Conte: Les crânes chevelus

Les crânes chevelus
On peut dire que le thème du conte est le rapport entre l’intelligence et la non-intelligence. Sont en scène, en effet, Kakabe, la force brutale, et les Crânes-chevelus, la force guidée par l’intelligence et la ruse.
Est en scène également – et longuement – Créateur, présenté comme celui qui a tout créé et celui qui sait tout : le passé (comment il a créé les êtres vivants, hommes et bêtes), le présent (il sait où sont les êtres vivants et connaît leurs qualités respectives) et le futur (mais laissons au lecteur la surprise). Créateur sait, mais il laisse les êtres vivants suivre leur volonté et leurs choix.
Créateur est-il présenté comme bon ? Pas directement. Il n’est pas offusqué par les impolitesses répétées de Kakabe (pas de salutations, pas d’adieux). Un psaume de la Bible dit :
« tu sais ce que vaut l’homme
et qu’il est faible,
mais tu ne le rejettes pas. »
Créateur, dans notre conte, sait ce qu’est Kakabe. Il le prend comme il est.
Kakabe, dans la littérature orale malgache, c’st le monstre, la « Bête », l’ogre souvent. Ici, c’est bien une « bête », le contraire de ce qu’est un homme : il est brutal, sans intelligence, méchant et cruel ; c’est un être déterminé dans l’inhumain. Le Malgache est choqué lorsqu’on dit : « L’homme est un animal raisonnable ». pour lui, homme et animal sont choses opposées. Je rencontrai un jour des enfants en train de batifoler dans l’herbe :
- Tiens, il y a des petits veaux par ici ?
- Mais non ! Nous sommes des enfants d’hommes, nous autres !
Cependant Kakabe, ici, bien que sa force physique lui tourne la tête, exprime une situation plus nuancée. Il ne veut pas triompher sans gloire ; il est capable de comprendre le sens d’une signature et d’un engagement : il a finalement certains sentiments respectables, disons humains. Nous éprouvons une certaine sympathie pour lui.
Quant aux Crânes-chevelus, le lecteur a déjà deviné de qui il s’agit. Ils sont présentés comme intelligents, malins, organisés. Mais la pitié ne les étouffe pas. Seront-ils sympathiques au lecteur ?
On parle beaucoup dans ce conte du nord et du sud. Les points cardinaux sont très importants pour les Malgaches qui ont le sens de l’orientation dans la peau. Le nord, le sud, l’est et l’ouest sont des lieux précis et respectés pour la construction de la maison, la place respective de ceux qui y habitent, l’établissement des lieux sacrés, la prière et le sacrifice. Si Créateur se trouve au sud et si kakabe court vers le danger dans le nord, il y a certainement une raison.
Le « Petit » des Crânes-chevelus, dans sa première réponse à Kakabe, parle maladroitement ; c’est un style d’enfant dans le texte malgache. Nous avons voulu le rendre comme tel. Nous avons également gardé ce style dans ses deux autres interventions, bien qu’alors le style original soit le style populaire d’un adulte. Nous n’avons là rien fait d’autre que nous octroyer la liberté des conteurs qui sont en même temps respectueux du conte et très libres dans leur expression.
La fin du conte est un peu spéciale.
Nous nous y attarderons dans l’encadré qui suit le conte. Le conteur Félicien, qui avait quatorze ans, à l’époque, dit très bien, en raccourci, et de façon poétique « ce qui fait qu’un conte est un conte ». on verra que cette fin explique aussi très bien la position du conteur, par rapport au conte.
Moi, Félicien, qui viens d’Ambonilaitra, dans la sous-préfecture de Fénérive-Est, je vais vous dire un conte ce soir (pendant qu’on dégriffe le girofle), en cette année 1968…
Il était une fois,, il y a bien longtemps, un monstre énorme, d’une force sans pareille. Il ne rêvait que plaies et batailles. Dans toutes les rencontres avec d’autres bêtes, c’était, pour lui, la victoire à coup sûr. Conscient de sa force, il lui fallait chercher la bagarre avec n’importe quel être vivant qu’il pouvait rencontrer. Un jour, il rencontre une « chose », vous savez, pas une bête, pas une plante, mais ce qu’on appelle une « chose », un être bizarre qu’on peut voir par-là, de temps en temps… Le monstre se jeta sur cette « chose » : la « chose » fut vaincue…
Quand il lui arrivait de rencontrer une autre espèce de monstre, c’était la bagarre : il avait toujours la victoire. A la fin , il était malheureux (car il se battait sans risque, sans péril et sans gloire… Le triomphe lui était insipide).
Pendant longtemps, il traîna dans la forêt. C’était un monstre très costaud mais pas très malin. Pourtant il décida d’aller voir Créateur là-bas.
- Je vais aller voir Créateur… Je suis sûr qu’il connaît tous les êtres vivants du monde et qu’il sait aussi quels sont les plus forts. Je vais lui demander quel est l’être le plus costaud du monde. Oui ! Mais où est-il donc, Créateur ?
Il réfléchit autant qu’il pouvait le faire, le pauvre. Il interrogea ceux qui pouvaient savoir et il apprit à peu près où se trouvait Créateur. Il part, il marche, il court, il arrive chez Créateur…
- A ! dit-il poliment, mais en oubliant les salutations d’usage. A, Créateur ! Est-ce qu’il y a quelque chose ou quelqu’un de plus costaud que moi sur la terre ?
- Eh oui ! répondit Créateur, il y en a de plus costaud que toi !
- Eh bien, Créateur, dis-moi qui c’est… Je suis sûr que si je me bats avec eux, j’aurai la victoire…
- Mais non ! Mais non, tu seras battu, tu peux en être sûr !
- Non et non ! Je n’accepte pas ce que tu dis, je veux me battre avec eux et je les vaincrai…
- Bon ! A ta guise , va te battre… Le nom de ces êtres plus forts que toi… ils s’appellent les « Crânes-Chevelus ».
Sûr et certain ! la Bête avait envie de se battre ! Elle partit à toute vitesse sans dire adieu ; elle se dépêche, elle court… Arrivée déjà loin, voilà que le nom était oublié ! Elle revient daredare, elle revient chez Créateur… (Pas de salutations !).
- Quel est le nom de ces êtres que tu dis plus forts que moi ?
- Eh, pauvre de toi, dit Créateur ! Si je te le dis de nouveau, tu vas aller chez eux et là-bas, la mort t’attend…
- Mais non !
- Leur nom, c’est Crânes-Chevelus.
A peine le mot était-il prononcé, que le monstre s’en va tout courant… Il s’arrête… Revient… S’en va de nouveau… Puis retourne chez Créateur…
- C’est bien Crane-Chevelu, le nom de ces êtres ?
- Mais oui ! dit Créateur.
- Crâ-nes-Che-ve-lus, vraiment ? Ils n’ont pas d’autres noms ?
- Mais non, je te le dis, ils n’ont pas d’autres noms, seulement « Crânes-Chevelus ». Tu n’as pas encore compris ?
- Si, ça va… et… Où ils habitent ces êtres –là ?
- Eh bien, tu vois, tu sais leur nom maintenant, mais le lieu où ils demeurent, je ne te le dirai pas, j’ai trop peur pour ta vie… !
- Ah ! dit le monstre, dis-le moi ! Où puis-je les trouver ? Je veux me battre avec eux !
- Toi ! Quel entêté tu fais ! S’ils te voient, sûr, ils te tuent.
- Non, non,, ils ne m’auront pas ces Crânes-Chevelus, laisse-nous nous battre, c’est moi qui les aurait !
Alors Créateur lui dit où les trouver :
- En partant d’ici, voilà ce que tu vas faire : tu iras vers le nord. C’est loin, va toujours vers le nord. Si tu vas toujours plein nord, tu les trouveras là-bas, les Crânes-Chevelus…
- A bon, dit le monstre, si je vais toujours vers le nord, je suis sûr de les rencontrer ?
- Oui, tu les rencontreras là-bas…
- Et là-bas, je trouverai les plus costauds des Crânes-Chevelus ?
- Tu trouveras les plus forts d’entre eux…
- Et tu dis que je serai battu par ces Crânes-Chevelus ?
- Hélas pour toi, tu seras vaincu !
- On va voir ! Je vais là-bas.
Il s’en va vers le nord, encore vers le nord. Il va là-bas… Il est déjà loin qu’il entend des sangliers en train de fouiller la terre et les racines dans les fourrés…
- Qu’est-ce que vous faites là ? Vous êtes des Crânes-Chevelus, vous ?
- Non, nous ne sommes pas des Crânes-Chevelus, nous autres ici, nous avons peur d’eux… Si nous sentons leur présence, nous les fuyons. S’ils te voient, toi, la grosse bête, tu es perdue, ils t’écraseront.
- Ils sont si costauds, ces Crânes-Chevelus ?
- Costauds ? Tu peux le dire…
- Bon ! Je veux voir, dit-il, je vais chez eux…
- Attention, toi. Tu vas rencontrer des plus forts que toi !
- On va voir ! Je veux me bagarrer avec eux !
- Eh bien, si c’est comme ça, va seulement, va vers le nord, tu les trouveras sûrement…
Il marcha vers le nord, toujours vers le nord, ce nord qu’il désire…
Longtemps après, il entend de nouveau des bruits et des grognements dans les fourrés. C’était des blaireaux…
- Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous êtes des Crânes-Chevelus ?
- Non, dirent les blaireaux, nous ne sommes pas des Crânes-Chevelus, nous autres. S’il y en a qui approchent, nous nous enfuyons tous, et vite ! S’ils nous rencontrent en train de fouiller la terre, nous sommes morts. Ne va pas là-bas, toi, ou tu es mort aussi !
- Mais non, mais non ! Moi, je les cherche… Pour me battre avec eux…
- Ah, ah, ah ! dirent les blaireaux, tu penses les battre ?
- Je suis costaud moi, ils seront vaincu !
- Ah bon ! Alors marche toujours vers le nord, tu les rencontreras bientôt…
Ce nord l’attire, il va, il marche, il se presse. Il rencontre alors des bœufs en train de paître dans les rizières.
- Vous êtes des Crânes-Chevelus vous autres, vous qui paissez l’herbe ici ?
- oh non ! dirent les bœufs, nous ne sommes pas des Crânes-Chevelus. Au contraire, nous avons peur d’eux Quand ils nous commandent d’aller paître, nous sommes obligés d’y aller. Quand ils veulent nous faire rentrer, il nous faut rentrer…
- Ah, ah ! dit la Bête. Ils sont forts à ce point !
- ils sont très forts, dirent les bœufs. Tous ceux qui veulent se battre avec eux sont perdus. Ils sont vaincus, ils sont morts… Pour être forts, ils sont forts ! Ne va pas les voir si tu ne veux pas mourir..
- Mais c’est justement ce que je veux, je veux qu’ils soient forts, répondit la Bête, je veux me battre avec eux parce qu’ils sont très forts…
La Bête reprend sa route, elle marche et court sans faiblir… Arrivée à un endroit où il y avait de l’eau, elle rencontre des oies et des canards en train de nager sur l’eau. Des quantités d’oies et de canards.
- Vous êtes des Crânes-Chevelus, vous autres, dit la Bête ?
- Oh non ! répondirent les oies et les canards, oh non ! Si nous sommes ici, dans la mare, c’est qu’ils nous y ont envoyés : ils nous envoient nous baigner dans l’eau, nous y allons, ils nous font rentrer à la basse-cour, il faut y aller…
- Ah, dit la Bête, ils sont si costauds que cela, ces Crânes-Chevelus ?
- Pour ça, oui ! Vraiment oui, ils sont costauds ! Ils sont au nord d’ici, mais n’y va pas toi ! Ils te vaincront sûrement…
- Mais c’est ce que je veux ! Je veux qu’ils soient très costauds pour qu’on se batte dur… Vous voyez bien que moi aussi je suis très costaud… !
- Bon ! Va donc vers le nord, tu les trouveras là-bas.
Il continua sa route vers le nord… Près d’un gros manguier, , il vit un petit bonhomme, un petit Crâne-Chevelu… Il le regarde bien…
- Qu’est-ce que tu es toi ? Tu ne serais pas un Crâne-Chevelu, toi ? Oui, toi ! Toi qui te promènes au pied de ce manguier…
- Eh ! dit le petit Crâne-Chevelu, j’vais pas t’contredire…
La Bête le regarde bien…
- Vous, les Crânes-Chevelus, vous êtes costauds vous ?
- Ah, nous aut’ici, dit-il, nous aut’on choisit un chef pour êt’ Chef-de-village… L’est là, dit-il, c’est l’Chef de not’village… J’va l’voir là, y bricole par là ; j’va l’app’ler…
Bon, le petit s’en alla, le petit Crâne-Chevelu s’en alla voir le Chef du village…
- Là-bas, dit-il, y a un’gross’bêt qui veut s’batt’ avec nous les Crânes-Chevelus… Y faut qu’j’ vous dise ça… Nous aut’, on nous apprend qu’y faut pas faire des chos’ qu’on peut pas, alors… C’est ça qu’ell’a dit, la gross’Bêt et je suis venu pour vous dire… pas-qu’y faut vous dir’ les chos’ qu’y a, pour qu’ça soit bien…
Tiens, qu’est-ce que c’est que ça ? il fallait aller voir ça. Le Chef de village alla jusqu’au manguier. Il vit cette grosse Bête-là…
- Alors le Gros ! C’est toi qui es venu jusqu’ici pour te battre avec nous, les Crânes-Chevelus ?
