Conte: Le Takatra et le Vorondolo

Publié le par Alain GYRE

 

Le Takatra et le Vorondolo

Fable Betsimisaraka

Recueillie à Fampotabé (province de Vohemar).

 

Un jour, dit-on, un takatra et un vorondolo se rencontrèrent au bord d’un lac.

Le takatra venait chercher des grenouilles pour son souper et le hibou des rats pour son déjeuner, car l’un était sur le point de rentrer chez lui et l’autre au contraire sortait pour la première fois de la journée.

Ils se saluèrent mutuellement, engagèrent la conversation et de bonnes relations s’établirent entre eux. « Quel est ton nom », demanda le vorondolo au takatra. _

« Je m’appelle Andriatakabolamanana, répondit le takatra. Et toi, comment t’appelles-tu?»

« Rabelohataona », dit le hibou.

Pour sceller leurs bonnes relations, ils s'invitèrent à dîner réciproquement.

Le hibou reçut le premier; à la date fixée le takatra se rendit chez lui ; mais le hibou n'avait pas de maison ; il habitait un trou de rocher exposé au vent ; et il servit le repas sur la pierre nue. Le takatra, pénétré par le froid, ne put rien manger. Pourtant, comme il avait bon caractère, il dit aimablement bonsoir à son ami, au moment de le quitter. Le vorondolo accompagna le takatra à quelque distance et s’en revint.

Arriva le jour fixé pour la visite chez le takatra.

Le hibou s’y rendit et son ami fut tout fier de le faire entrer dans sa maison bien chaude. Il servit le repas auquel le hibou fit copieusement honneur, tout en bavardant gaiement. Et pourtant son cœur ne désirait pas le bonheur du takatra, car son amour était attaché à la grande maison chaude et il songeait aux moyens de n’en pas sortir. Quelque temps après le dîner, le takatra trouvant que son ami s’éternisait, lui dit :

« Il fait nuit noire, mon camarade. Je vais vous accompagner jusque chez vous. »

Mais l’autre fit semblant de ne pas entendre, et, quand enfin on le pressa de partir, il se mit à grommeler :

« Ainsi tu voudrais rester dans cette bonne et chaude maison, tandis que j’irais grelotter sur la pierre nue. Jamais je ne quitterai cet excellent nid, ou bien il y aura du sang versé. »

Le combat commença donc, mais le takatra eut le dessous; forcé de s’enfuir pour échapper à la mort, il passa tristement la nuit au bord du lac.

Au lever du jour, un héron, qui le vit, s’écria :

« Hia ! Qu’est-ce que tu fais là de si bonne heure, Andriantakabolamanana ? Pourtant tu n'as pas de riz à repiquer, ni de digue à réparer? »

« Ma maison m’a été volée par le hibou, répondit le takatra, et quiconque pourra l’en chasser aura des sauterelles, des grenouilles et un lambamena. »

Tenté par le cadeau, le héron alla jusqu’à la porte de la maison et dit en prenant sa plus grosse voix :

« Qui a expulsé de sa maison Andriatakabolamanana ? Andriatakabolamanana est là-bas, triste et morne, sur les rives du lac. »

« C’est moi qui l’ai chassé, dit le hibou, moi Rabelohataona ; quand je regarde le ciel, il se vide ; mon poids, quand je me perche, fait plier les arbres. »

Et, ce disant, il ouvrit largement son bec. A cette vue le héron, pris de peur, s’en retourna à larges enjambées près du takatra et lui dit :

« Pardonne-moi, cher ami, mais le hibou est invincible. »

Et il s’envola.

Vinrent successivement le papango, le goaika, le hitsikitsika. Ils échouèrent aussi.

Alors le tsintsina vint se percher en face du takatra et, se dandinant sur ses petites pattes, lui cria :

« Tsin ! Tsin ! Tsin ! Qu’est-ce que vous faites là si tristement, Andriantakabolamanana ?»

Le takatra affligé ne répondait mot, car il ne comptait guère sur un si petit oiseau pour lui venir en aide. Mais, devant l’insistance du Tsintsina, il dit :

« C’est Ravorondolo qui m’a pris ma maison et n’en veut plus sortir. »  

« Si je l'en chasse, moi, quelle sera ma récompense? »

« Tu penses réussir là où ont échoué le papango, le goaika et le hitsikitsika ? Quelle folie est la tienne? Tu veux donc, petit oiseau, ne plus jamais manger de sauterelles, et perdre la vie? »

 « Dis toujours la récompense. »  

« Eh bien! si tu le chasses, je te donnerai des sauterelles, des grenouilles et un lambamena. » LeTsintsina se mit en route et devant la fenêtre du takatra il cria :

« Qui fait semblant d’être le propriétaire de la maison d’Andriantakabolamanana, cependant que le pauvre se morfond au bord du lac ?»  

« C’est moi, hurla le hibou ; quand je regarde le ciel, il se vide; mon poids, quand je me perche, fait plier les arbres. Entre donc, si tu veux lutter avec moi. »

Et il ouvrit un large bec, en fermant les yeux, comme quelqu’un qui n’a peur de rien.

Alors leTsintsina entra par le bec ouvert jusque dans l'estomac du hibou et se mit à lui dévorer les entrailles.

Le hibou fut bientôt mort.

Le Tsintsina vola aussitôt près du takatra ; celui-ci fut bien étonné en voyant son ennemi mort ; il traîna le cadavre hors de sa maison et donna au vainqueur son salaire.

Il lui offrit d’abord le lambamena.

« Oh i quand nous mourons, nous autres, nous ne nous enveloppons pas de lambamena; je n’en ai pas besoin. »  

« Voici alors les grenouilles. »

« Je vous remercie infiniment. Les grenouilles sont musculeuses, et mon bec est trop mou. Je ne pourrais pas les manger. »

« Voici donc les sauterelles. »

Le tsintsina joyeux se jeta sur les sauterelles qui étaient bien grasses, et il était content, car il y en avait tant qu’il ne pouvait les manger toutes.

 

C’est, dit-on, l’origine du proverbe connu : Un Tsintsina qui gagne des sauterelles est bien content de les manger, mais il n’a pas assez de ventre pour les y mettre toutes.

 

Contes de Madagascar

Charles RENEL

 

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