Conte: Le massif de l’Isalo et Itenika - Raymond DECARY
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Le massif de l’Isalo et Itenika (Extraits)
Recueilli à Ranohira
Presque tous les habitants de Madagascar ont entendu parler de ce célèbre massif, surtout les anciens élèves qui ont appris la géographie et l'ont vu sur les cartes.
Ce qui le rend célèbre surtout, c'est le landibé (1) qu'on y récolte et qu'on appelle le landin'lsalo...
Ce massif est en pierre tendre (2), aussi le voit-on souvent s'écrouler pendant les grandes pluies ou recevant un coup de tonnerre.
Les anciens Bara croyaient que le rocher qui s'écroule est le présage d'une mort prochaine d'un roi Bara.
Si quelqu'un apporte du sel et des nattes en vondro (3) en allant récolter des landy dans le massif, il lui arrivera un malheur ou il sera perdu et deviendra hako (homme sauvage) (4), car il est formellement fâdy de porter ces objets dans ce massif.
Dans ce massif, il y aussi des sentiers tortueux et très difficiles, il y a aussi des vallées très profondes sur lesquelles les gens qui ont récolté les landibé placent un pont, quand elles sont étroites, pour pouvoir les traverser, car il leur faudra deux ou trois jours, s'ils descendent dans les vallées, pour monter une autre colline (5). Dans ces vallées, il y a pour la plupart des ruisseaux très limpides. Un des plus célèbres de ces ruisseaux est celui de Ranohira (l'eau de hira, maki de Madagascar (6-7), mais non pas « l'eau qui chante » comme le traduisent la plupart) au bord duquel Ramihebo père a construit son village qui porte encore le nom du ruisseau. Ce village était construit au pied Est dans la partie Nord du massif, on y voit encore les traces. C'était là que régnaient les anciens rois Bara Bé (8) avant l'arrivée des Français. Dans les vallées profondes de l'Isalo, souvent couvertes de forêts, vivent, dit-on, les haka (hommes sauvages), les songomby (biby omby) (9) et plusieurs autres animaux sauvages (10). Sur les rochers poussent les tapia et les heza (11), nourritures estimées des landibé (vers à soie) qui produisent de bons cocons très épais et renommés dans l'île entière. C'est sur les rochers de l'Isalo aussi que se trouvent les tombeaux des Bara. Les rois et les gens des pays lointains s'y font porter aussi pour s'y reposer éternellement. Ils chérissent cet endroit pendant leur vie et le choisisent encore pour être le repos de leur corps après la mort. Ils choisissent en outre ces lakato (cavernes, grottes, taillées naturellement au milieu des rochers) à cause de leur sécheresse car la pluie ne peut y pénétrer. L'une des plus célèbres de ces grottes est celle d'Andaobatonitenika (la grotte d'Itenika). Itenika est un des contes les plus populaires de Madagascar (12), mais avant d'écrire le conte d'Itenika, je vais donner la description de ces grottes, d'après ce qu'on m'a dit. Sur un plateau au-dessus de la vallée qui porte le nom de Sahanafa (13), il y a une trace d'un ancien village (14), et un peu à l'est de celui-ci se trouvent les grottes qui s'appellent Andaobatonitenika. Etant bien situées, on les voit de loin vers l'est. Les murs de ces grottes sont en pierres blanches bien taillées. On y voit deux ou trois grottes taillées dans le rocher ; il y a aussi un poulailler et des colombiers, creusés aussi dans le rocher. Dans l'une des chambres, on trouve des étagères supportées par des colonnes de pierres, sur lesquelles on voit encore la cruche en pierre d'Itenika. Sur les murs des grottes on voit une inscription ou dessin qu'on ne peut plus lire (15).
D'après ce qu'on voit actuellement, ces grottes semblent un lieu de plaisir pour ceux qui y habitaient autrefois. En les examinant bien, on peut croire que c'était un homme civilisé et étranger qui les a construites. Ce devait être cet homme qui s'appelait Itenika. D'après ce que disent les anciens Bara que cet Itenika est un Blanc (16) qui savait faire beaucoup de choses et avait beaucoup d'ady (gri-gris). Il se maria avec une femme Bara. C'est lui qui était le propriétaire de la vallée de Sahanafa qui est une vallée fertile et un beau pâturage. D'autres disent qu'il y avait un vazaha (17) qui habitait avec sa femme à Fandranarivo à l'ouest de la rivière Malio (18). Il se liait d'amitié avec le roi de ce village. Une fois, le vazaha était allé à la côte ouest pour y acheter des marchandises, il laissa sa femme au village. Comme le Blanc resta longtemps à la côte, on ne savait plus s'il était mort ou il était encore en vie. Le roi prit la dame au nombre de ses femmes. Après quelques mois dans cette union, la dame disait au roi que son mari était un homme robuste et bien fort, et s'il les attraperait dans cette union, il les tuerait tous. Ayant très peur d'être tués par le Blanc, ils s'accordèrent de chercher un endroit sûr pour s'échapper au vazaha, mari de la dame. C'est à Sahanafa qu'ils construisirent leur village avec les sujets du roi. C'était cette dame, dit-on, qui a fait construire ces grottes. Elle a donné le plan et ses sujets ont travaillé. Quelques-uns disent encore qu'il y avait des vazaha venant de l'ouest, suivant le fleuve de l'Onimainty en montant. Arrivés au confluent de la rivière Malio, ils ont suivi cette rivière pour aller à Isalo (19). On prétend que ce sont ces vazaha (Européens) qui ont creusé ces grottes et qui ont donné le nom au massif Isalo et des habitants Bara. Les habitants ne savent pas même la signification de ces deux mots (Bara et Isalo) (20). Il y avait, dit-on, beaucoup de voyageurs de notre siècle qui ont visité ces belles grottes et ont écrit leur nom et la date de leur visite sur les murs.
Notes :
(1) Le ver à soie indigène est connu sous le nom de landibé. Ce nom correspond à plusieurs espèces de Lépidoptères du groupe des Bombycides, notamment aux Borocera madagascariensis et Borocera cajani. Ces papillons sont répandus surtout dans le centre et l'ouest ; leurs chenilles se nourrissent de végétaux divers, ambrevade, pécher, tapia, etc. La fabrication de la soie de landibé était autrefois une véritable industrie nationale dans toute la région centrale de Madagascar, et les Malgaches pratiquaient même certaines méthodes d'élevage des chenilles ; ils utilisaient alors l'ambrevade ou Cajanus indicus comme plante nourricière. Aujourd'hui, on se contente simplement de récolter les cocons sauvages. Le fil de soie est très solide. Les teintures végétales employées pour le colorer sont de nos jours remplacées par des colorants chimiques. Le tissage fournit toute la gamme des lamba ou tissus, qui atteignent des prix élevés, sarimbo, sisindasoa, lamba mena, etc. Les chrysalides sont comestibles ; elles sont frites après avoir été tuées dans l'eau bouillante ; quelquefois même on se contente de les faire cuire sous la cendre. En 1894, sur la table de la Résidence de France à Tananarive, il a été servi dans un repas officiel un plat de chrysalides de Borocera préparé à la sauce Béchamel. Le landikely ou Sericaria mori est notre ver à soie des magnaneries d'Asie et d'Europe ; il a été introduit à Madagascar en même temps que le murier comme arbre nourricier.
(2) Le massif de grès triasique de l'Isalo s'étend du Mangoky à l'Onilahy ; certains sommets atteignent 1500 mètres. Des gorges profondes et étroites entament les strates qui paraissent empilées comme les feuillets d'un livre ; certains canyons n'ont pas moins de 10 à 20 kilomètres de long. Le plus important des cours d'eau est le Sakamarekely, affluent de l'Onilahy. Grâce aux compartimentages créés par les ravinements, les feux périodiques progressent avec moins d'amplitude, et la végétation, notamment celle des tapia, est plutôt mieux conservée qu'ailleurs. Dans les grès, les découpures dues aux agents atmosphériques sont développées à l'extrême, et, dans la roche friable, l'érosion éolienne est venue s'ajouter à celle des eaux sauvages. Aussi peut-on observer les formes les plus étranges qui rappellent, en bien plus important, celles de Mourèze et de Montpellier le Vieux, en France. Pour le touriste, qui est en même temps un peu alpiniste, l'Isalo est, à Madagascar, un massif idéal.
(3) Le vondro ou vondrona est le Typha angustifolia, famille des Typhacées.
(4) En dialecte Bara. Mais en langue Merina, hako a le sens de prétention, , délicatesse.
(5) Exagération.
(6) Maki ou maque est le nom collectif donné aux Lémuriens, qu'on désigne quelque fois aussi, assez approximativement, sous le nom de singes à museau de renard. Presque tous les Lémuriens sont arboricoles ; les uns s'ébattent dans les frondaisons élevées ; les autres, en général plus petits, nichent dans les troncs d'arbres creux. Leur régime est surtout végétarien et frugivore ; quelques uns, tels que les Microcebus, sont insectivores. Ils vivent rarement isolés ; on les voit le plus souvent soit en bandes soit par petits groupes de quatre ou cinq individus. La mère n'a généralement qu'un petit, pour lequel elle montre la plus grande attention. Ces animaux, peu farouches et inoffensifs, à la riche fourrure, sont protégés depuis l'arrêté de 29 mars 1927, qui en interdit la chasse. Ils occupent une large place dans le folklore malgache. Dans certaines peuplades, ils sont d'ailleurs fâdy et il est défendu de les tuer.
(7) Chez les Merina, en effet, le mot hira signifie chant, musique vocale.