- Oui, c’est vrai, je suis venu pour ça…
- Bon, dit le chef, c’st moi le Chef ici. Moi, j’accepte de me battre avec toi, tu es venu pour ça… Nous sommes prêts nous autres. Mais nous, les Crânes –Chevelus, nous faisons les choses en règle, nous n’aimons pas les choses pas claires… Quand nous faisons une chose importante, nous la faisons avec une signature…
- Qu’est-ce que tu racontes ? dit la Bête. Je connais pas ça moi, une signature… Qu’est-ce que c’est une signature ?
- Oh, dit le Chef des Crânes-Chevelus, ce n’est pas compliqué, une signature. Voilà comment on fait ici : on prend une grosse corde, et celui qui veut faire le contrat pour une chose, on l’attache bien avec la corde ( ça montre qu’on ne peut plus bouger après, qu’on ne peut plus changer d’avis…) Après, on lui demande « Tu es prêt pour ce contrat ? Tu es d’accord, bien d’accord ? « .Quand il accepte vraiment le contrat : « Je suis d’accord, je ne changerai pas d’idée… », alors c’est fait, c’est la signature… S’il dit « Je ne suis pas d’accord», alors rien n’est fait, il n’est pas attaché par le contrat. Toi, tu veux vraiment te battre avec nous ? Si c’est oui, alors on fait la signature et on se bat. Si tu n’oses pas, ce n’est pas la peine, va-t’en !
- Moi, dit la Bête, moi je veux me battre avec vous… Je n’ai pas peur de vous, moi ! Allons-y ; Toi, dit-elle, toi… C’est toi qu’on va attacher en premier…
On prend la corde, on attache solidement le Chef de village. On l’attache bien serré… On l’interroge :
- Alors, tu es décidé, tu oses te battre avec cette Bête ?
- Bien sûr ! je n’ai pas peur d’elle !
- Tu es prêt à te battre comme il faut ?
- Je suis prêt, et ça va barber… Ce gros-là, il va voir que je sais lui répondre…
On le détache. On attache le monstre qui est là. On prend les plus grosses cordes qu’on peut trouver par là. On serre dur, très dur. Le monstre ne peut plus bouger. Impossible pour lui de faire un mouvement. Mais on en rajoute encore. Tout ce qui peut servir de lien , on s’en sert pour l’attacher en serrant très fort. Impossible qu’il puisse se détacher ! Voilà c’est fait ! Alors chacun va chercher ce qu’il peut trouver… On ramène des gourdins, des pilons à riz, des bâtons… Mais pas de coupe-coupe, pas de haches, il ne faut pas exagérer et le couper en morceaux : on ne veut pas de sang ! On va lui donner une bonne leçon, mais il ne s’agit pas de le tuer. Quand chacun a son engin, on commence. On lui tape dessus, on le frappe de partout.
- Alors, tu oses te battre avec nous ? Tu n’as pas peur de nous, les Crânes-Chevelus ?
Il commence à fatiguer, le monstre… Il ne répond pas… Et je te frappe, et je te tape… Ça c’est, des coups. Pauvre monstre, sa vie s’en va… Il murmure :
- Ah ! Arrêtez ! Je n’ose plus me battre avec vous ! Vous êtes plus forts, vous les Crânes-Chevelus…
- Quoi ? Tu n’oses pas te battre avec nous Tu n’es pas venu ici pour ça ? Tu n’es pas venu de si loin pour nous vaincre ? Qu’est-ce que tu fais ici alors ? Comment ça ! Tu ne veux pas te battre avec nous ?
Et les coups pleuvent de nouveau. Je te frappe. Je te tape. Prends. Et encore. Le pauvre n’en peut plus, mais les coups continuent à tomber dru ! Le voilà à moitié mort, le pauvre monstre pas malin… On l’interroge de nouveau :
- Alors, tu es toujours prêt à te battre avec les Crânes-Chevelus ?
- Oh ! non, non ! Je ne veux pas me battre avec vous. Non !
- Tapez dessus, les gars, tapez fort !
Et ça recommence. Et je te tape. Et je te frappe ! pan-pan-pan… Vlan-vlan-vlan… Le monstre n’a plus de souffle… Presque plus… Sa vie l’abandonne. Alors on l’abandonne aussi.
