Conte: Le pêcheur
/image%2F1287026%2F20250117%2Fob_997124_1-a-p-echreur.jpeg)
Le pêcheur
C’était l’histoire d’un homme, un homme qui était un pêcheur, voilà ce que je vais vous raconter.
Ce pêcheur, son père et sa mère l’avaient chassé. Car selon eux, la pêche, ce n’est pas un vrai travail. Et lui…, il ne faisait que pêcher, nul autre travail. Alors, au bout d’un certain temps, son père l’avait chassé :
-Toi, tu ne travailles pas, va-t’en, débarrasse-nous de ta présence, puisses-tu mener vie chétive, avoir un sort mesquin, que rien ne te réussisse !
Voilà ce que lui avait dit son père :
- Dehors ! Va-t’en !
Et qu’est-ce qu’il lui avait donné à son départ ? – Un petit bout de marmite brisée… voilà ce qu’il lui avait donné. Ensuite un tout petit bout de couteau, tout petit. Ensuite une petite casaque en haillons, et un petit drap en rabane. C’était ce qu’on tissait, aux jours d’autrefois, pour dormir dedans. Et on s’en couvrait. On travaillait le raphia…
Voilà donc ce qui, en ce temps-là, était arrivé à cet homme : il avait dû quitter son père et sa mère, pour habiter une petite vallée isolée.
Et il y avait là une large embouchure, où il s’était installé.
Car il n’avait pas abandonné l’occupation qui avait conduit ses parents à les chasser ! Non, il continuait à pêcher. Alors – « ce à quoi on est accoutumé on y reste attaché » - quand c’était l’heure, il y allait. Il allait au bord de l’eau, là où se trouvait la grande embouchure.
Un jour, il arrive au bord de l’eau, et il accroche ses lignes. Et au bout d’un moment il attrape un tout petit poisson. Oh, ce qu’il a attrapé, il le prend !
- Eh bien, pas grand-chose à faire avec ça.
Voilà ce qu’il se disait en le retirant de l’eau.
- Si je lance cette fois encore, et que je ne retire rien, je vais rentrer, se dit-il.
Voilà ce qu’il se disait, se parlant tout seul.
Il lance encore la ligne, et cette fois il sent qu’elle est accrochée, il y a quelque chose qui mord. Et quand il la remonte, apparaît une grande natte. Il s’écrie :
- Holà ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Je n’ai jamais vu ça. Comment ? Quelqu’un qui pêche et qui ramène une natte ? Je vais relancer la ligne, et qu’est-ce que je vais prendre ? Je me le demande bien.
Il met un ver comme appât, et il lance sa ligne. Après un bon moment, un poisson mord à l’hameçon. Mais non, ce n’était pas un poisson, c’était autre chose…
Il tire la ligne. Il voit alors que c’était une grande malle remplie de vêtements. Il la pose à terre. Quand la malle et la natte sont arrivés là, à terre, il reste perplexe, intrigué.
- Voilà bien longtemps que je pêche, mais jamais je n’ai vu pareille chose. Est-ce que c’est une calamité, ou un présage de malheur ? Il reste tout étonné. Une chose jamais vue. Une affaire bien étonnante, dont il ne savait quoi dire.
- Je vais encore lancer ma ligne, pour voir ce qu’elle rapportera, et si je prends encore quelque chose, je rentrerai, dit-il. Je crois bien qu’un être qui peut faire tout ça oserait aussi me prendre, me tuer.
_Il jette sa ligne, après y avoir mis un appât. Après quoi, il attend, tout occupé à sa pêche, perplexe et silencieux. Quand il remonte la ligne, cette fois il y a au bout un gros matelas. Il le dépose.
à terre.
- Holà ! On dirait que ces choses-là pourraient bien être le début de ma richesse ?
Il y a pensé pendant un moment, et puis il s’est dit :
-Non. On n’a jamais vu la richesse sortir de l’eau. Mais, si, au fond, personne ne sait d’où peut sortir la richesse…
Et il a continué à pêcher.
- Tout cela me laisse perplexe…
Il tire de l’eau encore une énorme malla. Ensuite, il pêche encore un coup, et cette fois c’est une femme qu’il tire de l’eau. Il la dépose par terre. Elle lui demande :
- C’est toi, Petit-Ulcères-aux-Pieds ?
La première chose, c’est de parler. Sortant de l’eau, la femme lui parle. Elle lui dit :
- Qui es-tu ?
- Dis-moi d’abord qui tu es, toi ? Je ne te connais pas. Je suis bien étonné de te voir arriver là. Je me demande si tu n(‘es pas venue pour me prendre, pour me tuer…
- Non, je suis venue pour t’aider, dit la sirène, sortie des eaux. Prends toutes ces choses-là, et allons chez toi.
Bon. Ils sont remontés ensemble ! Ils montent, montent, montent… sur la colline où habite le garçon. Quand ils y arrivent, la maison du garçon, d’Ulcères-aux-Pieds, c’était une toute, toute petite maison, avec un toit à une seule pente.
Et quand la femme est entrée dans la maison, elle a vu la petite écuelle brisée qui lui servait à faire sa cuisine. Elle a regardé la cuiller avec laquelle il mangeait… (Et en ce temps-là, il n’y avait pas encore de cuillers en métal, les cuillers étaient en feuilles, je crois bien ;..)