(8) Le groupement des Barabé ou Bara Bé descend, comme je l'ai dit précédemment, des Zafimanely. En 1897, Gallieni créait une province autonome des Bara Bé ayant pour chef-lieu Ihosy, et administrée, sous la direction d'un chancelier, par un gouverneur autochtone. Les Bara Bé avaient alors pour roi Ramieba, qui nous était hostile ; il fut capturé et remplacé par son fils Lahitafika. Mais ce dernier, après une apparente soumission, se révolta et il fallut mener contre lui une campagne, en conclusion de laquelle, il fut à son tour fait prisonnier.
(9) La croyance au tsongomby ou songomby pourrait dériver d'un obscur souvenir des petits hippopotames qui, a l'époque subactuelle, animaient les marécages de Madagascar. Mais en tout cas
« Mais ses parents se demandèrent où pouvait bien aller leur fille Ils suivirent sa trace, écoutèrent comment elle appelait, et virent l'être qui sortait de l'eau à sa voix. Ils résolurent de tromper Faravavy. Lorsqu'elle fut de retour à la maison, ils lui dirent : « Ta sœur est bien malade, il faut que tu ailles la voir ». Faravavy partie, ses parents se rendirent au bord de l'étang et appelèrent le gros bœuf comme faisait leur fille. Le mari appela le premier et dit : « Œuf de Tsiketrika ! Œuf de Tsiketrika ! » Mais le bœuf ne bougeait pas car ce n'était pas la voix de Faravavy. La femme appela aussi, mais sans plus de succès. Enfin ils firent appeler Faniviovo, et aussitôt le bœuf sortit de l'eau car la voix de cette fille ressemblait à celle de Faravavv. « Dès que le bœuf fut à terre, les parents de Faravavy l'attachèrent avec des cordes, puis le tuèrent. Au bout de quelque temps, Faravavy revint. Elle salua ses parents ; ensuite elle se rendit à l'étang où demeurait son bœuf °t l'appela comme d'habitude, mais rien ne se montrait. Elle retourna à la maison et, de tristesse, ne voulut pas manger. Et quand elle vit dans la cour les restes de son être, elle alla de nouveau au bord de l'étang et elle chanta : « Sable ! sable ! Avale moi, car mon père et ma mère ne m'aiment pas ». Le sable s'entrouvrit et avala Faravavy. De là viennent les êtres qui demeurent dans l'eau ».
(10) L'existence de ces animaux sauvages paraît bien être une pure légende. L'un de ceux-ci porterait le nom de habeby, mais son existence est plus que douteuse. En dehors peut-être des Lémuriens, il ne semble pas qu'on puisse désormais découvrir à Madagascar de nouveaux animaux de taille importante.
(11) Le tapia est un petit arbre de la famille des Euphorbiacées, Uapaca Bojeri. Le heza est une plante encore indéterminée botaniquement.
(12) Le conte d'Itenika a été relaté plus haut dans ses différentes versions.
(13) Ou Sahanafo.
(14) Sahanafo est un pauvre groupe de paillottes Bara au pied d'un bel escarpement de grès rougeâtre ; il est voisin de la grotte d'Itenika.
(15) Voir dans les notes accompagnant le conte d'Itenika la description de ces grottes.
(16) Comme il a été dit plus haut, cette habitation dût être portugaise ; des fouilles systématiques mériteraient d'y être entreprises.
(17) Blanc, étranger.
(18) La rivière Malio est un affluent du Mangoky. C'est dans sa vallée supérieure, vers l'endroit où elle est coupée par la route de Ranohira à Sakaraha et Tulear, que se trouve le peuplement de palmiers Ravenea rivularis, constitué en site naturel de caractère scientifique, et dont la protection est ainsi à peu près assurée. « Sur plusieurs kilomètres, le cours d'eau est bordé de Ravenea dont les stipes grêles et cylindriques, hauts de 20 à 25 mètres, supportent un panache de feuilles partant en rosette comme une fusée d'artifice'».
(19) C'est cette version qui concorde le mieux avec la nôtre.
(20) Demeuré longtemps énigmatique, le nom des Bara a donné naissance à plus d'une interprétation. Le mot bara signifiant en malgache « simple, naïf », il aurait été d'après certains un surnom donné jadis par les Zafimanely au chef d'une de leurs tribus vassales, qui était d'une grande niaiserie, et se serait ensuite appliqué à toute la tribu. D'autres y ont vu le nom même d'un ancien chef Zafimanely, très courageux et réputé, et qui s'appelait Ibara. Catat estime que la graphie véritable devrait être bahara signifiant sauvages, et que l'appellation aurait une origine Betsimisaraka. Razafintsalama fait descendre le mot de sanscrit barbara, « qui parle indistinctement, niais, sot ». Il semble bien, en fait, que le mot soit africain d'origine, et qu'il puisse être rapproché du nom tribal bantou Mbara ou Mbala, à l'ouest du Nyassa. Telle est en particulier l'opinion de Julien et du P. Testevin. Le mot bantou a le sens de sauvage, cruel, et se retrouve au Soudan sous la forme redoublée de Bambara. L'origine du nom du massif de l'Isalo m'est inconnue.
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY