Légende: Légende sur le caïman et le bœuf - Raymond DECARY
Légende sur le caïman et le bœuf
Légende Masikoro, recueilli à Berenty
Cause pour laquelle le caïman n'a pas de langue, et le bœuf, de dents, au bout de la mâchoire supérieure.
Un jour, dit-on, le bœuf venait boire de l'eau au bord d'une rivière où demeurait le caïman.
Alors ce caïman, en voyant les belles nombreuses dents du bœuf, était tellement frappé qu'il guignait de les avoir ; il supplia le bœuf de lui en donner quelques-unes en échange de sa langue, car le bœuf n'avait pas de langue pour sa part.
Alors l'échange se faisait et le caïman donna sa langue au bœuf (1), et celui-ci à son tour donna ses dents se trouvant au bout de sa mâchoire supérieure, au caïman.
Donc voilà pourquoi, dit-on, le caïman n'avait plus de langue jusqu'à présent, et le bœuf de dents au bout de la mâchoire supérieure (2).
Notes :
(1) En réalité, le caïman ou plus exactement ici le crocodile possède bien une langue, assez épaisse, mais elle est adhérente au plancher de la bouche, ce qui fait parfois dire qu'il en est dépourvu. C'est cette disposition assez singulière qui sert de base au présent conte. Hérodote déjà signalait que le crocodile n'avait pas de langue et que, seul animal de ce type, il avait la mâchoire supérieure mobile. Cette erreur fut reprise par Aristote, et il fallut attendre Gesner pour qu'on commençât à douter de cette affirmation.
2) Voici une autre version (Sakalava) de ce conte ; elle est empruntée à C. Renel, qui l'a recueillie à Morondava (Renel. Contes de Madagascar,).
Un jour, dit-on, un bœuf s'en alla brouter l'herbe au bord de la rivière. Il rencontra un gros caïman qui se chauffait au soleil, la gueule ouverte (a).
Tous deux se mirent à causer.
« D'où viens-tu, mon cadet ? dit le caïman.
- D'ici tout près, mon aîné, répondit le bœuf.
- Et que viens-tu faire ?
- Je viens brouter l'herbe. Et toi, mon aîné, d'où viens-tu ?
- De la rivière.
- Veux-tu que nous changions notre destin ? reprit le bœuf.
- Qu'est-ce que tu dis là, mon cadet ?
- Oui. échangeons nos destins. Moi, j'ai des dents et je n'ai pas de langue. Toi au contraire tu as une langue et tu n'as pas de dents (on dit qu'en ce temps-là, les caïmans n'avaient pas encore de dents) ».
Le caïman accepta. Il se coupa la moitié de la langue et la donna au bœuf qui, en échange, lui remit la moitié de ses dents. Chacun adapta dans sa gueule ce qu'il avait reçu de l'autre et ils firent la convention suivante :
« Que celui qui viole cette cérémonie soit déshonoré. Que celui qui se soustraira à cet engagement soit maudit ! ».
Puis ils se séparèrent et s'en allèrent chacun de leur côté.
Le lendemain, le petit du bœuf s'en alla boire au bord de la rivière. Mais le caïman, avec ses dents nouvelles, le mangea et le bœuf ne retrouva plus son petit. Il s'en retourna tristement après l'avoir longtemps cherché, et il dit à la vache :
« Le caïman, grâce aux dents que je lui ai données, a mangé notre enfant. »
C'est pourquoi, dit-on, le bœuf n'a pas beaucoup de dents, et le caïman pas de langue.
Et c'est pourquoi aussi ces deux animaux ne s'aiment pas. Le Barbier (Notes sur le pays des Bara Imamono,, a donné une troisième version de ce conte, recueillie dans la région d'Ankazoabo.
- Quand un crocodile dort au soleil, il a fréquemment la gueule grande ouverte.
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY