Conte: Le roi des oiseaux

Le roi des oiseaux
Fable Merina
Recueillie à Sambaina district autonome d'Ankazobé).
Un jour, dit-on, tous les oiseaux firent un grand kabary pour se choisir un roi.
Beaucoup d’entre eux étaient d'avis de prendre le Voromahery, car, disaient-ils, c’est le plus fort parmi nous, et lui seul est capable de faire hérisser les plumes de tous ses ennemis.
On lui offrit donc la royauté, mais le fier oiseau dédaigna un pouvoir que son bec et ses serres lui donnaient naturellement, et refusa.
On présenta ensuite le goaika, le papango et le hitsikitsika, mais, après de longues discussions, il fut impossible de s’entendre à leur sujet.
Quelqu’un proposa le fody et donna de son choix les raisons suivantes :
« Il est tout à fait différent des autres oiseaux; il leur ressemble en hiver, mais en été il devient d’un beau rouge éclatant. La nature, en le revêtant ainsi d’un manteau royal (i), semble l’avoir désigné à notre choix. »
On se rangea à cet avis.
Voilà donc le fody roi des oiseaux. Son caractère enjoué, sa vivacité, son adresse le rendirent vite populaire parmi les oiseaux. I1 était surtout respecté et aimé par le triste takatra, dont la vue fut toujours protégée pendant le règne du fody.
Mais le proverbe dit : Un arbre élevé est facilement agité par le vent et quiconque est bon a beaucoup d’ennemis. Le fody ne tarda pas à en faire l’expérience.
Le voromahery, furieux d’avoir pour roi un si petit oiseau, fondit sur lui et le tua d’un coup de bec. Puis il se proclama roi ; les autres oiseaux, par crainte, n’osèrent pas protester et acceptèrent la royauté de l’aigle.
Mais le proverbe dit : Le châtiment est là et l’action accomplie retourne contre son auteur.
Le takatra se souvenait des bienfaits du fody, et la méchanceté du voromahery lui était odieuse.
Un jour que le nouveau roi était distrait, le takatra s’approcha doucement de lui par derrière et brusquement lui donna de forts coups de bec; l’aigle tomba, l’autre le crut mort et, l’abondonnant sur la place, s'envola pour convoquer tous les oiseaux.
Quand ils furent réunis en un grand kabary, le takatra prit la parole et leur expliqua comment et pourquoi il avait tué le voromahery. Presque tous l’approuvèrent et beaucoup faisaient cercle autour de la place où gisait la victime.
Mais, tandis qu’ils le contemplaient, voici que celui qu’on croyait mort remua faiblement. Grand émoi parmi les assistants ; quelques-uns s’apprêtaient à l’achever, quand le hitsikitsika prit la parole :
« Je n’essaierai pas de justifier le voromahery; il était méchant et cruel ; il avait l'habitude de prendre par force ce qu’on ne voulait pas lui donner. Le takatra, qui a vengé sur lui la mort du fody, a droit à la reconnaissance des oiseaux. Pourtant nous sommes, lui et moi, fils de deux sœurs; son malheur me touche donc de près, et je vous demande de m’accorder sa vie. Ce sera pour lui un châtiment suffisant de perdre la royauté. »
Les oiseaux ne repoussèrent pas les prières du hitsikitsika et celui-ci s’empressa de donner des soins au blessé.
C’est pourquoi, dit-on, le voromahery ne résiste pas au hitsikitsika, bien que plus petit que lui, mais il fuit devant, se souvenant qu'il lui doit la vie. Au contraire, il déteste le takatra qui l’a attaqué et blessé par derrière, et il ne manque pas une occasion de lui faire du mal.
Les oiseaux se choisirent encore une fois un roi, Le railovy fut désigné : il a une belle voix pour parler dans les kabary: de plus il est de taille moyenne, si bien que ce n'est pas un adversaire négligeable pour les jaloux, et d’autre part il n'est pas assez grand pour faire hérisser les plumes des autres. Jusqu’ici son autorité s’est maintenue sans trop de difficulté; pour remplacer les corvées que d’ordinaire les peuples accomplissent pour les rois, le railovy a le droit de prendre chaque année des plumes d’oiseaux de toutes espèces pour tapisser son nid.
(i) Le rouge était la couleur de la royauté à Madagascar.
Contes de Madagascar
Charles RENEL