Conte: LES TROIS ENFANTS ABANDONNÉS - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

 

LES TROIS ENFANTS ABANDONNÉS

Conte Vezo, recueilli à Mahavatse, district de Tulear

 

Il y avait, dit-on, dans cette région une grande famine (l).

Deux époux avaient beaucoup d'enfants. Le mari, renonçant à nourrir ses enfants, disait un jour à sa femme : « Tu vois, ma femme, que nous avons trop d'enfants et nous n'arrivons plus à les nourrir. Nous allons donc en diminuer le nombre ».

La femme, ayant peur de son mari, accepta, mais elle préparait pour ses enfants un couteau, une hache et une calebasse.

Le lendemain matin, l'homme partait avec trois de ses enfants.

Quand ils arrivaient au milieu d'une grande forêt, l'homme disait à ses enfants : « Attendez moi ici, mes enfants ; je reviendrai ce soir, je vous apporterai du miel, des oiseaux et des hérissons ».

Les enfants avaient peur, ils allumaient un grand feu.

A la tombée de la nuit, un grand animal nommé Ndrimo s'approcha d'eux. « Qui êtes vous ? » demanda Ndrimo aux enfants. « Nous sommes des enfants malheureux abandonnés par notre père. Ayez pitié de nous ! Prenez nous comme vos enfants».

Ndrimo les prenait et voulait les amener dans sa grande caverne, mais les enfants n'acceptèrent pas. Ndrimo allait donc tous les jours à la chasse et revenait tous les soirs en apportant aux enfants du miel, des oiseaux sauvages et des hérissons, dans le but de les engraisser pour les manger plus tard.

Il y avait à côté de ces enfants un grand baobab.

Un jour, le plus jeune, qui était le plus intelligent de ces enfants, trouva une idée. « Nous allons nous mettre au sommet de cet arbre ; nous monterons par corde (2) ».

Ils montèrent sur l'arbre.

Comme d'habitude, Ndrimo revenait le soir de la chasse. Il ne voyait pas les enfants. Il se mettait immédiatement à leur recherche. Il arrivait à les apercevoir sur l'arbre. Il demanda aux enfants comment ils avaient fait pour y arriver.

Les enfants lui donnèrent une corde. Ndrimo attacha la corde autour de ses reins et de son cou.

Les enfants tiraient sur l'autre bout de la corde. Lorsque Ndrimo était à une certaine hauteur du sol, les enfants lâchaient la corde,

Ndrimo tomba par terre et eut le ventre cassé (3).

Des personnes, des animaux sortaient du ventre de Ndrimo, c'est-à-dire tout ce qu'il dévoré (4).

Les enfants descendaient de l'arbre et expliquaient à tout le monde comment ils avaient fait pour tuer Ndrimo.

Toutes les personnes qui sortaient du ventre de Ndrimo bâtirent chacune une case et les trois enfants devinrent leurs rois.

Les parents de ces trois enfants devinrent très malheureux dans leur village. Leurs enfants en bas âge qu'ils avaient gardés auprès d'eux mouraient de faim, et eux devinrent faibles et incapables de gagner leur vie. Ils apprenaient plus tard que leurs enfants jetés devinrent rois et riches.

Ils allèrent donc les trouver.

Arrivés auprès de leurs enfants, ils pleuraient beaucoup et avouaient leur faute.

Les enfants les prenaient mais ils les traitèrent comme leurs esclaves.

 

Notes :

(1) Les famines autrefois n'étaient pas rares dans le sud malgache. Alors que je venais de prendre un commandement territorial dans cette région, j'ai pu assister, au cours de la saison chaude 1930-1931, à la plus importante de toutes celles qui se sont produites depuis une centaine d'années. Par suite d'une sécheresse anormale l'eau et la nourriture se trouvèrent manquer subitement en même temps. Les indigènes mourant de soif en même temps que de faim, il me fallut procéder à l'évacuation de la population de la zone la plus atteinte, vers des centres de ravitaillement organisés à la hâte. Le nombre des morts ne put être chiffré exactement, les chefs de clans les cachant souvent dans la crainte de voir leur responsabilité engagée. Je l'évaluai à l'époque à un millier, non compris les vieillards dont le manque de nourriture avait simplement hâté la fin. Dans le seul village d'Antsoritse (district de Tsiombé), un des plus atteints, on compta 27 décès sur 77 habitants.

(2) Les baobabs au tronc énorme ne peuvent être escaladés facilement. Le système employé partout consiste à enfoncer profondément des piquets de bois dur dans l'écorce qui est spongieuse et peu résistante. On se sert alors de ces piquets comme d'échelons.

(3) Ouvert.

(4) Ce thème d'êtres dévorés par des monstres, puis sortant vivants de leur corps au bout d'un temps plus ou moins long, se retrouve assez fréquemment dans les contes malgaches.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

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