?
- Moi, dit la tortue, je travaille maintenant chez notre Dieu ; il me fait garder cette grande cloche rouge de couleur dorée (4) ».
Mais le chat ignorait ces bêtes et ces insectes et croyait que c'était vraiment une cloche.
« Et je suis payée à deux mille francs » dit la tortue.
Le chat, d'un cœur jaloux, faisait des paroles grossières pour mettre son camarade en colère, mais la tortue restait sans parler.
Et le chat, jaloux de son travail, chercha encore plusieurs chicanes et il parvint à renverser la tortue et il l'enlevait de sa place par violence, croyant que cette tortue était payée par le Dieu, mais c'est une duperie que la tortue a formée pour se venger.
La tortue partait alors en disant :
« Cette cloche ne sonnera jamais aux jours ordinaires, sauf le dimanche au matin. Prenez garde, mon cher ami, car une malchance vous surprendra à ne pas suivre mes conseils. Il ne faut pas sonner cette cloche avant le dimanche matin pour ne pas être puni impitoyablement par le Dieu.
- Mais quelle punition, mon cher ?
- Je ne sais pas, mais prenez garde dès maintenant.
- Bien, répondit le chat, mais par quelle branche pourrai-je tirer cette cloche ?
- Par la branche où elle se trouve en quantité (5), et en même temps, n'oubliez pas d'ouvrir vos yeux et votre bouche le plus largement possible, car c'est à ce moment que le Dieu va vous payer et vous donner une vive joie ».
La tortue partait ensuite.
Le chat, trompé par son ami, restait sans bouger à son travail à partir du jour où la tortue était partie ; c'était lundi, jour du départ de la tortue.
Et il ne pensa qu'à l'arrivée du dimanche, pour qu'il sonnera cette cloche le dimanche au matin. Les jours suivants, le chat restait et dormait de faim (6). Ne pouvant pas résister à l'arrivée de cette date, le samedi à deux heures, il appelait quelques animaux pour assister à la sonnerie de cette cloche.
A six heures du soir du même jour, il prétendait que c'était dimanche, d'après sa coutume.
Il tirait la branche qui se remuait vivement et les guêpes s'envolaient et tombaient justement à la figure du chat et sur son corps entier.
Il s'était évanoui et était même à l'agonie.
Il fallait plusieurs heures pour qu'il reprenne la vie, et en le voyant se débattre, tous les animaux se sauvaient de crainte d'être punis aussi par le Dieu.
Mais après quelques heures de son évanouissement, il reprenait vie, se levait mollement et en respirant très difficilement.
Pour poursuivre son rival, il suivait les traces des pattes de la tortue.
Mais la tortue, voyant que le chat venait avec colère, trouva de suite une ruse. Elle fait semblant de tenir un rocher et appuyant son dos sur le bas du rocher pour l'empêcher de ne pas s'écrouler, et disait aussi : « C'est mon travail ».
Le chat, emporté de colère, voulait tuer son ami.
« Seigneur, dit la tortue, quel motif, mon cher, pour agir ainsi ?
- Vous m'avez trompé, diable rampant, disait le chat d'une vive voix, puisque tu me faisais garder des êtres qui me causaient des douleurs et finiront par me faire mourir.
- Mais, dit la tortue, peut-être vous n'avez pas tenu compte des précautions que j'avais recommandées dans votre intérêt ? Je vous prie donc, avant de mourir, de me raconter ce qui se passait pendant mon absence.
- Moi, je n'ai pas tenu compte de vos indications, et j'avais tiré la cloche le samedi à six heures du soir.
- Ah, mon cher ami, disait la tortue toujours courbée et les pattes tendues en avant en empêchant le rocher de s'écrouler, vous vous êtes trompé puisque c'est le dimanche le jour faste. C'est la punition de votre négligence que le Dieu vous a infligée, en sonnant cette cloche sans raison et avant le dimanche».
Le chat restait inquiet et finit par dire : « Vous avez raison ».
Il se mettait à rigoler avec son condisciple, mais pensant encore à usurper son nouveau travail.
Un instant après, il disait :
« Quitte donc ce travail !
- Mon ami, disait encore la tortue, ce travail me coûte très cher (7) puisque c'est encore à cinq mille francs que je suis payé par le bon Dieu. Je refuse car vous ne tenez pas compte de mes conseils, et je vous prie cette fois de me laisser, car je vous ai déjà accordé mon premier travail.
- Non, non, non, disait le chat.
- Avant de me faire quitter ce travail, disait la tortue, il faut répéter sans arrêt la chanson que je venais de faire avant votre arrivée.
- Laquelle ? disait le chat.
- Meo ! Meo ! cri du chat en miaulant ; c'est une forme de demande (8), et ne quittez qu'après un mois.
- Oui, répondit le chat ; je suivrai maintenant vos recommandations et vos conseils ».
Le chat, trompé par la tortue, se mettait à remplacer son condisciple, s'asseyait en courbant le dos, les pattes en avant, et s'appuyait fortement sur le bas du rocher pour l'empêcher de tomber.
Il continuait son travail mais avait faim, veut se retirer brusquement de sa place, mais en regardant le sommet du rocher qui semble tomber vraiment, il restait en se lamentant.
Avant de mourir, il disait : « Maudit soit celui qui, parmi mes enfants ou mes descendants, ne tuera pas la tortue s'il la rencontre ! Qu'il soit puni de mort ! »
Depuis lors, dit-on, la tortue ne vivait plus dans la forêt et se cachait dans l'eau, de crainte d'être tuée par les descendants du chat.
Et c'est pourquoi jusqu'à aujourd'hui, le chat ne cesse pas de dire : Meo ! Meo ! ; cela veut dire : Donnez-moi ce travail, donnez-moi !
C'est pour le souvenir de son travail qu'il le demande encore, et s'asseoit en courbant le dos et posant ses pattes de devant en avant de peur qu'il sera reproché encore par le Dieu de ne pas continuer ce travail.
Et c'est pour cette raison que le chat et la tortue sont des adversaires.
Notes :
(1) On verra par le contexte que, dans la croyance légendaire locale, la tortue d'eau dérive de la tortue terrestre ; c'est cette dernière qui est l'héroïne du conte. Il est à remarquer que, de nos jours, chez les Antandroy et les Mahafaly, les tortues terrestres sont fâly, interdites et qu'on s'abstient d'en manger, alors que les tortues palustres sont considérées comme un mets recherché.
(2) Ils mangeaient seulement une partie de la viande.
(3) Kitopa signifie guêpe ; kitobola est la « guêpe d'argent », variété indé- terminée d'hyménoptère piqueur vivant en société. A côté des abeilles, et dans l'importante famille des Vespidés, les Belonogaster au corps très allongé, à l'abdo- men longuement pétiolé, sont redoutables par leurs piqûres. Ils forment des colonies d'une douzaine d'individus et confectionnent des nids papyracés sus- pendus aux branches par un mince pédoncule.
(4) Il s'agissait du nid aérien de l'hyménoptère.
(5) Où se trouve la masse du nid, avec toutes les guèpes.
(6) Qui dort dine, dit un proverbe français.
(7) Me rapporte beaucoup d'argent.
(8) Omeo, donne. Correspond au « miaou » du chat
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY