Conte: Lohaniavao - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

Lohaniavao (1)

Conte Bara, recueilli à Bezaha, district de Betioky

 

Il y avait, dit-on, un homme et une femme qui avaient sept enfants.

Le dernier était né sans avoir de membres et de tronc ; seuls sa tête et son cou existaient naturellement.

Le petit savait, dès sa naissance, voir et pleurer.

Ses parents n'osaient pas le rejeter et l'élevaient tendrement.

Vers l'âge de huit mois, où il devait marcher s'il avait des membres, il commençait à marcher en se roulant sur la natte.

Plus tard, il savait parler comme les enfants et devenait très intelligent.

A ce moment, ses parents pouvaient lui faire chercher quelques petits et légers objets en les prenant par les dents.

Il grandissait toujours, et vers l'âge de quatorze à quinze ans, quand ses frères se préparaient à chercher un emploi dans des pays lointains, il disait à ses parents qu'il ira aussi pour les aider.

Ses parents ne lui permettaient pas de partir et lui dirent : « Comment pourras tu marcher, traverser une rivière et travailler ? Tu vas embarrasser tes frères ou tout au moins leur donner la charge de te porter sur le dos ».

Il ne répondit pas à cette question ; il se disait sans parler, dans son coeur : « Que ferai je pour pouvoir suivre mes frères ? »

Enfin il a trouvé une idée, la voici : « Je vais me plonger, disait-il, dans le riz décortiqué que mon frère aîné portera (2) ; de cette façon ils ne me verront pas ; si j'aurai faim, je n'ai qu'à manger le riz blanc dans lequel je me plonge ».

Les frères préparaient leur provision de riz blanc, le soir.

Après le manger, quand ils allèrent dormir dans une chambre à coucher, Lohaniavao se plongea dans le riz décortiqué de son frère le plus âgé.

Au chant du coq, les frères partaient tout doucement pour ne pas être entendus par Lohaniavao.

Ils ne savaient pas que celui-ci s'est déjà plongé dans leur riz.

En route, le frère le plus âgé s'étonnait de son bagage qui était lourd d'un côté.

Au moment où ils allèrent faire cuire les aliments, celui-ci disait à son cadet qu'il faut prendre le riz à cuire dans sa provision lourde.

Ce jeune homme n'a pas pu d'abord découvrir Lohaniavao qui se trouvait dans la corbeille.

Ils continuèrent leur voyage.

Au deuxième jour, ils enlevèrent toujours le riz dans lequel se trouvait Lohaniavao, et celui-ci fut trouvé par ses frères qui étaient désagréablement surpris. Ils se fâchèrent contre lui et le laissèrent à cinq cents mètres du village où ils ont passé la nuit, car c'est là que Lohaniavao a voulu qu'on le laissât.

Le matin, un homme qui va garder ses bœufs le vit avec une grande terreur au bord du chemin.

Lohaniavao, qui savait que celui-ci avait peur de lui, disait : « Il ne faut pas me craindre car je suis un homme et non pas une bête ».

Mais le jeune homme craignait toujours et voulut se sauver. Lohaniavao lui cria encore : « Je ne te ferai pas de mal vraiment ; retourne toi, nous allons causer amicalement ».

Celui-ci s'approcha alors de lui.

Lohaniavao lui dit qu'il est un célèbre mpitolonomby (3) et veut lui témoigner son savoir sur ce jeu.

Celui-ci ne croyait jamais et lui disait : « Comment pourrais-tu faire cela, toi qui n'a pas de membres et de tronc ? »

Lohaniavao lui répondit encore qu'il va mordre le bœuf et ne le laissera que s'il reste sur le sol (4).

Celui-ci lui dit : « Allons alors ; si tu ne tombes pas, je te le donnerai comme cadeau. »

Lohaniavao, de toutes ses forces, s'élança vers le gros bœuf coupé et tenait son oreille avec ses dents. Le bœuf sautait de toutes ses forces pour s'en débarrasser, mais celui-ci ne tomba pas. Après une heure trente, le bœuf tomba de fatigue et restait à terre.

Lohaniavao lui disait que le bœuf lui appartiendra conformément à ce qu'ils diront.

Le jeune homme lui dit : « C'est vrai, emporte le pour toi ».

Lohaniavao lui dit encore : « Il faut me le tuer et me chercher les fagots nécessaires à la cuisson de la viande. »

Celui-ci fit toutes ces commissions.

Quand les fagots sont tous ramassés, Lohaniavao lui donna à manger une petite quantité de viande. Il brûlait tout le reste dans le feu pendant que le jeune homme était parti pour garder ses bœufs. La grande fumée montait au ciel et des larmes coulaient des yeux du bon Dieu à cause de cette grande fumée insupportable à la vue.

Aussi Dieu envoya un ange à terre pour faire éteindre le feu.

Lohaniavao lui disait : « C'est moi Lohaniavao qui fais ce feu, et je ne l'éteindrai que si Dieu me donne des membres et un tronc ».

L'ange lui dit : « Qu'est-ce que tu es, pour commander à Dieu ? Au contraire, tu dois le supplier de te donner ce que tu veux ».

Lohaniavao lui répondit : « Avec quoi éteindrai je le feu, car je n'ai pas de membres et de tronc ? »

L'ange retournait et disait à Dieu tout ce que Lohaniavao lui a dit.

Dieu répondit : « C'est vrai pour lui, et qu'il ait des membres et un tronc ».

Tout de suite après la parole de Dieu, Lohaniavao fut transformé en homme parfaitement fait.

Ensuite il se disait : « Je suis maintenant un vrai homme, mais tout nu. Je n'ai pas de vêtements, d'armes nécessaires à ma défense quand je serai attaqué par les brigands ; donc il faut que je fasse encore mon feu avec du bois vert pour donner plus de fumée ».

Ainsi il continuait à faire du feu qui donnait beaucoup de fumée.

Dieu ne put pas regarder à cause des larmes qui coulaient abondamment de ses yeux.

Il envoya de nouveau un ange à la terre pour prohiber Lohaniavao de ne pas faire du feu.

L'ange redit à Lohaniavao : « Tu es un homme parfaitement fait maintenant, et pourquoi continues tu à faire du feu ? »

Lohaniavao lui dit : « Parce que je n'ai pas de vêtements et d'armes ; dites au Dieu qu'il faut me donner enfin ces objets et j'éteindrai le feu ».

L'ange retournait et disait au Dieu ce que Lohaniavao lui avait dit.

Dieu répondit : « C'est vrai, et qu'il aie tous ces objets qu'il me demande ».

Lohaniavao a reçu ces objets. Il éteignit le feu.

Voici que Lohaniavao partit au loin pour chercher un emploi. Il fut nommé favori d'un mpanjaka (5) à cause de son intelligence. Il s'enrichit vite et fut possesseur de mille bœufs.

Il retournait à son village natal avec ses mille bœufs (6). Il entrait dans la maison de ses parents en pleurant lamentablement.

Ses parents ne le reconnaissaient pas et lui dirent : « Pourquoi vous pleurez sans motif dans notre maison ? »

Lohaniavao leur dit : « Est-ce que vous ne me connaissez pas par ma figure ? C'est moi qui était appelé Lohaniavao parce que j'étais né sans avoir de membres ni de tronc ».

Les parents lui dirent : « Pourquoi avez-vous alors des membres et un tronc ? »

Celui-ci leur raconta son voyage avec ses frères et la façon dont il fut transformé en homme parfaitement fait.

Les parents étaient évanouis de contentement.

Enfin ils revinrent à la vie et vivaient ensemble joyeusement.

C'est pourquoi, dit-on, les hommes ne rejettent pas leurs enfants, quand même ceux-ci sont fous ou paralytiques.

 

Notes :

(1) Lohaniavo signifie : tête seulement. Ce conte est l'histoire d'un enfant monstrueux qui ne possédait que la tête.

(2) Pour la nourriture en cours de route.

(3) Tolon'omby, lutte contre les bœufs. Le Malgache ne se contente pas de faire battre les taureaux entre eux ; il aime aussi à lutter lui-même avec le bœuf et à faire preuve de sa force. Cramponné à la bosse ou suspendu au cou, il se laisse entraîner par l'animal affolé par l'attaque ; parfois aussi il saute sur son dos et s'y maintient en équilibre malgré bonds et ruades. Le plus souvent l’homme finit par avoir raison de la bête qui, épuisée, s'agenouille ou se couche sur le sol. Tel est le tolon'omby qui se pratique un peu partout, mais surtout chez les populations de l'Ouest et du Sud. Les véritables combats de taureaux sont aussi pratiqués de temps à autre, au cours des fêtes populaires. En 1901, ils motivèrent même une protestation de la part de la Mission protestante française, mais le Général Gallieni ne crut pas devoir les interdire.

(4) C'est-à-dire : s'il s'agenouille, vaincu par la force de son adversaire.

(5) Mpattjaka, roi. Les mpanjaka n'avaient pas, en général, de véritables favoris ; il faut prendre ce mot dans le sens de conseiller ou de ministre.

(6) Ces mille bœufs ne sont pas une pure légende. Il y a une cinquantaine d'année, on citait encore, dans le Sud de l'île, les noms d'un certain nombre de Malgaches, Bara, Antandroy, Mahafaly, qui étaient propriétaires d'un millier de bovidés. Et encore faut-il préciser que, dans ce nombre, les jeunes veaux n'étaient pas comptés tant que leurs cornes n'atteignaient pas environ trois centimètres de long.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

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