Conte: Les cinq hommes fosa

Les cinq hommes fosa
Conte Antankarana
Recueilli à Vohemar province de Vohemar),
(Variante du conte : Les Trois Frères qui ont des Queues).
Cinq fosa, dit-on, allèrent acheter des vêtements et se présentèrent dans un village sous forme humaine pour trouver comme femmes cinq filles.
Quand ils les eurent obtenues, ils s’en retournèrent chez eux avec elles, et Betombokatsoro, le frère des cinq jeunes filles, les suivit aussi.
Il s’aperçut bientôt que les cinq compères n’étaient pas des hommes, mais des animaux, et le dit à ses sœurs, en leur conseillant de s’enfuir, mais elle n'en voulurent rien faire.
La nuit venue, les fosa leur dirent :
« Gardez bien votre maison, nous allons pécher des anguilles. »
Et ils s’en allèrent en effet.
A minuit, ils revinrent et appelèrent leurs femmes :
« Dormez-vous, femmes ?Dormez-vous,femmes ? Raivo, dormez-vous ?
- Les voilà, vos maris, dit alors Betombokatsoro, je vous avais bien dit de retourner chez nous, car ce sont des bêtes et non des hommes.
- Cher frère, nous te croyons maintenant : oui, nos maris sont des fosa, et nous avons bien peur. Nous nous couchons, mais nous ne dormons pas, car nous avons bien peur.
- Réponds aux fosa que nous ne dormons pas.
- Dormez-vous, femmes ? répétèrent les fosa.
- Non, nous ne dormons pas, répondit Betombokatsoro.
- Pourquoi ne dormez-vous pas, chères femmes?
-Nous ne dormons, pas parce que les maraudeurs font trop de bruit, en volant les saonjo. »
Alors les fosa déracinèrent tous les saonjo.
Le lendemain matin, ils allèrent dans la forêt.
Quand ils furent partis, Betombokatsoro dit de nouveau à ses sœurs :
« Mes sœurs, reprenons le chemin de notre village natal, car vous savez maintenant que vos maris sont des bêtes.
- Partons », répondirent-elles.
Puis elles mirent chacune dans leur lit un tronc de bananier qu’elles enveloppèrent dans des lambas, elles prirent avec elles du riz non décortiqué et d’autres graines comestibles, et partirent avec leur frère.
Quand les fosa revinrent, ils appelèrent leurs femmes, mais personne ne répondit. Ils crurent alors que toutes dormaient profondément, et se précipitèrent dans la maison.
Aussitôt entrés, ils coupèrent avec des couteaux les troncs de bananiers qui étaient dans les lits, et les transpercèrent à coups de sagaies, puis ils se mirent à dévorer ce qu’ils croyaient être leurs femmes, et furent bien en colère, quand ils s’aperçurent qu’ils ne mangeaient pas de la chair, mais des troncs de bananiers.
Furieux, ils se mirent à la poursuite des fugitives.
Après trois jours de marche, ils les virent non loin.
Aussitôt les cinq sœurs répandirent sur le chemin les grains qu'elles avaient emportés.
Les fosa, en colère de voir les grains perdus, les ramassèrent et les remportèrent dans leur maison. Puis ils coururent de nouveau après les fugitives, mais ne les rattrapèrent qu’au village de leurs parents.
Il y entrèrent sous forme humaine, et les gens, ne sachant pas que c’étaient des bêtes, les reçurent bien, et leur donnèrent une maison et des aliments. Ils leur offrirent aussi du rhum, car, si on ne prend .pas de rhum, on n’a pas un bon sommeil et on ne peut pas causer avant de se coucher.
Les cinq fosa avaient, comme beaucoup de jeunes gens, l'habitude de boire du rhum. Ils en burent tant qu’ils s'enivrèrent. Alors il ne purent plus porter leurs beaux habits avec lesquels ils cachaient qu’ils étaient des bêtes, et, au lieu de marcher sur leurs deux grandes pattes de derrière, ils se mirent à courir à quatre pattes, selon la coutume des animaux, puis ils aboyèrent dans tout le village, poursuivirent les volailles et ramassèrent, pour les manger, les os qu’on avait jetés dehors.
Les gens du village les reconnurent et les poursuivirent à coups de pierres et de bâtons.
On en tua trois, deux seulement purent s’échapper.
A dater de ce moment, dit-on, les fosa jurèrent de ne plus entrer de jour dans les villages des hommes, et ils maudirent ceux de leurs descendants qui mangeraient les volailles que l'homme élève près de ses maisons.
Contes de Madagascar
Charles RENEL