Conte: Le roi cornu - Raymond DECARY
Le roi cornu
Conte Antanosy, recueilli à Bezaha, district de Betioky
Il y avait, dit-on, un roi cornu.
Son peuple ne savait pas que son roi avait deux cornes (1).
Il avait un étang dans lequel il se baignait habituellement dans une forêt. Celui-ci avait interdit à son peuple d'aller à la proximité de son étang et surtout de s'y baigner. Il disait à son peuple que toute personne qui sera prise d'y prendre son bain sera condamnée à mort.
Tous ses sujets avaient grand peur de lui et n'osaient pas s'approcher de son étang.
Ordinairement il y avait un de ses sujets qui faisait le métier de chercheur de miel.
Un beau jour, le roi partit pour se baigner dans son étang. Arrivé là, il se déshabillait et il ôtait son chapeau, car il croyait que personne ne le vit. Mais à ce moment le chercheur de miel suivit une abeille pour découvrir sa ruche. Il savait que l'abeille va chercher de l'eau à l'étang du mpanjaka (2), et il s'approcha (3) d'un gros arbre pour bien voir l'abeille de loin. Puis il a vu le roi qui se baignait dans son étang, mais il ne le reconnaissait pas en voyant les cornes. Il croyait que c'était un animal et il restait caché en attendant le retour de l'abeille. Le bain du roi est fini, il sortit de l'eau. Il s'habillait et mettait son chapeau.
Le chercheur de miel, en le voyant vêtu de ses vêtements, a pu reconnaître que c'était le roi qui avait deux cornes par lesquelles il ressemblait à un animal. Il avait grand peur d'être vu par le roi, il se sauvait pour retourner au village.
En route, il se disait : « Ah ! le roi a deux cornes ; c'est épatant tout de même, et c'est pourquoi il défend au peuple de ne pas aller à la proximité de son étang. A qui dirai-je la nouvelle que j'ai trouvée ? (4) Si je la dirai à ma mère, celle-ci va la dire à son amie de confiance ; et celle-ci va la dire à une autre à qui elle a confiance, et ainsi de suite. Donc la nouvelle se répandra et je serai accusé plus tard si le mpanjaka entendra cela ».
En continuant son voyage, il chercha toujours le moyen de pouvoir dire cette nouvelle à quelqu'un, mais il avait peur. Son cœur était malade à cause de vouloir parler de cette nouvelle (5). Il voulut vomir car son cœur était gonflé de peur. Il se disait : « Je vais creuser un trou et j'y vais vomir pour que le vouloir de dire la nouvelle ne m'arrive pas ».
Il creusa un trou et y vomit. Il comblait le trou. A ce moment il se trouvait un peu mieux et n'a plus le désir de dire la nouvelle. Après une semaine, un petit arbre à feuilles de couleur dorée poussait dans ce trou.
Tout le monde, en voyant ce beau arbuste, s'étonnait de sa beauté et disait au roi qu'il y avait un petit arbre au sud du village.
Le roi sortit de sa maison pour le voir. Il fut très étonné de sa beauté et il mentit en disant que c'était lui qui l'avait cultivé.
Tout le monde, en entendant cela, soignait fort bien l'arbre. Celui-ci grandissait vite et prit la forme d'un palmier. Il pouvait atteindre une hauteur de soixante mètres et commença à fleurir et à fructifier. Ses fruits étaient tous, dit-on, de l'or.
Le peuple, en sachant qu'il donnait de l'or comme fruits, avait dit au roi que l'arbre produisait de l'or à son sommet. Le mpanjaka chercha le moyen d'avoir cet or en grand nombre.
Il rassembla ses sujets et leur dit : « Vous devez tous être présents à la récolte des fruits d'or de l'arbre ».
Tout le monde était présent, à l'exception du chercheur de miel qui partait à la recherche du miel dès quatre heures du matin.
Le roi criait en disant : « Comme je suis un célèbre roi et aussi ton propriétaire, il faut que tu t'abaisses à mon ordre afin que je puisse récolter ton or ».
L'arbre ne s'abaissa pas. Il répéta ce qu'il avait dit, mais celui-ci restait tel qu'il était. Le peuple se disait : « Oh ! Il n'est pas du tout son propriétaire ; il ment ».
Le mpanjaka réfléchit sans parler pendant dix minutes et prit cette pensée en disant : « Peuple, peut-être un de vous est le maître de cet arbre, mais il a peur de moi ; donc il faut que le propriétaire se montre devant moi et fasse la façon qu'il emploie pour rabaisser l'arbre ».
Alors chacun des peuples disait : « Si je suis ton vrai maître qui t'a cultivé, abaisse-toi pour que mon roi puisse récolter tes fruits ».
L'arbre ne s'abaissa pas.
Enfin le roi a su que le chercheur de miel n'était pas là, car il le connaissait très bien d'ordinaire. Il disait à son peuple : « Pourquoi le chercheur de miel n'est pas ici ? ».
Ses sujets répondirent : « Sire, nous ne savons pas la cause ».
Le roi disait : « Peut-être c'est lui le maître de cet arbre, et vous devez le prévenir d'aller ici avec vous pour assister à la récolte de l'or. Attachez le avec une corde car il n'a pas obéi à mon ordre».
Le soir, quand le chercheur de miel était revenu, on lui a demandé la cause pour laquelle il s'est absenté. Celui-ci dit :
« J'étais à la recherche du miel, et c'est pourquoi je n'en- tendais pas l'ordre du roi ».
On le porta attaché au roi, et celui-ci a dit qu'il doit être présent à la récolte des fruits de l'arbre avec tout le monde.
Celui-ci accepta et on l'emprisonna d'abord en attendant le départ pour demain.
Demain à huit heures, le roi rassembla ses sujets et leur dit : « Nous allons recueillir les fruits de l'arbre aujourd'hui, car le chercheur de miel est présent ».
Tout le monde se rassembla au pied de l'arbre et le roi dit au chercheur de miel : « J'ai essayé de récolter les fruits de l'arbre et je ne pouvais pas l'abaisser car je ne suis pas son propriétaire ; tous mes sujets aussi ont fait de même à tour de rôle, mais cet arbre restait toujours stable. Donc, si tu es le maître de cet arbre il faut faire la façon dont tu emploies pour l'abaisser, afin que je puisse récolter ses fruits ».
Le chercheur de miel craignait de dire que c'était lui qui était le propriétaire. Il n'a pas répondu à la parole du roi et restait sans bouger comme s'il était évanoui. Le roi le pressa et l'obligea de faire ce qu'il lui avait recommandé.
Alors le chercheur d'or disait : « Il y avait une nouvelle (6) que j'ai trouvée autrefois, mais je n'ai pas voulu la dire à qui que ce soit ; alors le vouloir de dire cette nouvelle m'avait fait mal au cœur et j'ai vomi dans un trou. Une semaine après, cet arbre commençait à pousser et je l'ai vu le premier. J'étais étonné de voir ses belles feuilles de couleur dorée. Enfin je me suis décidé à croire qu'il vient de mon vomissement. »
Le roi lui disait : « Quelle est cette nouvelle que tu ne voulais pas dire à quelqu'un ? »
Le chercheur de miel disait au roi : « Pardon, Sire, je ne peux vous la dire, car si je vous la dirai, je serai condamné à mort ».
Le mpanjaka l'obligeait toujours et le chercheur de miel lui disait : « Un jour où j'étais à la recherche de miel, je vous voyais prendre votre bain dans l'étang et j'ai su que vous avez deux cornes, et c'est cette nouvelle que je ne voulais pas dire à quelqu'un, mais je vous la dis maintenant car vous m'y obligez ».
Le roi était évanoui de honte, mais le chercheur de miel disait encore : « Si c'est vrai que vous avez deux cornes que j'ai vues, revenez à la vie ».
Le roi revivait alors tout de suite.
Tout le monde s'étonnait et voulut tuer le chercheur de miel, mais le roi ne le permettait pas et leur dit : « C'est vrai que j'en ai deux et je veux vous les montrer, car il y avait longtemps que vous ne les voyiez pas car elles sont cachées dans mon chapeau. »
Puis il ajouta : « Chercheur de miel, êtes-vous alors vrai propriétaire de cet arbre ?
- Oui, Sire, car il vient de mon vomissement provoqué par le vouloir de dire la précédente nouvelle, que j'ai voulu cacher dans la terre, mais il se transformait en arbre.
- Si tu es le vrai propriétaire de cet arbre, dis-lui de s'abaisser pour que je puisse récolter ses fruits en or. Si tu pourras le faire abaisser, je te donnerai la moitié de mon royaume. »
Alors le chercheur de miel disait à l'arbre : « Si tu viens de mon vomissement provoquée par le vouloir de parler, et que je suis alors ton propriétaire, abaisse toi pour que mon roi puisse récolter tes fruits ».
L'arbre s'abaissa très bas.
Les sujets du roi s'étonnaient et récoltaient l'or de l'arbre.
Le chercheur de miel disait encore : « Si tu viens de mon vomissement provoqué par le vouloir de parler, remonte toi plus haut qu'auparavant ».
Et l'arbre remontait plus haut qu'il n'était.
Voilà pourquoi, dit-on, on ne peut pas s'abstenir de parler ou de dire quelque chose qu'on a trouvée, quand même elle est mauvaise, honteuse et surtout bonne.
Notes :
(1) Car le roi les cachait toujours sous sa calotte.
2) Roi.
(3) Ou plutôt : il monta sur.
(4) Cette histoire commence un peu à la manière de celle du roi Midas et de ses oreilles d'âne ; on va voir qu'elle a une suite toujours différente.
(5) Il est certains secrets bien lourds à garder, même pour un homme.
(6) Un secret.
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY