Conte: Lesoma et Faralahy

Publié le par Alain GYRE

 

Lesoma et Faralahy

Fabliau Betsimisaraka

Recueilli à Ambohibé (province des Betsimisaraka-du-Sud).

 

Andriambe et sa femme habitaient seuls leur case; ils firent un vœu pour avoir un enfant.

Au bout d'un certain temps, la femme mit au monde un garçon qu’on appela Lesoma.

Bientôt sa mère mourut, et Andriambe épousa une autre femme, qui ne tarda pas à avoir un enfant nommé Faralahy. Les deux garçons furent élevés ensemble.

Un jour Andriambe était allé se promener et les deux fils étaient restés à la case avec leur oncle, leur tante et leur mère. Dans l'après-midi, Andriambe de retour ne trouva que les deux enfants, et il demanda :

« Où est allé votre oncle, mes enfants? »  

« Mon oncle, dit Lesoma, va traverser les vivants pour prendre les morts. »

- Et votre tante ?

- Ma tante est allée jeter ce qui était dans la maison pour prendre ce qui est dans la forêt.  

Et votre mère ?  

Ma mère a laissé la sagesse pour prendre la folie. »

Personne ne comprit le sens de ces paroles, pas même Andriambe. Quelque temps après, les trois absents revinrent au village : l’oncle portait un fagot, la tante un paquet de feuilles et la mère une nasse. Andriambe comprit alors et s’écria :

« Cet enfant est très intelligent, en vérité! Son oncle est allé chercher du bois mort dans la forêt verte : c’est traverser les vivants pour prendre les morts. Sa tante s’est munie de feuilles [pour nous servir d'assiettes, après avoir jeté celles dont on s’était précédemment servi] : c’est laisser ce qui est dans la maison pour prendre ce qui est dans la forêt. Sa mère a laissé la sagesse pour prendre la folie : c’est aller pêcher à la nasse, en laissant à la maison ses vêtements propres pour se couvrir de vieux haillons. »

A partir de ce jour Lesoma fut détesté par sa belle- mère.

Une fois, Andriambe n’étant pas là, elle donna la partie supérieure du riz (i) à Lesoma.

Le lendemain, les deux garçons jouaient dehors, quand Lesoma dit à Faralahy :

« Faralahy, Faralahy! de nous deux, c’est moi qui suis le premier, car toutes les fois que ma mère sert du riz, elle me donne le dessus! »

Faralahy rentra et dit en pleurant à sa mère :

« Est-ce vrai, maman, que tu donnes la partie supérieure du riz à Lesoma, parce qu'il est supérieur à moi?

- Ne pleure plus, mon enfant, dit la mère; à présent, chaque fois que je servirai du riz, c'est à toi que je donnerai la partie supérieure. »

Les jours suivants, elle servit à Lesoma la partie intérieure du riz.

Or, comme ils jouaient ensemble, Lesoma dit à son frère :

« Faralahy, c’est moi que notre mère aime le mieux, car chaque fois qu’elle sert du riz, elle me donne la partie intérieure. »

Faralahy courut trouver sa mère en pleurant :

« Je sais, maman, que tu aimes Faralahy plus que moi, puisque c’est à lui que tu donnes le dedans du riz. »  

Ne pleure plus, mon enfant; dorénavant, quand je servirai du riz, c’est à toi que je donnerai la partie intérieure. »

Et, à partir de ce jour, elle donna à Lesoma la partie inférieure du riz.

Mais, quand ils jouèrent de nouveau, Lesoma dit à son frère :

« Faralahy, c’est moi qui serai l'héritier et le maître de la famille ; car, toutes les fois que ma mère sert du riz, personne autre que moi n’a la partie inférieure du plat. »

Faralahy, tout en larmes, dit à sa mère :

« Je sais maintenant, maman, que, si vous donnez à Lesoma la partie inférieure du riz, c'est parce qu’un jour il sera l'héritier et le maître. »

- Ne pleure plus, mon enfant; à l’avenir, chaque fois que je servirai du riz, le fond sera pour toi. »

La femme d’Andriambe se dit alors :

« Ce Lesoma me donne bien des tracas pour mon enfant; je veux le faire mourir. »

Or ils habitaient un lieu aride, assez Loin de l’endroit où on pouvait trouver du bois à brûler, et, pour arriver à la forêt, il fallait passer par un chemin tout à fait désert. Un jour donc la femme appela ses deux garçons et leur dit :

 « Mes enfants, vous allez chercher du bois à brûler; vous ramasserez un gros fagot pour Faralahy et un petit pour Lesoma; pour revenir, Faralahy marchera en avant et Lesoma en arrière. »

Dans l'après- midi, tous deux partirent.

Après avoir ramassé du bois à brûler, ils lièrent le gros fagot pour Faralahy et le petit pour Lesoma.

Mais Lesoma dit à son frère :

« Laisse-moi porter ce gros fagot, car, lorsque nous arriverons, toi avec une si grosse charge et moi avec une si petite, ma mère me battrait. »

Faralahy fut obligé de céder. En route, son frère lui dit encore  

« Laisse- moi marcher en avant, car, si nous rencontrions par hasard un bœuf méchant, et que tu sois blessé au lieu de moi, je serais roué de coups. »

Faralahy fut encore forcé d’accepter.

Lorsque la mère pensa qu’ils avaient fini de ramasser le bois, elle aiguisa un couteau et se rendit, pour les attendre, à l’endroit le plus désert du chemin. La nuit était tout à fait tombée.

Quand ils arrivèrent, la femme laissa passer celui qui marchait en avant, et, voyant que le dernier portait un petit fagot, elle lui porta un coup de couteau qui le renversa mort par terre.

Lesoma, effrayé, prit la fuite. La mère [se pencha sur le cadavre et vit avec horreur qu’elle avait tué son propre enfant et que Lesoma, dont elle désirait la mort, était sauvé.

Alors elle se mit à pleurer et à se lamenter en disant :

« Il a été changé! Oh! Faralahy! Li a été changé ! Oh ! »

« Il a été changé! Oh! Faralahy! Il a été changé ! Oh ! »

Mais Lesoma de loin répondit :

« Cesse de te plaindre! Oh! Maman! Cesse de te plaindre ! Oh ! »

« Cesse de te plaindre ! Oh ! Maman ! Cesse de te plaindre ! Oh ! »

« Mais que le mort devienne l’enfant de la morte, et que le vivant soit le fils de la vivante ! »

Les anciens disent :

« Il n’y a pas de vengeance, c’est l’action qui retourne. »

Moi je dis au contraire :

« La vengeance existe et en plus l’action retourne. »

 

(i) Le riz couvert d’écume.

 

Contes de Madagascar

Charles RENEL

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