Nouvelle: Le Grand Vent qui tourne
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Le Grand Vent qui tourne
Donc, cette nuit-là, les âmes des Rois, dans leur voyage sacré, devaient passer par la Longue-
Colline, selon les paroles de l'Annonciateur; les peuples attendaient avec angoisse, car il n'est pas bon que les morts reviennent si nombreux parmi les vivants. Dans le village, pendant que montait de l'horizon la lune croissante d'Alakosh, nul ne dormait ; presque tous, accroupis devant les corbeilles où reposaient les Idoles, faisaient brûler la résine odorante du Râmy, et invoquaient les Ancêtres proches, dans le coin Nord-Est des cases.
Or, à l'heure où l'on déroule les nattes pour le repos, l'air calme fut soudain troublé, d'épais nuages voilèrent la face de la lune, un très fort vent souffla du nord, et de larges gouttes de pluie commencèrent à tomber. Alors les chiens hurlèrent, comme si des ennemis approchaient du village ; les oies se mirent à caqueter ; les bœufs s'agitèrent et mugirent dans les parcs les poules, sur le faîte des cases, gloussèrent en grattant le chaume les chauves-souris géantes qui mènent leur danse la nuit autour des kapoks, s'envolèrent d'un seul vol, en jetant des cris aigus les enfants, réveillés dans leur premier sommeil, pleurèrent sans savoir pourquoi, et les corps des hommes braves se couvrirent de la sueur d'angoisse car tous, bêtes et gens, sentaient venir les Invisibles.
Les âmes des Rois, comme une bande de guerriers se ruant dans un village, tourbillonnaient avec le vent sur la Colline-longue, les arbres se courbaient sous les rafales, les claies des cases étaient secouées violemment comme si de l'extérieur on tentait de les arracher.
Maintenant le vent paraissait souffler de toutes les directions à la fois des branches, arrachées aux Kapoks et aux manguiers, tombaient sur les toits.
- Le Grand-vent-qui-tourne. dit l'hôte de Ralahy. C'est un signe funeste quand il souffle les âmes des Seigneurs d'autrefois vont détruire les cases et emporter les hommes.
Soudain la claie s'écarta quelqu'un parut dans l'ouverture, cramponné des deux mains au poteau de la porte. A ses cheveux roulés en boules sont attachés des talismans enfermés dans les bouts de cornes ornés de perles; un coquillage blanc pare son front; à sa ceinture pend le Bétal, amulette efficace dans les jours de guerre elle est faite de sept dents de caïman montées sur une armature d'argent sept incisives de Rois défunts y sont incluses dans la bataille, elles précèdent les descendants de la Race, pour mordre la force de l'ennemi.
Ralahy reconnut le Maître-du-sacrifice, grand prêtre du village. L'homme jeta un regard haineux sur l'Imérinien, et dit :
- La colère des Rois s'appesantit sur nous elle a suscité contre la Longue-colline le Grand-vent-qui-tourne. II faut une vie humaine pour expier les Interdictions violées. Les Devins, assemblés dans la case royale, ont entendu les voix des Esprits qui hurlent dans la tempête. L'homme qui n'est pas de notre Race, l'étranger venu des pays d'en haut a cueilli les rameaux sacrés de l'Arbre-qui-ne-se-dessèche-jamais. L'étranger doit mourir.
Le prêtre disparut, laissant la claie entr'ouverte. Le vent s'engouffrait dans la case, rabattait la grande flamme rouge de la graisse brûlant dans la cupule de fer. Le vieux, accroupi dans un coin, avait ramené sur son visage un pan de son lamba, comme pour ne pas voir les choses qui allaient s'accomplir. Soudain dans la lampe la graisse s'éteignit; mais les éclairs zébrât le ciel illuminaient tout de clartés intermittences. Ralahy se jugea perdu. Sa main se crispait sur deux fers de sagaie inutiles, noués en un pan de sa ceinture, et ses regards cherchaient les deux hampes en bois dur, déposées à l'arrivée dans un coin de la case. Eût-il le temps de préparer ses sagaies, à quoi lui serviraient-elles contre tout un village? Pourtant il était jeune, et douce est la vie ! Mais le malheur tombe sur les hommes plus vite que la nuit, et les jeunes gens sont exposés à la mort, aussi bien que les vases de terre neufs à la brisure.
L'Imérinien s'accroupit, s'enveloppa tout entier dans son lamba blanc, et attendit muet et résigné l'inévitable. Il ne songeait plus ni à Randriambéhâi'e, le talisman protecteur de la Race, caché sous ses vêtements, ni à son père Ralambe, qui vainement l'attendrait au Pays-d'en-haut, ni aux filles au beau corps, qui rassasient les hommes d'amour, pendant que croissent et décroissent les lunes. ti ne pensait à rien, pareil au bœuf gisant, les pattes liées, et privé de sa force.
Soudain la rage de la tempête redoubla; les arbres déracinés craquaient au milieu des sifflements du Grand-vent-qui-tourne; des toits de cases, emportés, allaient démolir d'autres cases. Ralahy sentit qu'une force irrésistible secouait les poteaux et agitait furieusement les parois de roseaux autour de lui. Le toit, d'un seul coup, s'arracha, comme une javelle enlevée par le vent sur la digue d'une rizière. L'Imérinien et son hôte se dégagèrent comme ils purent des frêles claies de roseaux renversées sur eux. Aux lueurs incessantes des éclairs, Ralahy vit tous les grands Kapôks gisant à terre, écrasant sous leurs débris les demeures des hommes. En moins de temps qu'il ne faut à une femme pour remplir sa cruche à la source, le désastre avait été consommé. Autour de l'emplacement de la case, Ralahy aperçut, cramponnés à des poteaux, ou étendus par terre, plusieurs hommes, sans doute venus pour le tuer; quelques-uns avaient des sagaies, dont les pointes luisaient à chaque éclair. Mais ils ne pouvaient avancer, cloués sur place par la terreur des Invisibles et par la force du Grand-vent-qui-tourne.
Ralahy rassembla toute son énergie pour fuir. Il s'élança en pleine tempête renversé, roulé, porté par l'ouragan, il avançait à la façon d'une pierre qui dégringole sur la pente d'une montagne. Les
Sakalaves le regardèrent passer avec épouvante, car de petites flammes bleuâtres dansaient autour de sa tête et s'échappaient de la pointe de ses doigts. Lui-même s'en aperçut et en fut réconforté dans son cœur, car les Etres-épouvantables-qui-rôdent n'allument ces feux qu'autour des vivants qu'ils protègent. Donc les Invisibles, les Esprits des Rois ancestraux l'emportaient loin de ses ennemis, avec la force reconquise de Randriambéhâze.
Il atteignit bientôt l'extrémité de la Longue-Colline, l'antique lieu de la Pierre-blanche, où se dressait l'Arbre-sacré. Aux lueurs des éclairs, il discerna sa masse énorme. La tempête tourillonnait alentour; en bas, la Grande-eau-ronde brillait comme ces boucliers d'argent que portent les prêtres au jour de la circoncision.
Toute la nuit, il courut ainsi vers le Nord, sur les ailes du Grand-vent-qui-tourne; le lendemain, quand la tempête fut calmée, il marcha encore, bien qu'accablé de fatigue il dormit sous un Sako, se nourrit de quelques mangues, marcha de nouveau, en évitant les villages, jusqu'à ce qu'il parvînt en un lieu où le nom de la Longue-colline n'était plus connu.
Il craignait les poursuites des prêtres de la Pierre-blanche, parce qu'il emportait les rameaux de l'Arbre-qui-ne-se-dessèche-pas. Aussi s'écartait-il du chemin habituel, et il disait dans les villages qu'il se rendait à Modzanga, la Ville-des-Fleurs.
Tous les jours, il faisait allègrement de longues étapes, confiant dans son destin, et sûr que se réaliseraient les Sorts favorables annoncés par le Sikidy. Depuis que le feu des Invisibles l’avait touché sans le brûler, pendant la nuit d'épouvante, il se croyait investi d'une part de la puissance des anciens prêtres, il s'enorgueillissait en son cœur, parce qu'il avait vu l'Arbre-qui-ne-se-dessèche-jamais, d'où prenait sa force le Talisman protecteur de la Race, et sans doute au Grand-fossé-rond les arrière-petits-enfants conserveraient sa mémoire, comme on gardait aujourd'hui celle du Seigneur-qui-a-mille-esclaves-pour-le-servir. Il n'avait plus peur des brigands sur les sentiers de la forêt, ni des caïmans au passage des rivières, car la vertu nouvelle de Randriambéhâze le protégeait. Son assurance, dans les villages. lui conciliait la bonne grâce des habitants. Du reste il traversait une région où de nombreux Imériniens étaient venus s'établir, et ses hôtes d'une nuit ne se lassaient pas de lui demander des nouvelles du Pays-d'en-haut.
II visita des terres étranges, telles que n'en avait jamais vues aucun homme de son sang, et il ne se rappelait même pas en avoir entendu décrire de pareilles par les marchands de passage. D'abord il longea l'Eau-sainte, qu'une force mystérieuse élève et abaisse tous les jours. La nouveauté des paysages étonnait ses yeux îles aux blanches falaises, immuables au milieu des plaines mouvantes de la mer bleue, îlots rocheux couverts de brousse, terres basses aux larges plages de sable, bordées de palétuviers, rivières chantantes sinuant au fond de vallons pleins d'arbres vers la Grande-eau. Du rivage, la vue de la Terre est aussi belle sous le soleil encore haut, les collines rougeoient, les vallées étalent la verdure immémoriale des manguiers vénérables, des kapôks aux feuilles étagées, des cocotiers balançant la grâce svelte de leurs palmes !... L'Ile-longue dresse sur la mer ses roches grises hantées par le peuple des oiseaux; l'Ile-verte profile sur l'horizon ses forêts frangées de sable jaune; et, très loin, la ligne bleue des côtes ferme comme un lac la baie de Narinda, au fond de laquelle Antonibé-Ia-Sakalave abrite ses cases au bord des marais.
Les côtes découpées enserrent les golfes tranquilles, et les promontoires baignent dans la mer fleurie de voiles leurs falaises blanches, ou bien se prolongent en d'immenses grèves.
Analalâve, la Forêt-longue, ouvre ses mille cases au vent du large; entre des collines chevelues d'arbres, l'Eau-sainte mêle ses vagues aux flots des rivières venues des montagnes, et les requins voraces y luttent avec les caïmans au dos écailleux. La triple ville apparut un soir à Ralahy, dans le flamboiement rouge du soleil couchant, du haut des collines brûlées par le vent varadrasse ; le village Sakalave, près d'un ravin verdoyant, où coulent les eaux vives, un village de chants et de joie, avec ses groupes de cases encloses dans des barrières de bambous, et les couleurs pittoresques des lambas multicolores, le village des Imériniens et des Betsiléos, où s'érigent les maisons en terre rouge bâties par les hommes du Pays-d'en-haut, et, entre les deux, les demeures des Vazahas, blanches avec des fenêtres brillantes, entourées de palissades, d'arbres verts et de jardins.
La plage et la mer se continuent l'une l'autre, comme la rizière et le marais; l'eau flue et reflue, quitte et reprend les vastes grèves, toutes vivantes de bateaux, de boutres aux couleurs vives, avec un œil énorme peint au milieu de la poupe. Les uns, échoués, à demi renversés sur le sable, semblent se reposer de leurs longs voyages les autres, à l'ancre, attendent l'heure de repartir sur les chemins mouvants de la mer. Ralahy songe aux pays lointains dont leur carène, en abordant, a labouré le sable, et que lui ne verra jamais, aux terres situées dans les régions où le soleil se lève, d'où sont venus autrefois, sur des pirogues à balanciers, les premiers ancêtres des Imériniens. Quand la mer commence à monter et submerge les plages avec les franges d'écume de sa houle, les boutres, gagnés par l'eau, se balancent doucement, puis dansent sur la vague, comme impatients de repartir.
Les boutres, avec leurs voiles rouges, volent, comme des oiseaux aux ailes fauves, sur la vaste étendue de la baie de Radame, semée d'îles à cette mer intérieure les palétuviers font une ceinture verte; leur feuillage très clair et tendre contraste avec les tons brûlés des collines; ils couvrent toutes les plages; leurs racines enchevêtrées baignent tous les jours, quand la marée monte, dans l'eau salée; leurs branches glauques retombent en vagues vertes presque jusqu'à la surface de l'eau; sous leurs dômes touffus, on devine par endroits les grèves jaunes recouvertes tour à tour et découvertes par la mer, et le sel marin, déposé en plaques blanches, çà et là scintille.
Plus loin, le village des Pierres-noires domine du haut de son promontoire la Grande eau-sainte, pleine d'écueils. Les cases grises, entourées de bananiers et de bambous-crosses, se groupent au milieu de roches sombres, à demi cachées sous une luxuriante végétation. La mer brillante luit entre les îles, et, à l'horizon oriental, les hautes montagnes de la Grande-Terre rappellent à Ralahy son pays. En de pareils lieux, toujours baignés de soleil et embrasés de chaleur, l'Imérinien jouit de sa force et de sa jeunesse; la douceur de vivre coule jusqu'en son cœur comme une onde bienfaisante, et fait battre à coups pressés dans ses artères le sang de la Race; il regrette moins l'Imerne et les bois de manguiers où les filles au beau corps, sans défaut, sans reproche, s'offrent et s'abandonnent aux désirs des mates.
Souvent il pense à Ranah, sans dédaigner les autres femmes; car l'amour est comme la graisse bouillante celle-ci se fige quand on l'éloigné du feu; celui-là se refroidit, si on le sépare de son objet. Ralahy goûte, au hasard des nuits, dans l'ombre chaude des cases, l'amour des femmes étrangères…Cependant il garde la nostalgie des ïmériniennes les filles du Pays-d'en-bas ont des attaches massives, un teint noir d'esclaves; presque toutes portent autour du cou un collier de perles blanches et rouges, auquel sont suspendus des talismans. De leurs caresses Ralahy conserve un souvenir étrange, indécis, avec le relent de l'odeur du santal, dont elles se parfument les seins et les bras. Il se rappelle les soirs embrasés, les nuits illuminées de lucioles, il évoque les paysages inconnus où se sont livrées à lui les femmes des races étranges, Sakalaves ardentes à la narine ornée d'une rosace d'or, Makouas de caste servile, aux oreilles déformées par les disques d'argent.
A l'heure où le soleil se couche derrière les îles auréolées d'or d'un grand fleuve tranquille, les eaux s'irisent de lueurs d'opale, les nuages à l'Orient rosissent la cime des montagnes. D'énormes manguiers projettent des ombres longues sur les champs de manioc et les pâturages d'herbe véro. Dans le parc à bœufs une vache meugle, et sur le fleuve, dans une pirogue à balancier, un homme nu pagaie nonchalamment. Ralahy le regarde, mais un bruit de pas résonne sur le sentier, du côté du village. Des femmes, l'une derrière l'autre, marchent d'un pas alerte, portant sur la tête des vases de 'terre rouge, cerclés de lignes noires. L'odeur humide du soir se dégage plus forte de la brousse; le parfum du santal, dont s'imprègnent les seins des filles, se mêle aux effluves puissants de la terre. Les grillons et les insectes nocturnes commencent leur chant, inlassable comme le murmure des rivières; les chauves-souris géantes, voletant autour des Kapoks, jettent leur cri aigu. Un vent chaud et très doux agite mollement les feuilles effilochées des bananiers. Les femmes, tout près du bord, lavent leurs jambes nues dans l'eau claire elles rient et plaisantent, tandis que deux hommes battent le fleuve avec des bambous, pour écarter les caïmans. Ralahy, assis sur la berge, se sent brûlé de fièvre, à voir, à sentir toutes ces chairs de femmes. II ferme les yeux, tâche d'évoquer le sentier au flanc d'une colline rouge, où les filles de sa Race vont puiser l'eau près du Rocher-rond. Mais des images plus proches le hantent il se lève, et s'en va sur le chemin du village attendre les Sakalaves au beau corps, drapées de lambas à fleurs rouges.
Toutes ces visions tourbillonnent dans le cerveau de l’Imérinien, se mêlent, se confondent, se superposent. Il lui semble que depuis une lune il a vécu deux vies, qu'il a quitté depuis des années le village natal, que tout le présent ou tout le passé n'est qu'un rêve, que son double est sorti de son corps pour vagabonder dans les Pays-d'en-bas. Parfois une terreur lui vient si vraiment son corps était resté dans la case du Grand-fossé-rond ! Si son âme vivait toute seule ces aventures extraordinaires! Alors s'imposent à son esprit les histoires effrayantes de ceux dont les doubles n'ont jamais retrouvé les corps et qui dans le tombeau des Ancêtres restent des cadavres tombant en pourriture au lieu de devenir des Ancêtres-parfumés.
Puis un jour il arrive au bord d'un fleuve a l'eau rouge et trouble. Un piroguier lui en dit le nom l'Ikiope. Ralahy se baisse avec ferveur des deux mains réunies en forme de coupe, il puise l'eau natale, la porte à ses lèvres. Oubliées les fatigues ! Disparue la fièvre ! L'eau vivante qui caresse ses pieds a traversé les rizières ondoyantes, au pied de la montagne tananarivienne, et elle entraîne dans ses tourbillons un peu de la terre ancestrale.
Mais la malédiction de l'homme possédé par l'Esprit au village de la Longue-Colline lui revient à la mémoire. Les Vazahas ont profané les tombeaux des Andrianes ; ils souillent les eaux de l'Ikiope les immondices qu'ils y jettent descendent le courant et offusquent les narines des ldoles, habitants du fleuve. Ralahy se rappelle aussi ses injures et celles de son village Ranore, la fille du Faiseur-de-sortilèges, enlevée par un Etranger, Ranah empêchée de venir habiter sa case, parce que son père suit les coutumes mauvaises apportées par les Missionnaires, la Race du Grand-fossé-rond ruinée par le nouvel état de choses, les esclaves partis, les bœufs vendus, les cases écroulées; les maladies décimant le village, les calamités détruisant les récoltes; car les maux s'engendrent les uns les autres, comme les générations des êtres vivants, et la venue des Vazahas est la source de toutes les Infortunes.
A ce moment, un sifflement prolongé retentit sur l'eau, et Ralahy, l'oreille aux écoutes, perçoit le halètement d'une machine. A un coude du fleuve surgit soudain un de ces grands bateaux en fer qui crachent de la fumée et courent sur les eaux sans pagaies ni voiles. Beaucoup de Vazahas sont à bord; plusieurs portent des habits semblables à ceux du ravisseur de Ranore. L'Imérinien, le cœur gonflé d'amertume, suit des yeux le bateau qui fuit. Sous ses vêtements il touche l'Idole Randriambéhâze, protectrice de la Race, et des imprécations montent à ses lèvres
- Puisse le Seigneur-au-nombreux-butin les détruire ! Puisse-t-il les poursuivre, le dur Chasseur, comme le chien s'attache à la piste du sanglier ! Puisse-t-il faire mourir leurs pères et leurs mères, leurs femmes et leurs enfants Que tous se rembarquent sur les grands bateaux sans voiles ni pagaies! Qu'aucun d'eux ne foule plus jamais le sol de l'Imerne 1 »
Mais la canonnière a disparu déjà. Du village voisin des femmes s'avancent en chantant; elles portent sur l'épaule les longs bambous creux pour, puiser l'eau, et elles rient, à cause de la présence d'un étranger. L'Imérinien frivole oublie sa haine en voyant des filles au beau corps pour lui, de nouveau, douce est la vie.
La coutume des ancêtres
Charles RENEL (1866 – 1925)
Editeur P. Ollendorff (Paris) 1910-1925