Conte: Le sanglier et le caméléon

Le sanglier et le caméléon
Fable Merina
Recueillie à Tananarive (province de Tananarive!.
I.e sanglier et le caméléon, en quête de nourriture, se rencontrèrent, dit-on, au bord d'un canal de rizière. Le sanglier demanda au caméléon d’où il venait et où il allait.
« Je vais chercher de quoi manger, répondit l’autre.
- Comment peux-tu trouver de la nourriture, toi dont le corps est si faible et la démarche si lente? Tu as tort d'errer ainsi. N'as-tu point peur de rencontrer quelque gros animal comme moi et d’être écrasé par l’un de ses sabots.
- Tu as raison, répartit le caméléon, et tout ce que tu as dit de moi est fort juste. Mais veuille réfléchir à ceci : petit comme je suis, j'ai besoin de très- peu de nourriture, c’est pourquoi je me procure assez facilement ce qu’il me faut. »
Le sanglier étonné ne trouva rien à répondre. Le caméléon ajouta :
« Si tu veux, mon aîné, faisons un pari. Ne crois point toutefois que j’aie l’intention de porter un défi à plus fort que moi. C’est un simple jeu que je te propose.
- Soit; puisque tu as cette audace, malgré ta petitesse, je ne reculerai pas, moi qui suis grand et fort. Mais dis-moi quel pari nous allons faire ?
- Ce que tu voudras. »
Ils se décidèrent à faire une course, à qui arriverait le premier au pied d’un arbre qui croissait assez loin de là.
«Je suis prêt, dit le sanglier.
- Attends encore un peu, dit l’autre, que je voie bien le but. »
Et il prit ses dispositions pour pouvoir sauter sur le dos du sanglier. Lorsqu’il eut trouvé une place favorable, il s’écria :
« Partons maintenant, mon aîné. »
En même temps il sauta sur le dos du sanglier, qui partit de toute la vitesse de ses pattes. Quand ils furent arrivés au but, le caméléon se laissa tomber dans l’herbe.
Le sanglier regarda en arrière, persuadé que le caméléon était encore loin.
« Mon aîné, s'écria celui-ci, ne regarde pas en arrière, c’est ici en avant que je me trouve. »
Le sanglier en colère voulut recommencer le pari. L’autre accepta, employa la même ruse et arriva toujours le premier.
Le sanglier était de plus en plus furieux :
« Aucun animal ne m’a encore vaincu; pour me venger, je vais te dévorer.
- Quelle trahison, mon aîné ! N’avons- nous donc pas fait une convention ensemble ?
- Je n’en ai aucun souvenir : je veux te manger.
- Alors permets-moi au moins d’aller prévenir mes parents, car ce n'est plus un jeu que tu veux faire, c’est une affaire d’importance.
- Vas donc, dit le sanglier; je t’attends ici. »
Voilà notre caméléon parti; il rencontra d’abord le tsintsina et lui dit :
« Je vais lutter avec le sanglier; je te supplie de m’aider, car tu es un ami secourable.
- Volontiers, répondit le tsintsina, aie pleine confiance en moi; je serai sur le vero (herbe très haute) pour te regarder. »
Le caméléon vit ensuite le kibobo [caille] et lui demanda le même service; le kibobo promit son concours et dit qu'il serait dans le fossé pour regarder la lutte.
Le caméléon rencontra encore le sorohitra, le papelika, le sahona : à tous il dit la même chose et il obtint même réponse.
Cependant le sanglier s’impatienta et, au lieu d’attendre son ennemi, se mit à sa recherche.
En chemin, il fut aperçu par le tsintsina qui cria:
« Inty! Inty ! »(i) I-e sanglier crut que c’était la voix de l’homme et il passa outre.
Dans la vallée prochaine, le papelika lui cria : « Safaleo ! Safaleo ! » ( 2 ) 11 se sauva plus loin.
Sur le flanc de la montagne, le Kibobo le vit : « Bobo! Bobo ! » (3)
Dans la plaine, le Sorohitra jeta son cri en le regardant passer : « Sorohy ! Sorohy ! » (4)
Comme il traversait la rizière, le sahona coassa : « Reheto ! Reheto ! » ( 5 )
Epuisé de fatigue, le sanglier ne savait plus de quel côté se sauver.
A ce moment passait un homme avec son chien. Ils tuèrent le sanglier.
Le sanglier, si grand et si fort, fut ainsi vaincu par l’intelligence du petit caméléon.
- Le voici ! Le voici !
- Qu'il soit entouré ! Qu’il soit entoure' !
- Pouf ! Pouf !
- (4) Enlevez-le ! Enlevez-le !
(5} Attaquez-le ! Attaquez-le !
Contes de Madagascar
Charles RENEL