Conte: Le tambour de l’ogre

Publié le par Alain GYRE

 

Le tambour de l’ogre

 

Il était une fois, dit-on, un Grand-Seigneur d’autrefois. Ce Grand-Seigneur aussi vivait avec son épouse. Et ce Grand-Seigneur avait eu un premier enfant, Grand-Aîné, puis un deuxième qu’on appelait Puîné, et enfin un Petit-Dernier qu’on appelait Ulcères-aux-Pieds .

Et ce Petit-Dernier, Ulcères-aux-Pieds, il était né attaché à une liane. La liane était comme sa sœur siamoise. Et ils l’avaient élevé. Il était moitié garçon moitié liane. Et ils l’avaient élevé, ils l’avaient élevé. Il avait grandi…, il était devenu grand, vraiment grand. Alors :

- Papa, dit le Grand-Aîné, allons le perdre, ce Moitié-de-Liane. Comment est-ce qu’un homme peut être à moitié liane ?

- Oui, dit le père, puisque c’est ainsi, allons le perdre.

Ils sont partis. Mais lui, il avait entendu qu’on allait le perdre. Et il avait emporté une tige de canne à sucre. Et il la suçait en chemin. Et il en arrachait  l’écorce, et il la jetait sur le chemin. Tout en avançant, il suçait sa tige de canne à sucre, et il jetait les morceaux d’écorce sur le chemin. Et une fois arrivés loin, bien loin, ils l’ont laissé :

- Tu restes là, ici !

- Oui.

Mais dès qu’ils sont partis, il est revenu sur ses pas, en suivant les bouts d’écorce de canne qu’il avait semés le long du chemin. Et en les suivant, il est arrivé jusqu’au village.

- Petit, lui demandent ses aînés, où vas-tu comme ça ?.

- Oh ! Vous m’avez laissé tout seul dans la forêt. Vous m’avez laissé là-bas tout seul, alors j’ai eu peur.

Le lendemain, même chose. Ses frères avaient dit :

- Papa, demain, il faut aller le perdre quelque part.

- Oui.

Et ils étaient paris le perdre une deuxième fois.

            Ils ont marché, marché.. Et lui, il avait emporté du sable, et tout en avançant, il semait un peu de sable, il semait un peu de sable le long du chemin. Quand ils sont arrivés loin de là-bas :

- Reste ici, toi !

- Oui.

            Mais dès qu’ils sont partis, il s’est mis à chercher les endroits où il avait semé son sable. Et, en suivant ce sable, il est revenu au village.

- Où est-ce que tu vas encore , lui demandent ses aînés ?

- Vous m’avez laissé là-bas, tout seul, dit-il. Vous m’avez laissé là-bas dans la forêt. Alors suis revenu.

- Demain, Moitié-de-Liane, nous irons chercher du bois. Mais cette fois, papa a dit que demain tu ne dois pas apporter de sable, tu ne dois pas apporter de canne à sucre !- D’accord.

Et ils l’ont emmené, ils ont marché, ils ont marché, ils ont marché. Et ils sont arrivés loin, bien loin.

- voilà, disent-ils…

Ils sont repartis. Moitié-de-Liane ne pouvait pas retrouver son chemin pour rentrer. Il était là, en train de pleurer, et il n’avait rien à manger. Et pendant ce temps, les autres étaient arrivés à la, et lui, il ne retrouvait pas son chemin pour rentrer.

En errant dans la forêt, il a trouvé une petite vieille. Il s’est approché d’elle. Il lui a dit :

- Grand-mère, mes frères m’ont perdu. Tu vois, je suis à moitié liane, j’ai un côté qui est liane, je suis né comme ça. Et c’est pour ça qu’ils m’ont perdu.

- Ah, lui dit la vieille, reste avec moi. (Et cette vieille était une grande devineresse). Reste avec moi. Nous sommes malheureux tous les deux, nouspouvons rester ensemble.

  Et ses frères là-bas, le Grand-Aîné et le Puîné, ils étaient déjà grands. Leur père leur a dit :

- Eh bien, il y a par là un grand monstre, énorme. Allez le prendre, ce monstre, ce Grand-Monstre-aux-Sept-Langues, allez le prendre !

Il voulait les envoyer à la mort, le Grand-Aîné et le Puîné.

- Oui, père, répondirent-ils. Nous l’aurons. N’aie pas peur, nous le tuerons.

Il leur a donné à chacun un fusil.

Or la vieille les avait déjà vus partir.

- Moitié-de-Liane !

- Oui ?

- Tes aînés arrivent. Ils veulent tuer le monstre. Mais ils vont à leur mort. Il faut que tu ailles à leur secours. Prends ce fusil, va avec eux.

- Oui, dit Moitié-de-Liane.

Ils sont partis tous les trois. Voilà qu’ils aperçoivent l’énorme monstre. A peine l’ont-ils aperçu, que Grand-Aîné et Puîné lâchent leurs fusils et se mettent à trembler de peur. Et sur eux qui venaient d’arriver, le monstre dardait déjà ses langues… Moitié-de-Liane tire, et toutes les langues tombent, tranchées nettes. Voilà le monstre mort. Ilssont rentrés chez eux.

Une fois arrivés, les deux frères disent :

- Vraiment, père, si nous avions compté sur Moitié-de-Liane, nous serions déjà morts ! Quand il a vu le monstre, son fusil est tombé. Si nous n’avions pas été là pour tirer, certainement Moitié-de-Liane serait mort.

- Ah, s’écrie le père, c’est très bien cela ; demain, vous repartirez, il y a un autre monstre, un peu plus loin, un Monstre-aux-Sept-Genoux. Allez lui tirer dessus, et tuez-le.

- Oui, nous le ferons.

Et ils sont partis, d’un trait ils sont partis, Moitié-de-Liane avec eux.

Arrivés là-bas, ils ont trouvé le Monstre-aux-Sept-Genoux. Leurs fusils leur sont tombés des mains. (Je parle de Grand-Aîné et de Puîné. Moitié-de-Liane, lui, restait calme).

Le monstre leur fonce dessus. Et dès que le monstre leur fonce dessus, Moitié-de-Liane tire : à terre, tranchés nets, les sept genoux du monstre ! Voilà le monstre mort. Une fois le monstre fut abattu, ils ont piqué Moitié-de-Liane de leurs fusils, par trois fois. Son sang coulait.

- Alors, dis ! C’est toi qui l’as tué ? Ce n’est pas nous ?

- Bon. Allons-y.

Ils s’en retournent, et ils disent à leur père :

- Vraiment, si nous avions compté sur Moitié-de-Liane. Quand il a vu le monstre, il a lâché son fusil, tellement il avait peur.

- Bon, dit le père. Mais là-bas, il y a, à ce qu’on dit, un crocodile géant. Demain vous irez le tuer.

- Oui.

Et ils sont partis encore une fois. La petite vieille avait encore donné un talisman à Moitié-de-Liane. Ils sont repartis.

Une fois arrivés là-bas, ils ont vu le crocodile, qui était grand, énorme… Leurs fusils leur sont tombés des mains. (Je parle de Grand-Aîné et de Puîné). Et Moitié-de-Liane, pour venir là, il avait pris un tout petit couteau. Il l’a lancé sur le crocodile. Et comme le crocodile se débattait, il l’a tiré par les pattes. Et il l’a pris à bras le corps, et il a lutté avec lui, en un combat sans merci. Il lui a planté son couteau dans le corps, et il a poussé, jusqu’à ce qu’il arrive au cœur de la bête. A la fin, voilà le crocodile mort.

Une fois le crocodile mort, les deux frères assènent à Moitié-de-Liane des coups de crosse sur la tête. Le sang coule. Ils disent :

- Alors, C’est toi qui l’as tué, hein ? Ce n’est pas nous ?

- Bon. Allons-y.

Ils rentrent. Ils disent à leur père :

- Vraiment, s’il n’y avait eu que ce Moitié-de-Liane, il n’y aurait rien eu de fait ; si nous avions dû compter sur lui, nous serions déjà morts. Quand la bête est venue, il a lâché son couteau, il a lâché son fusil, dès que le crocodile est venu. Si nous avions dû compter sur lui ! Nous n’irions plus jamais avec lui.

- Ah non, dit le père. Ne faites pas cela. Vous irez toujours ensemble.

La petite vieille, cette fois encore, avait fait sa divination… (Et elle avait vu que Grand-Seigneur donnait une nouvelle mission à ses fils aînés) :

- Il y a là-bas le tambour de Grand-Monstre. Allez le chercher, ce tambour-là, allez le chercher et rapportez-le moi. Si vous réussissez à l’avoir, ce tambour-là, vous êtes vraiment très forts.

Moitié-de-Liane a encore appris donc la nouvelle. Et la vieille lui a donné encore des talismans. Elle lui a dit :

- Emporte ça.

- Oui ;

Il part.

 

Et il y avait là-bas une autre vieille qui était la gardienne du tambour en question. Ils sont partis, ils ont marché, marché, et une fois arrivés loin, bien loin, ils ont trouvé des gens de là-bas, qui ont demandé à Grand-Aîné :

- Où est-ce que vous allez,

- Eh bien, nous allons prendre le tambour de Grand-Monstre.

- Retournez sur vos pas, vous allez à la mort !

Et Grand-Aîné s’est arrêté. Il s’est arrêté là. Mais le Puîné a continué, avec Ulcères-aux-Pieds, autrement dit Moitié-de-Liane. Ils ont marché, marché…

Arrivés un peu plus loin. ils sont encore arrêtés par quelqu’un.

- Où est-ce que vous allez ?

- Eh bien, nous allons prendre le tambour de Grand-Monstre.

- Retournez sur vos pas, vous allez à la mort !

Alors Puîné s’est arrêté à son tour.

Seul Moitié-de-liane a repris la route. C’est qu’il avait avec lui la force de la petite vieille, alors ! Il a marché, marché… Arrivé un peu plus loin, quelqu’un lui a dit :

- Où est-ce que vas comme ça, Moitié-de-Liane ?

- Eh bien, je vais prendre le tambour de Grand-Monstre.

- Retourne sur tes pas, tu vas à la mort !

Il poursuit sa route, il marche, il marche… Et un peu plus loin, il trouve des gens qui lui demandent :

- Où est-ce que tu vas ?

- Eh bien, je vais prendre le tambour de Grand-Monstre.

- Retourne sur tes pas, tu vas à la mort !

Il poursuit sa route, et finalement, il arrive là-bas. Et là, trouve encore une autre petite vieille.

Et chez le monstre, voilà comme ils s’étaient arrangés : le monstre dormait, il n’entendait rien du tout : mais son tambour, dès qu’on l’effleurait, il se mettait à battre, au point qu’on l’entendait d’ici à Fénérive. Si on y touchait, comme ferait une mouche qui se poserait dessus, alors on l’entendait de toute la province de Tamatave !

Arrivé là, Moitié-de-Liane dit à la petite vieille :

- tel que tu me vois, pour l’instant je me repose, mais on m’envoie chercher le tambour du Grand-Monstre.

Elle lui répond :

- Oh, mais tu sais, il est vraiment trop méchant, ce monstre. Et laite vieille dont tu parles, c’est ma sœur. mais attends ! Quand ils disent « lézards, rats, lézards, rats… », c’est qu’ils ronflent, et que dans leur sommeil ils sont en train de rêver. Dans leurs rêves, ils disent « lézarr… rrds, rr… rrats, lézarr.. rrds, rr… rrats ». et quand ils font leurs « lézards, rats, lézards, rats », c’est là que tu peux prendre le tambour.

Quand les montres se sont mis à ronfler, qu’on les a entendus dire « lézarr… rrds, rr… rrats », Moitié-de-Liane n’y est pas allé tout de suite. Non, il a attendu qu’ils ronflent vraiment, qu’il les entende répéter bien clairement « lézards, rats, lézards, rats », alors hop, le tambour sous le bras ! Et il est parti. Le voilà parti, filant doucement, doucement, doucement… Et il était déjà arrivé bien loin, quand…, voilà qu’un moucheron heurte la peau du tambour.

Et comme le moucheron avait heurté la peau du tambour : boum badaboum, boum badaboum ! Boum badaboum, boum badaboum ! Boum badaboum, boum badaboum ! Le tambour s’est mis à battre tout d’un coup. Et les monstres se sont réveillés. Et ils se sont lancés à sa poursuite. Alors Moitié-de-Liane a cassé un œuf de poule, un œuf que lui avait donné la vieille femme. Et l’œuf est devenu une énorme étendue d’eau. Les montres ont traversé cette eau, et pourtant elle était pleine de crocodiles. Et ils l’avaient à peine traversée que déjà elle était tarie !  Ils ont continué leur poursuit. Courant, filant plus vite et toujours plus vite ;

Un peu plus loin, Moitié-de-Liane est sur le point d’être rejoint. De son pouce, il écrase un œuf couvé qui libère encore une immense étendue d’eau. Les grands monstres se trouvent bloqués un moment.

Puis ils repartent à toute vitesse, à toute vitesse, et un peu plus loin, les voilà sur le point de rattraper Moitié-de-Liane. Et il faisait grand jour. Moitié-de-Liane a fiché dans le sol un énorme bout de bois, qui s’est transformé d’un coup en une immense forêt, pleine d’épines. Et quand les monstresse sont trouvés au milieu de ces épines, ils ont été déchirés. Morts, les monstres ! Lesvoilà morts, tous les deux.

Voilà ! Il a réussi à gagner le tambour. Et ils commencent à en jouer.

