Conte: Le dupeur Mandrongay - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

Le dupeur Mandrongay

Conte Bara, recueilli à Benenitra

 

Il y avait autrefois, d'après le conte du père de famille, une jolie jeune fille appelée Faravavy. Elle était la fille unique d'un homme royal appelé Rajatovo (l). Presque tous les jours, les jeunes gens venaient tour à tour dans le foyer paternel de Faravavy pour demander la main de la jeune fille en mariage. Malgré son âge de dix-huit ans, elle refuse carrément d'être épousée par l'un de ces jouvenceaux. Chaque jour il y a toujours, dans la maison de son père, quelqu'un qui vient demander à épouser la fille de ce roi à cause de son caractère ferme et de sa gentillesse réputée.

Inopinément vint du Sud, de son village, le dupeur Mandrongay, avec des jolis lambas, une paire de boucles d'oreilles en or (2), et avec un joli chapeau en feutre. Il entra dans la maison du père de celle-ci et dit respectueusement, après les salutations d'usage :

« Je suis venu ici pour vous demander des enfants ; je désire épouser votre fille Faravavy.

- Oh, dit le père tout bas, oui je suis le père de celle-ci, mais vous devez d'abord vous adresser à la fille, et si elle veut se marier avec vous, moi, le père, je serai également de son avis. Je n'oblige pas ma fille à se marier ; seulement je suis toujours sa volonté ».

Alors celui-ci était venu chez la fille pour lui demander sa main afin qu'elle contracte avec lui le mariage. En apprenant ses dires, la fille Faravavy était déconcertée ou ahurie, et c'était le moment décisif pour elle de contracter le mariage avec quelqu'un, car elle savait exactement qu'elle était nubile. Alors la fille répondit : « Moi, dit-elle, je ne refuse pas votre demande, je l'accepte ».

Celui-ci était venu porter la parole de la fille au père. Et alors le mariage était conclu. Alors son futur bru (3) a pris un bœuf qu'il a tué à l'est du village de son beau-père ; et ce dernier se tenait debout devant tous les habitants avec un bol plein d'eau avec sa main droite, et apostrophait aux ancêtres et à Dieu.

Ce bœuf tué ainsi marque que le mariage est fini

Et après quatre jours, celui-ci a eu l'idée d'emmener sa femme chez lui pour rejoindre son foyer natal. Celui-ci demeurait dans un terrier (4) ou une cave se trouvant au sein de la forêt inextricable. Il dupait le roi Rajatovo, car au lieu d'être un vrai homme sage, il était un cannibale très avide de n'importe quelle chair. Il ne prenait comme aliments que des hommes, des anguilles, des serpents, des boas et des hérissons qu'il mangeait sans être cuits.

« Mangez, dit-il, ce que vous préférez, et laissez de côté ce que vous ne préférez pas ».

Sa femme a eu peur et a eu l'idée, un jour inopiné, de prendre la clef du champ pour rejoindre le village de son père.

Un jour, Mandrongay était allé dans la forêt pour chercher des nourritures, et c'était justement durant cette absence que sa femme prit la fuite.

Elle était venue au loin, et vit un arbre et dit en montant sur ce dernier : « Si vous voulez me sauver, et si vous êtes un ray amadreny (5), allongez-vous à plusieurs centaines de mètres de hauteur ».

Et l'arbre s'allongeait ainsi.

Subitement Mandrongay arriva avec ses compagnons très avides de chair.

Au sommet de l'arbre, cette femme urinait, car elle avait grand peur, et Mandrongay et ses compagnons dirent : « Oh ! Elle est déjà grasse ; voyez-vous, mes amis, la graisse tombe çà et là ».

Et Mandrongay a désigné un de ses compagnons pour rebrousser chemin pour prendre des haches (6).

Le désigné a refusé : « Vous me trompez, dit-il, car vous devez manger quelque chose de gras, et vous m'éloignez ainsi pour une longue commission ».

Alors ils ont tous rebroussé chemin pour cette question de hache.

Cette femme descendit de l'arbre, et en moins de rien elle regagnait son village natal.

Après un jour, Mandrongay y était venu. Arrivé là, son beau-père lui a offert de l'alcool attestant qu'il était content de le revoir, et buvons ensemble. Une fois soûlé, celui-ci l'a assommé à coups de sagaie (7) et il finit par mourir.

Voilà pourquoi, dans ce pays, le père de famille est obligé de forcer sa fille à se marier avec quelqu'un de sa connaissance, ou, le plus souvent, avec quelqu'un de sa parenté, car ce conte s'est conservé jusqu'à présent.

 

Notes :

(1) Comme le précédent, ce conte appartient au cycle de Zatovo.

(2) Dans le Sud, les hommes portaient autrefois assez fréquemment des anneaux d'oreilles. Cette coutume a disparu de nos jours. Le fait que les anneaux de Mandrongay étaient en or semble indiquer que celui-ci voulait faire croire qu'il était de sang royal. L'or, autrefois, avait en quelque sorte un caractère divin, et son usage, dans le sud de Madagascar, était réservé aux rois et aux princes.

(3) Le narrateur veut dire : le futur gendre.

(4) Cavité souterraine, grotte.

(5) Ray aman'dreny, père et mère, c'est-à-dire un bienfaiteur, celui qui remplace les parents, les principaux chefs civils d'un Etat ; terme honorifique donné au peuple. Cette expression, employée ici à l'égard d'un arbre, le personnifie en quelque sorte, puisqu'il va devenir le bienfaiteur de la femme.

(6) En vue de couper l'arbre sur lequel était grimpée Faravavy.

(7) Il va sans dire qu'on ne peut assommer un individu à coups de sagaie. Quand des gens malfaisants comme des mpamosavy (jeteurs de sorts) ou des mpakafo (prenenrs de cœurs) sont assommés, c'est à coups de pilon à riz.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article