En regardant à l’intérieur, la femme a été bien étonné de cette pauvre bicoque. Bon, pour commencer, elle a dormi. Et cette nuit-là, on ne sait pas ce qui s’est passé, mais pendant que l’homme était plongé dans le sommeil, tout s’est transformé dans le village de Petit-Ulcères-aux-Pieds. Il était bien étonné : ses vilains ulcères étaient guéris ! Vous parlez d’un étonnement ! Et d’une joie ! Joie et stupéfaction à la fois !
- Je ne suis pas né d’hier, se disait-il, mais une chose comme ça, non, ça je ne l’ai jamais vu ! Quelle histoire…
Et la femme lui avait bien dit à l’avance :
- Ne parle pas trop ! Moi, tu ne me connais pas vraiment, mais si tu divulgues ta chance, alors je repartirai : c’est sûr.
Alors le garçon avait répondu :
- Oh, moi, je ne suis pas compliqué. Je ne suis pas compliqué. Et je n’ai pas l’habitude d’aller raconter mes affaires aux gens.
C’était justement ça que la femme ne pourrait pas supporter.
Un jour, Grand-Premier-Né, le frère aîné du garçon, était venu lui demander :
- Dis-moi, d’où te vient donc toute cette richesse ?
- Elle me vient de toutes mes petites misères, tout simplement !
Au bout de quelques temps, il est encore revenu lui demander :
- Dis-moi, d’où te vient donc toute cette richesse ?
- De toutes mes petites misères tout simplement ! Je ne peux pas te l’expliquer autrement. Père et mère m’ont chassé, je ne sais rien de plus.
Ensuite, après cela, voilà le Puîné qui vient, tout essoufflé, tout haletant :
- Hé, petit frère ! Petit frère ! Dit le Puîné.
- Ah non, non, je ne suis plus ton petit frère.
- Mais si, mais si ! Tu es toujours mon petit frère. Dis-moi, qu’est-ce qui t’a rendu si riche, petit frère ?
- Mais rien du tout ! Moi, je ne connais rien que mes petites misères. Il n’y a rien eu d’autre pour m’enrichir, rien que mes petites misères !
Alors, ils ont fait une réunion pour décider comment percer le secret de cet homme, pour savoir ce qui l’avait rendu si riche. Ils ont fabriqué du vin de canne, en quantité, en quantité énorme : ils ont écrasé les cannes, ils ont pris de l’écorce-amère, ils ont mis le liquide dans des dames jeannes. Une fois les dames jeannes remplies de jus de canne, après trois jours de fermentation, le vin de canne était à point…
Alors ils ont invité leur jeune frère. Ils s’étaient fixés une date pour lui poser à nouveau la question.
Et lui, une fois arrivé, il n’a pas refusé pas le vin de canne, une boisson c’est fait pour qu’on en boive… Et il a tapé dedans… ! Ils l’ont fait boire, ils l’ont fait boire, et voilà qu’il commençait à être un peu soûl.
- Eh, petit frère !
Ils n’oubliaient pas leur question, ils lui chuchotaient :
- Eh, petit frère ! Petit frère ! Comment est-ce que tu as fait pour avoir toute cette richesse ?
- Bah ! C’est mes petites misères, mes petites misères, tout simplement, grands frères, répondit le garçon.
- Il n’est pas assez soûl. Donnez-lui-en encore !
Ils lui en ont donné encore, encore, encore, et encore. Il a tout bu. Alors le Puîné lui a encore demandé :
- Comment as-tu fait pour avoir toute cette richesse, petit frère ?
- Ce qui m’a donné la richesse, c’est une chose qu’on faite pour moi les ancêtres. J’avais grandi sans devenir riche. Et c’est la pêche, rien que la pêche, qui m’a enrichi. J’ai pêché une première fois, et j’ai pris une natte. Une deuxième fois, j’ai pris un matelas, et puis une malle. Au bout d’un moment, j’ai encore pêché, et là, j’ai pris une femme.
Cependant, elle, la femme, elle avait tout entendu. Car elle l’avait suivi sans se faire voir. Et lui, il est resté étendu là, complètement soûl, et au petit matin il s’est fait faire un peu de bouillon de poulet pour dissiper les effets de l’alcool. Vous savez, c’était un Richard… Puis il est parti la retrouver. Elle était toujours là.
Et ils se sont couchés, et cette nuit-là, la femme lui a dit :
-Tu n’as pas parlé de moi aux autres ? Oh toi ? Tu as trahi le secret ?
Notre homme se taisait confondu.
- Tu as trahi le secret !
Elle est restée dormir cette nuit-là, (Mais, le lendemain) tout était redevenu comme au temps où le garçon était un petit pauvre : morts, les bœufs, et tout était redevenu comme avant… La petite bicoque avec son toit à une seule pente, et l’écuelle cassée…
Voilà. C’était l’histoire du pêcheur. De riche, il est redevenu pauvre, poursuivi par la malédiction de son père. Et c’est pourquoi, même dans une grande colère, on ne doit pas maudire. Il faut attendre que cette colère soit un peu passée pour maudire. Si tu es trop en colère, ta malédiction ne porte pas sur celui que tu veux maudire. C’est ainsi.
Fulgence FANONY
L’Oiseau Grand-Tison
Et autres contes Betsimisaraka du Nord
Littérature orale Malgache
tome 1
L’Harmattan