Conte: Le Tsikotry et le Corbeau - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

Le Tsikotry(1) et le Corbeau (2)

Conte Masikoro, recueilli à Manombo

 

Un jour, le tsikotry et le corbeau se rencontrèrent.

Le dernier dit :

« Celui qui t'a créé doit être bien habile ; celui qui m'a fait, au contraire, doit être maladroit ». Tsikotry. - Pourquoi parles tu ainsi ? L'œuvre du Créateur est toujours égale. Corbeau.

- Non, mon ami. Si son œuvre est égale, pourquoi ne m'a-t-il pas donné des plumes blanches comme les tiennes ? Ce sont les blanches, éclatantes comme les tiennes, qui m'auraient plu. Regarde les miennes qui sont noires comme la suie. Tsikotry.

- Si tu veux être blanc, tu peux le devenir sans aucune difficulté. Corbeau.

- Je désire de tout mon cœur être blanc. Montre-moi comment il faut faire, et je te donne mon enfant comme esclave. Tsikotry.

- Va te plonger quatre jours dans la boue. Nul doute qu'ensuite tu ne sortes blanc. Le corbeau se plongea quatre jours dans la boue ; il regardait son plumage tout le temps en espérant le changement annoncé. Mais au lieu de la blancheur, il ne vit que le noir. Il interrogea encore une fois le tsikotry en disant : « Tu me trompes sûrement. Je suis resté quatre jours dans la boue. La blancheur promise, je ne la vois pas ; mais le noir augmente, et même la cravate blanche sur mon cou est devenue noire maintenant ». Tsikotry.

- Il vaut mieux que je te dise, une fois pour toutes, le procédé pour changer ton plumage. Plonge-toi une semaine dans la boue et tu verras se produire le changement convoité. Mais cherche bien la boue consistante.

Pendant une pleine semaine, le corbeau se baigna encore dans la boue. Mais hélas, en regardant ses plumes, il ne vit aucune blancheur mais elles se détachaient, l'une après l'autre, de la peau. Il n'était plus en état de s'envoler, c'étaient au contraire les plumes qui s'en allaient.

Le tsikotry le vit et l'insulta :

« Il vaut mieux avoir ce qui est modeste que ne rien avoir du tout ! Tu as quitté le noir mais tu as la gale. » Corbeau.

- Je suis victime de ta fourberie et je n'ai rien à dire. J'ai cherché à obtenir l'impossible. Mais qui vivra verra ! Un jour sans doute je me vengerai et e te rendrai le mal que tu m'as fait, dans des jours ou des semaines, des mois ou des années.

Soyez content de votre sort ; ce que le Créateur a fait pour vous est bon (3).

 

Notes

(1) Le tsikotry ou tsiketry est un des plus jolis oiseaux de l'avifaune malgache. C'est l'Oiseau de la Vierge ou Terpsiphone mutata, remarquable par la disparité des couleurs chez le mâle et la femelle. Chez les mâles adultes, les plumes sont noir frangé de blanc. Au moment des noces, les deux plumes médianes de la queue s'allongent beaucoup et deviennent blanches. Les tsikotry vont par couples à l'époque des amours ; ils voltigent de branche en branche, étalant leur queue et poussant de petits cris perçants.

(2) Le Corvus scapulatus ou Corbeau, goaka ou goaika est tout noir, à l'exception d'une sorte de plastron blanc sur la poitrine et les épaules. Extrêmement commun partout, il fréquente surtout les contrées habitées, et se nourrit des matières animales et détritus qu'il trouve à terre : c'est un nettoyeur de villages. Autrefois, il servait d'oiseau-présage. Chez les Betsileo, par exemple, tout voyageur le ren- contrant au départ pouvait être assuré que son voyage ne serait pas heureux. Chose curieuse, la croyance inverse existait chez les Merina qui considéraient sa vue comme signe favorable.

(3) Les contes terminés par une «morale» sont rares. Il est probable que. dans celui-ci, a agi une influence européenne.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

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