Conte: Les échanges de Laiebo - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

Les échanges de Laiebo

Conte Sakalava, recueilli à Mangolovolo, district de Morombé

 

Il y avait, dit-on, un homme appelé Laiebo. Etant marié, il eut un enfant.

Les deux époux partirent un jour dans la forêt pour chercher du bois à brûler. L'homme trouva dans la forêt des champignons (1). Ils revinrent au village chargés de bois à brûler.

En arrivant à la maison, le mari ordonna à la femme de les faire rôtir, pendant qu'il ira ailleurs. Lorsque les champignons furent bien rôtis, la femme en goûta et les trouva exquis. Elle les mangea toute seule.

Quand Laiebo fut de retour, il demanda sa part.

La femme répondit : « Je les ai tous mangés ».

Laiebo fut en colère, disant : « Veux tu me donner tous mes champignons, sans quoi je te tuerai ».

La femme prit son aiguille et la donna à son mari en échange des champignons. L'homme accepta.

Laiebo rencontra une femme ayant son lamba déchiré ; il lui remit (2) l'aiguille et partit ailleurs. Cette femme s'en servit mais la cassa.

Laiebo revint et réclama son aiguille à la femme : « Donne moi mon aiguille, sans quoi je te tuerai ».

La femme lui donna du feu en échange de l'aiguille. Laiebo prit le feu.

Il trouva ensuite des pêcheurs, leur remit le feu et repartit.

Les pêcheurs se servirent du feu pour faire cuire leurs poissons, après quoi il éteignirent le feu.

Laiebo arriva et demanda son feu. Les pêcheurs répondirent qu'ils l'avaient éteint. « Donnez moi mon feu, reprit Laiebo, si vous ne voulez pas être tués ».

Les pêcheurs lui donnèrent des poissons en échange.

Laiebo rencontra des voyageurs, leur remit les poissons et repartit ailleurs.

Les poissons furent mangés par les voyageurs.

Laiebo revint et demanda ses poissons. « Nous les avons mangés, reprirent les voyageurs. — Je vous prie de me donner mes poissons, reprit Laiebo, si vous ne voulez pas que je vous tue ».

Les voyageurs lui donnèrent des hérissons (3), il ne voulut pas ; des taupes, il ne voulut pas encore, et finalement une hache.

Laiebo accepta la hache.

Laiebo repartit et rencontra des gens en train de chercher du miel. Il leur remit la hache en répétant le même mot.

Ces gens s'en servirent et cassèrent la hache en coupant du bois.

Laiebo arriva pour demander sa hache. « Nous l'avons cassée », répondirent les gens.

 « Je vous tuerai si vous ne voulez pas remplacer ma hache » dit Laiebo. Ils donnèrent à Laiebo une calebasse pleine de miel.

Laiebo accepta et l'emporta.

Il la suspendit sur un poteau dans un parc pour les chèvres des habitants d'un village.

Laiebo alla dans le village afin de trouver des gens pour acheter son miel. La calebasse remplie de miel fut cassée par les chèvres.

Laiebo fit remplacer le miel par une chèvre.

Arrivé dans un autre village, Laiebo attacha la chèvre dans un parc à bœufs des habitants de ce village.

La chèvre fut tuée par les bœufs à coups de cornes.

Laiebo rassembla les habitants de ce village et leur fit remplacer la chèvre par des bœufs.

Les habitants eurent peur et donnèrent à Laiebo un bœuf. Laiebo ne voulut pas. Deux bœufs, il ne voulut pas. Trois bœufs, il ne voulut pas. Quatre bœufs, il ne voulut pas encore et finalement il accepta pour cinq bœufs.

Laiebo retourna dans son village avec cinq bœufs.

Lorsqu'il est revenu, il trouva sa femme gravement malade, il fit tuer un bœuf et envoya son fils pour vendre tous les autres.

En route, tous les bœufs moururent et le fils s'en retourna à mains vides.

Laiebo demanda à son fils où sont tous nos bœufs ?

Le fils répondit ils furent morts.

Bien mal acquis ne profite jamais.

Laiebo employa des ruses pour s'enrichir en trompant beaucoup de gens et finalement il n'eut plus rien (4).

 

Notes :

(1) Les champignons de Madagascar, à part quelques groupes, sont encore très incomplètement connus au point de vue scientifique. Les Malgaches eux-mêmes, qui les appellent du nom collectif de holatra ne possèdent pour eux que peu de noms vernaculaires. Contrairement à ce qu'on a cru autrefois, nombreuses sont les formes plus ou moins toxiques, et des cas sérieux d'empoisonnement ont été signalés en plusieurs points du pays. Il est pourtant, un peu partout, d'excellentes espèces, et j'en citerai quelques-unes. Trois espèces de Lépiotes dont Lepiota Madagascarienses et L. excoriata var. rubescens ; Volvaria volvacea qui pousse sur les débris de végétaux, les vieux troncs de baobabs, etc., excellent comestible que les autochtones connàissent bien et dont la culture est possible ; une Collybie qui se vend couramment sur le marché de Tamatave ; Russula madecassense au chapeau violet, au goût très fin ; la Morille ; enfin une Truffe, Terfezia Decaryi, à chair blanche, localisée dans le Sud, et qui n'est hypogée que pendant une partie de son évolution.

(2) Ou plutôt : il lui prêta.

(3) Le hérisson vrai n'existe pas à Madagascar. Ce nom est cependant donné souvent au Centetes ecaudatus ou Tanrec, qui est un Insectivore à piquants. Cet animal, de la taille d'un petit lapin, est nocturne et s'enfouit en hibernation pendant la saison sèche. Les Malgaches le recherchent surtout pendant son sommeil hivernal, et apprécient beaucoup sa chair grasse.

(4) Comme on le voit, ce conte est à moralité toute occidentale. Celle-ci semble être une adjonction a posteriori.

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

 

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