Conte: Les Betsileo ne mangent pas le bœuf sans cornes - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

 

Les Betsileo ne mangent pas le bœuf sans cornes (1)

Conte Bara, recueilli à Manja

 

Il y avait une vieille femme qui était happée par le caïman (2).

Elle fit semblant d'être morte et le caïman l'emmena dans son abri (3).

Là, il est bien sec, la vieille respire bien.

Après, le caïman sortit pour se promener.

Soudain une vache sans cornes foula (4) au-dessus de la vieille femme et troua l'abri.

La pauvre vieille femme ayant vu la patte de ce bœuf, elle la prit et la tira fortement.

Le bœuf faisant sortir la patte, tira la femme et la fit sauver.

La vieille femme remercia l'animal et ajouta :

« Si quelqu'un mange du bœuf sans cornes, qu'il soit maudit, lui et les siens, qu'il ne vive pas longtemps sur cette terre ancestrale » (5).

Voilà pourquoi il est interdit de manger l'omby bory (6).

 

Notes :

(1) II arrive parfois que des Bovidés des deux sexes naissent totalement dépourvus de cornes ; on les nomme omby bory (le mot bory a le sens de « sans rien qui dépasse, écourté). Dans certaines régions, ils étaient autrefois employés comme montures ; parfaitement dressés, s'agenouillant et se levant au commandement, ils pouvaient accomplir d'assez longs trajets, mais les voyageurs qui les utilisaient étaient terriblement secoués, surtout quand l'animal se mettait à trotter. Les bœufs sans cornes, considérés comme incomplets, ne peuvent être offerts en sacrifice aux ancêtres ; les Betsimisaraka, de leur côté, ne les abattent jamais pour leur consommation. Par extension, on donne aussi le nom de omby bory aux animaux qui ont de petites cornes mobiles pendantes, ainsi qu'à ceux dont on a scié les cornes afin, dit-on, qu'ils prennent une apparence de cheval. (2) Le terme de caïman est très employé — et à tort — à Madagascar. Il s'agit en réalité du crocodile. Les caractères différentiels des deux genres, Crocodile et Caïman, se trouvent dans le nombre de dents et dans le crane. Chez le crocodile, la quatrième dent mandibulaire s'encastre, la bouche étant fermée, dans une en- coche, une gouttière de la mâchoire supérieure, tandis que, chez le caïman, elle s'enfonce dans une fossette. On notera aussi que le crocodile possède deux grands pores placés sous la mâchoire inférieure, par lesquels suinte une humeur grasse et visqueuse. Les Sakalava ont déclaré autrefois à A. Grandidier que ce sont des sortes d'yeux supplémentaires qui lui servent à voir sous l'eau.

(3) Le plus souvent, le crocodile ne dévore pas immédiatement la proie qu'il a saisie, surtout quand elle est très volumineuse, bœuf ou être humain. Il l'en- traîne dans son abri où il lui laisse subir un commencement de décomposition. Les abris, creusés sous les berges des rivières, consolidés par les racines des arbres en bordure, peuvent atteindre cinq à six mètres de long. L'entrée en est, au moins en partie dans l'eau, mais leur sol va en montant légèrement et l'autre extrémité est toujours à sec. Le crocodile s'y tapit, reposant souvent sur un véritable lit de tortues d'eau, qui vivent en commensales dans cette retraite.

(4) Le sol.

(5) Dans ce conte, c'est un bœuf qui sauve la vie d'une femme happée par le crocodile. Mais il est, dans les tribus malgaches, d'autres contes du même genre, où la femme, entraînée par le voay dans les profondeurs de sa retraite, parvient à se sauver grâce à d'autres animaux, par exemple grâce au chant d'un oiseau, assez fort pour percer la faible épaisseur de terre, lui faisant ainsi comprendre qu'elle pouvait s'enfuir en perçant sans trop de peine un trou dans le plafond. Et bien entendu, l'oiseau devient alors sacré pour la femme et son clan.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

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