Mais quand Puîné a vu ça :

- Donne-nous ça ! Ah, comme ça, c’est toi qui l’as eu, hein !

Ils l’ont roué de coups, une fois de plus. Le sang coulais à flots de la tête de Moitié-de-Liane.

- Dis-le, hein ! Que c’est toi qui l’as eu ? Que ça n’est pas moi et Puîné qui l’avons eu ?

Et pourtant, eux, ils n’avaient rien fait du tout. C’était Moitié-de-iane qui l’avait gagné, ce tambour. A l’entrée du village de leur père Grand-Seigneur, ils se mettent à battre fièrement le tambour : boum badaboum, boum badaboum ! Boum badaboum, boum badaboum !

- Père, nous avons le tambour !

- Oh ! Vous l’avez vraiment?

- Nous étions avec Moitié-de-Liane, père, mais il n’a servi à rien, ce pauvre Moitié-de-Liane. Dès qu’il ale Grand-Monstre, il a jeté son fusil, il s’est sauvé. Et c’est nous qui sommes entrés chez le monstre.

- Demain, dit le père, nous allons bâtir une grande maison, ici. Nous allons l’élever ici, cette grande maison, dans cette cour. Et je me demande qui est-ce qui pourra le faire, de vous tous, y compris Moitié-de-Liane.

- C’est bien.

Et Moitié-de-Liane, lui, il avait avec lui la force de la vieille. La vieille a prononcé pour lui des invocations, pour faire apparaître là une maison de sept étages. Au matin quand ils se sont réveillés, la maison était achevée.

Et c’était la vieille, amenée là par Moitié-de-Liane, qui l’avait bâtie, par ses invocations. Grand-Aîné dit à leur père :

 - Voilà ! La maison est finie, père. Nous l’avons finie, Puîné et moi. S’il avait fallu attendre Moiti-de-Liane, jamais on n’en serait venu à bout !

Et pourtant, c’était Moitié-de-Liane qui l’avait bâtie, grâce à la force de la vieille. Leur père leur dit :

- Eh bien, vous avez donc réussi. Quant à nous, mes garçons, nous avons convoqué les gens pour l’ouverture de la maison, demain. Donc, demain nous ouvrirons la maison.

On avait fixé l’heure de l’ouverture à sept heures du matin. On essaya toutes les espèces de clés possibles. Aucune ne l’ouvrait. Alors on voit paraître Ulcères-aux-Pieds. Il dit :

- C’est moi, vous savez, qui ai bâti cette maison.

Ulcères-aux-Pieds avait à peine fini de parler , que ses frères se mettent à le rouer de coups. Le sang coule…

- C’est toi qui l’as construite, hein ? Ça n’est pas nous ?

- Vous allez bien voir. Si c’est moi qui l’ai construite, je vais l’ouvrir, moi !

Et Moitié-de-Liane avait avec lui la force de la vieille. Il a pris une simple baguette, juste une nervure de raphia, et il l’a mise dans la première serrure, qui s’est ouverte. Et il a ouvert comme ça toutes les serrures de toutes les portes, jusqu’au dernier étage. Et là, on voyait le tambour de Grand-Monstre, et toutes les affaires de Grand-Monstre, qu’il avait prises à ceux qu’il avait tués.

- Tu vois, père, c’est moi qui ai tué le monstre, ce n’est pas eux. C’est bien moi qui l’ai tué le monstre, pas eux ! Nous sommes partis ensemble pour tuer le crocodile, et c’est moi qui l’ai tué : Ensemble encore, nous sommes partis chercher le tambour de Grand-Monstre, et c’est moi qui l’ai pris, ce n’est pas eux ! Et chaque fois, ils m’ont frappé.

Alors, leur père leur dit :

- Alors, dit le père, Grand-Seigneur, après cela, c’est donc bien toi qui aseu le tambour. Désormais, tu es mon fils. Et ceux-là, ce sont des aînés menteurs, des aînés bons à rien ! Ce qu’il faut faire d’eux, c’est de les tuer, le Grand-Aîné, et le Puîné !

- Non père ! Ne les tue pas, dit Moitié-de-Liane. Nous allons faire d’eux les chefs des esclaves.

Et ils sont devenus les chefs des esclaves.

- Et toi, père, dit encore Moitié-de-Liane, c’est toi qui as voulu me perdre ! Tu seras mon esclave. Mais ma mère, elle, elle voulait t’empêcher de me perdre. Alors elle demeurera avec moi.

Voilà, c’était l’histoire du tambour de Grand-Monstre.

 

Fulgence FANONY

Le tambour de l’ogre

Littérature orale Malgache

tome 2

L’Harmattan  

                                                                                                        

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article