- Alors, tu es toujours prêt à nous vaincre, nous les Crânes-Chevelus ?
- Non… Non…Non, je n’ose plus me battre avec vous !
On le détache. On le libère de tous ses liens. On le chasse. Il se traîne, il se traîne. Un souffle de vie, un pauvre souffle seulement lui reste. Il peine sur le chemin… Il va vers le sud… Il se traîne ! Il retourne chez Créateur. Vers le sud, là-bas… Que c’est loin ! Enfin, il arrive au fin fond du sud, chez Créateur…
- Ah ! Créateur ! C’est moi ! C’est vrai ce que tu m’as dit ! vraiment oui, il y a des Crânes-Chevelus. Ils sont forts en vérité ! Ils sont très forts. Plus forts que moi. Les plus forts et les plus costauds sur toute la terre !...
- Eh, mon pauvre, dit Créateur, je te l’avais bien dit ! Parmi tous les êtres du monde, il n’y en a pas un qui puisse les vaincre. C’est moi qui ai fait tous les êtres vivants sur toute la terre. Je sais bien qui est le plus fort parmi eux tous… C’est moi qui ai fait les Crânes-Chevelus, ceux que tu as vus. C’est moi qui les ai faits plus forts que tout !
- Ah, dit le monstre, c’est vrai !
Ce monstre, que Créateur avait fait et qu’il avait mis sur la terre, était seul dans son espèce… Trop maltraité, il tomba malade. Malade , il en mourut. Et maintenant sa descendance a disparu de la terre. Quant aux Crânes-Chevelus, ce sont les hommes ; c’est l’espèce humaine dont nous sommes la descendance. Des hommes, comme nous en ce moment. Des hommes vivants avec un esprit et une intelligence comme nous. Ce n’est pas vraiment que les hommes soient plus forts que les animaux, mais ils ont l’intelligence et ils sont malins. C’est cela qui leur a permis de vaincre le monstre beaucoup plus fort qu’eux. C’est leur intelligence et leur ruse. Le gros monstre était bien plus fort mais pas malin ! Et voilà, les Crânes-Chevelus l’ont vaincu !
Vous avez entendu ce que mon conte a dit…
Un conte c’est un conte !
S’il fait beau demain,
On fera sécher le girofle…
Ce n’est pas mon compte,
Ce n’est pas mon conte !
S’il ne fait pas beau demain,
On ne fera pas sécher le girofle !
Ce conte, je n’ai fait que le dire…
Et maintenant je vais couper de la canne à sucre,
Bien sucrée…
Je vais la mettre sur une assiette
Bien propre…
Nous la mangerons tous ensemble.
Cette fin n’est pas habituelle dans les contes bien qu’il y ait certains éléments qu’on retrouve dans d’autres contes.
Que veut nous dire le conteur ? Il ne le sait probablement pas lui-même. Il aurait fallu l’interroger au moment même où il a terminé ce conte. Je dois dire que cette fin ne m’a frappé qu’au moment de la traduction, mais elle me semble très profonde, car elle dit un peu tout ce qu’est un conte.
« Vous avez entendu ce que mon conte a dit… Ce que le conteur dit, ce n’est pas sa propre pensée, c’est celle du conte. Un conte c’est un conte… On peut comprendre que le conte a sa propre façon de dire les choses et que l’auditeur ou le lecteur ( !), se doit de l’écouter comme une chose qui le fait sortir de ses schèmes de pensée ; s’il veut comprendre le message qui est dit ; le conteur, d’ailleurs, insiste :
« Ce n’est pas mon conte,
Ce n’est pas mon conte :… Ce conte, je n’ai fait que le dire.. »
Ces dernières affirmations sont enfermées dans une sorte de proverbe :
« S’il fait beau demain,
On fera sécher le girofle…
S’il ne fait pas beau demain,
On ne fera pas sécher le girofle…
Cela paraît une évidence : ni le girofle, ni le foin ne peuvent sécher si le temps n’est pas favorable. Ce qui semble dire, puisque ce « proverbe » est cité comme fin d’un conte, que cette évidence et cette nécessité touchent le conte.
Le conte est. Il existe. On l’a entendu ou on l’a lu. Pour le comprendre, pour être influencé ou changé par lui, il est évident et nécessaire de vraiment l’écouter. Impossible de comprendre un morceau de musique si on ne l’écoute pas
Ecoutons-le : nous aurons la douceur d’une canne bien sucrée, et la douceur de l’amitié, puisque nous la mangerons ensemble…
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